Critiques

Deux femmes en or : Délicieuse irrévérence

© Suzane O’Neill

Catherine Léger ne s’en cache pas : elle aime tout du film érotique de Marie-José Raymond et Claude Fournier,  sorti en 1970, dans lequel deux femmes au foyer pimentent un quotidien assommant en batifolant avec des ouvriers, livreurs et autres travailleurs de passage à leur domicile : sa douce folie, son implantation en banlieue, la liberté de ses personnages, mais surtout le fait qu’il s’intéressait à la sexualité féminine du point de vue du plaisir et non des drames qui peuvent lui être liés (agression, grossesse non désirée, répression, etc.).

Pour le Théâtre de la Manufacture, où elle est autrice en résidence (on lui doit aussi Baby-Sitter et Filles en liberté), elle en signe une adaptation libre qui conserve le même titre, Deux femmes en or, ainsi que l’esprit général et certaines situations, mais revisite le tout pour l’adapter aux exigences du théâtre et au contexte social de 2023.

Ainsi, les femmes au foyer sont maintenant en arrêt de travail pour cause de maternité ou de dépression, et s’inquiètent de la disparition de leur libido due à l’allaitement et aux médicaments (et Fernande s’appelle désormais Florence). Ici, pas de gros plans sur les seins ou les petites culottes; on ne cherche pas à attiser le désir du spectateur, mais à poser un regard à la fois bienveillant, critique et léger sur les tourments de notre époque : la pression de la réussite, la quête du bonheur et de l’affranchissement, mais aussi le désir de contrôle et la rigidité morale qui persistent par-delà l’apparence d’ouverture d’esprit et de liberté.

© Suzane O’Neill

Une adaptation jouissive

Le film comportait beaucoup de scènes muettes, remplies par des éclats de rire, des mimiques exagérées et des borborygmes, ce qui a obligé l’autrice à faire éclater les dialogues. Le résultat est particulièrement réussi, avec un texte à la fois drôle et plein d’esprit, dans lequel les répliques inattendues se multiplient.

Portée par les interprétations savoureuses d’Isabelle Brouillette (qui reprend le personnage de Monique Mercure), Sophie Desmarais (dans les traces de Louise Turcot), Mathieu Quesnel, Steve Laplante et Charlotte Aubin, la pièce, à l’instar du film, nous met ainsi face à nos contradictions morales, mais avec légèreté. On est, après tout, dans le registre de la comédie.

La scénographie de Jean Bard (qui met en vedette un lit immense) et la mise en scène de Philippe Lambert sont manifestement conçues pour nous rappeler que l’on n’est plus au cinéma mais bien au théâtre : interprètes qui restent sur les côtés de la scène, changements de costumes visibles, fond de scène constitué d’une toile blanche qui évoque un écran, mais sur laquelle on ne projette que des lumières de couleur, acteurs et actrices qui incarnent plusieurs personnages…

Autant de choix qui servent très bien le texte. Ironie des circonstances, la pièce sera à son tour retransposée au grand écran par la réalisatrice Chloé Robichaud (Sarah préfère la course, Pays), et Catherine Léger en signera le scénario.

Deux femmes en or

Texte : Catherine Léger, adapté du scénario de Claude Fournier et Marie-José Raymond. Mise en scène : Philippe Lambert. Avec : Charlotte Aubin, Isabelle Brouillette, Sophie Desmarais, Steve Laplante, Mathieu Quesnel. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Décor : Jean Bard. Costumes et accessoires : Audrée Villeneuve. Éclairages : Martin Sirois. Musique : Ludovic Bonnier. Une production de La Manufacture, présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 20 mai 2023.