La scène dépouillée met en relief un buste de mannequin, le point focal qui porte en lui la fresque à venir. Le mur derrière est une immense catalogne, fabriquée par les tisserandes de Wendake. La metteuse en scène, elle-même wendate, crée ici un lien entre sa communauté et celles des femmes de Québec, un clin d’œil complice à toutes les prolétaires du pays. 34B, la pièce, raconte l’histoire de la Dominion Corset (1886-1988) à partir de la vie de ses travailleuses, alors célibataires, et portant idéalement du 34B, référence absolue pour les soutiens-gorge qu’on y produisait.
À partir de sept ouvrières, Isabelle Hubert nous invite dans l’antre de la plus grande fabrique de sous-vêtements féminins en Amérique du Nord. Leur histoire est celle du prolétariat, de la révolution industrielle au féminisme, en parallèle avec l’histoire de l’Occident. Par quelques dates charnières, en résonance avec les mouvements sociaux, elle construit une remarquable ontogenèse de la société québécoise.
Chacun de ses personnages illustre un aspect de cette évolution. Joséphine, qu’on imagine en figure de Bertolt Brecht, instruit ses camarades sur les actions des suffragettes britanniques. Margaux représente la belle femme victime de son charme. Elle symbolise le mannequin idéal qui porte les vêtements sexy, dessinés par des hommes. Léontine, la jeune paysanne, étouffée par un catholicisme omniprésent. Alice, coincée entre l’amour et la nécessité, qui choisira à son corps défendant le travail contre le mariage, puisque celui-ci l’aurait confiné à la maison. Fabienne, militante stimulée par le féminisme états-unien, qui sera congédiée pour sabotage et terrorisme. Nathalie qui veille sur les plus démunies et doit se faire avorter en secret.
Hubert juxtapose avec pertinence les événements mondiaux à leur contrepoint local : les hommes sur les champs de bataille et les travailleuses dans les usines ; les suffragettes britanniques et le droit de parole inexistant ; la liberté exaltante de New York et la morale catholique ; la naissance des syndicats aux États-Unis et l’embryon de résistance ouvrière ; les mouvements de libération des femmes symbolisés par leur rejet du soutien-gorge et leur fabrication à grande échelle ici.
Et l’écart entre les aléas sociopolitiques des différentes époques est exacerbé par une Lolo actuelle, une jeune artiste militante de l’École des arts visuels de l’Université Laval installée dans l’ancienne manufacture. Elle concentre toutes les revendications d’un féminisme de combat. Comme ses mère et grand-mère, elle aussi sera broyée par la pression sociale.
Théâtre épique
Marie-Josée Bastien confirme son talent certain pour la dynamique de la scène. Les interprètes exécutent une chorégraphie avec des modules sur roulettes pour construire une scénographie en métamorphose continue. Par des sauts temporels, la fresque oppose le présent aux différentes époques, amplifiant les aberrations du passé par une libéralisation généralisée où chaque entrave mérite une montée aux barricades.
La simultanéité des actions force les comédiennes à se promener d’un rôle à l’autre en un tournemain. Cette indifférenciation des personnages, esquissés dans des moments clefs, forme une sororité qui traverse le temps. La longue lutte pour la libération du prolétariat culmine ici dans la libération des femmes contre le pouvoir mâle.
En insérant les histoires individuelles dans des mouvements sociaux plus vastes, 34B se situe du côté du théâtre épique. L’espace vide dans lequel se déploient les 1600 ouvrières pendant 100 ans permet à Bastien de les placer dans une zone ouverte où tout est à construire. Par ailleurs, la critique virulente de Lolo, nous invite à transcender les drames intimes pour les transposer sur le plan social.
L’ensemble de la conception forme un objet scénique qui nous aspire : les projections, les éclairages, la musique, le décor, les accessoires, les costumes s’alimentent mutuellement. Voici une pièce qui, à partir d’anecdotes, incluant des touches d’humour, nous déplace vers d’importants débats de société. Deux petites heures pour mieux comprendre l’enjeu des combats contre le capital et le patriarcat.
Texte : Isabelle Hubert. Mise en scène : Marie-Josée Bastien. Assistance à la mise en scène : Christian Garon. Décor : Marie-Renée Bourget-Harvey. Costumes : Sébastien Dionne. Musique : Stéphane Caron. Éclairage : Caroline Ross. Vidéo : Marilyn Laflamme. Accessoires : Jeanne Lapierre. Production du mur tissé : Ohchionwahta’, sous la supervision de Rachel-Anne Bédard. Avec Stéfanelle Auger, Frédérique Bradet, Lorraine Côté, Carolanne Foucher, Véronika Makdissi-Warren, Marianne Marceau, Sarah Villeneuve-Desjardins. Une production de La Bordée en collaboration avec le Théâtre Niveau Parking, présentée à La Bordée jusqu’au 20 mai.
La scène dépouillée met en relief un buste de mannequin, le point focal qui porte en lui la fresque à venir. Le mur derrière est une immense catalogne, fabriquée par les tisserandes de Wendake. La metteuse en scène, elle-même wendate, crée ici un lien entre sa communauté et celles des femmes de Québec, un clin d’œil complice à toutes les prolétaires du pays. 34B, la pièce, raconte l’histoire de la Dominion Corset (1886-1988) à partir de la vie de ses travailleuses, alors célibataires, et portant idéalement du 34B, référence absolue pour les soutiens-gorge qu’on y produisait.
À partir de sept ouvrières, Isabelle Hubert nous invite dans l’antre de la plus grande fabrique de sous-vêtements féminins en Amérique du Nord. Leur histoire est celle du prolétariat, de la révolution industrielle au féminisme, en parallèle avec l’histoire de l’Occident. Par quelques dates charnières, en résonance avec les mouvements sociaux, elle construit une remarquable ontogenèse de la société québécoise.
Chacun de ses personnages illustre un aspect de cette évolution. Joséphine, qu’on imagine en figure de Bertolt Brecht, instruit ses camarades sur les actions des suffragettes britanniques. Margaux représente la belle femme victime de son charme. Elle symbolise le mannequin idéal qui porte les vêtements sexy, dessinés par des hommes. Léontine, la jeune paysanne, étouffée par un catholicisme omniprésent. Alice, coincée entre l’amour et la nécessité, qui choisira à son corps défendant le travail contre le mariage, puisque celui-ci l’aurait confiné à la maison. Fabienne, militante stimulée par le féminisme états-unien, qui sera congédiée pour sabotage et terrorisme. Nathalie qui veille sur les plus démunies et doit se faire avorter en secret.
Hubert juxtapose avec pertinence les événements mondiaux à leur contrepoint local : les hommes sur les champs de bataille et les travailleuses dans les usines ; les suffragettes britanniques et le droit de parole inexistant ; la liberté exaltante de New York et la morale catholique ; la naissance des syndicats aux États-Unis et l’embryon de résistance ouvrière ; les mouvements de libération des femmes symbolisés par leur rejet du soutien-gorge et leur fabrication à grande échelle ici.
Et l’écart entre les aléas sociopolitiques des différentes époques est exacerbé par une Lolo actuelle, une jeune artiste militante de l’École des arts visuels de l’Université Laval installée dans l’ancienne manufacture. Elle concentre toutes les revendications d’un féminisme de combat. Comme ses mère et grand-mère, elle aussi sera broyée par la pression sociale.
Théâtre épique
Marie-Josée Bastien confirme son talent certain pour la dynamique de la scène. Les interprètes exécutent une chorégraphie avec des modules sur roulettes pour construire une scénographie en métamorphose continue. Par des sauts temporels, la fresque oppose le présent aux différentes époques, amplifiant les aberrations du passé par une libéralisation généralisée où chaque entrave mérite une montée aux barricades.
La simultanéité des actions force les comédiennes à se promener d’un rôle à l’autre en un tournemain. Cette indifférenciation des personnages, esquissés dans des moments clefs, forme une sororité qui traverse le temps. La longue lutte pour la libération du prolétariat culmine ici dans la libération des femmes contre le pouvoir mâle.
En insérant les histoires individuelles dans des mouvements sociaux plus vastes, 34B se situe du côté du théâtre épique. L’espace vide dans lequel se déploient les 1600 ouvrières pendant 100 ans permet à Bastien de les placer dans une zone ouverte où tout est à construire. Par ailleurs, la critique virulente de Lolo, nous invite à transcender les drames intimes pour les transposer sur le plan social.
L’ensemble de la conception forme un objet scénique qui nous aspire : les projections, les éclairages, la musique, le décor, les accessoires, les costumes s’alimentent mutuellement. Voici une pièce qui, à partir d’anecdotes, incluant des touches d’humour, nous déplace vers d’importants débats de société. Deux petites heures pour mieux comprendre l’enjeu des combats contre le capital et le patriarcat.
34B
Texte : Isabelle Hubert. Mise en scène : Marie-Josée Bastien. Assistance à la mise en scène : Christian Garon. Décor : Marie-Renée Bourget-Harvey. Costumes : Sébastien Dionne. Musique : Stéphane Caron. Éclairage : Caroline Ross. Vidéo : Marilyn Laflamme. Accessoires : Jeanne Lapierre. Production du mur tissé : Ohchionwahta’, sous la supervision de Rachel-Anne Bédard. Avec Stéfanelle Auger, Frédérique Bradet, Lorraine Côté, Carolanne Foucher, Véronika Makdissi-Warren, Marianne Marceau, Sarah Villeneuve-Desjardins. Une production de La Bordée en collaboration avec le Théâtre Niveau Parking, présentée à La Bordée jusqu’au 20 mai.