Critiques

Switch (meditations on crying) + Poetics to Activate the Technology of the Body + Nurse Tree : Guérison en cours

© David Wong

Première œuvre d’envergure signée par l’interprète, chorégraphe et enseignant·e Be Heintzman Hope, Switch (meditations on crying) + Poetics to Activate the Technology of the Body + Nurse Tree est un triptyque multidisciplinaire et immersif qui questionne entre autres thèmes notre rapport à la vie et à la mort, tout autant qu’il s’agit d’un plaidoyer pour davantage de bienveillance dans le processus qui nous mène à la guérison.

De ces trois projets, présentés en dialogue dans le théâtre et la galerie du MAI | Montréal, arts interculturels, le solo dansé Switch (meditations on crying) est le premier que le public découvre. Au lever du rideau, dans un espace presque totalement dépouillé, dans lequel seuls deux néons apparaissent pendant quelques minutes, lea créateur·trice non binaire se balance d’avant en arrière, haletant·e. Puis, iel se déplace au sol, esquissant torsions et ondulations, une gestuelle qui se déploie à la frontière de la lascivité et de la souffrance. L’artiste incarne tout à la fois un être en plein rituel de séduction, une bête traquée tentant de se défendre et une créature brisée par de multiples traumatismes physiques, mentaux, émotionnels.

Pendant une heure, Be Heintzman Hope nous raconte les nombreux combats de ce personnage aux multiples facettes. Pour faire écho à ces fluctuations de mouvements et d’émotions, des éclairages, le plus souvent écarlates, et une trame sonore aux sonorités autant organiques qu’électroniques, qui fréquemment s’interrompent, pour aussitôt reprendre.

En résulte une œuvre fascinante, qui s’inspire du strip-tease, des arts martiaux, de la méditation et du concept bouddhiste du fantôme affamé, une incarnation de la propension de l’humain à succomber au vice, qui peut le mener à la dépendance, voire à l’autodestruction.

La technique de l’alternance des codes (code switching) s’avère un choix on ne peut plus judicieux pour aborder les efforts d’adaptation que tous·tes doivent déployer pour survivre dans leur environnement, contournant ou détruisant les obstacles au passage. La mise en scène épurée et la scénographie minimaliste laissent toute la place à l’interprète, tout en conférant à la pièce une portée universelle, les blessures subies par le personnage n’étant jamais clairement identifiées.

Profondément habité·e, Be Heintzman Hope narre avec son corps maints essais-erreurs, récit d’une existence tumultueuse. Sa performance est bouleversante, tant par sa puissance que par la douleur qu’elle exprime. Doté·e d’un charisme indéniable, l’artiste complète son tour de piste la tête haute, le visage serein, sur lequel on peut lire l’épuisement, mais assurément aussi la fierté de n’avoir jamais jeté les gants dans cette lutte contre l’adversité, que celle-ci soit issue d’iel-même ou de forces extérieures.

© David Wong

Instant d’apaisement

Les spectateurs et les spectatrices sont ensuite invités·es à découvrir les deux autres pans de l’œuvre, tous deux présentés dans la galerie du MAI. Pour produire les vidéos qui composent Poetics to Activate the Technology of the Body, lea créateur·trice s’est inspiré·e des applications pour téléphone intelligent et vidéos de méditation guidée ou de conditionnement physique. L’intention ici n’étant aucunement de les parodier ou de s’en moquer. Il s’agit avant tout d’une ode à ces moments du quotidien empreints de magie où l’on s’autorise à reprendre son souffle, à se poser et à revenir à soi, aidé·e par l’image, le son, la danse.

Finalement, l’installation Nurse Tree est formée d’espaces entourés de rideaux diaphanes, dans lesquels on administre des traitements. Cette unité de soins éphémère a pour but d’alimenter une conversation collective sur la façon de soutenir les patients·tes, en particulier les personnes de la communauté LGBTQ+, racisées, ainsi que les travailleurs·leuses du sexe.

Cette première proposition de Be Heintzman Hope, très réussie, est en lien direct avec le reste de sa pratique, qui tisse des liens entre l’art et la résolution de conflits. Pour iel, la création est inextricable à la santé d’un individu et permet la guérison. Une intention palpable pour quiconque assiste à son solo ou déambule entre les éléments de son exposition sensorielle. Un parcours interdisciplinaire qui fait du bien au cœur et à l’âme.

© David Wong

Switch (meditations on crying) + Poetics to Activate the Technology of the Body + Nurse Tree

Direction artistique, chorégraphie, performance Switch (meditations on crying) et conception sonore : Be Heintzman Hope. Performance Nurse Tree : Lucy B., Kaiden Diaz et Bam Truong. Conception vidéo Poetics to Activate the Technology of the Body : Baco Lepage-Acosta. Conception éclairages : Nien Tzu Weng. Conception costumes : Alice Lepage-Acosta. Guides sonores : Sasha Lang et Tomas Furey. Soutien à la conception sonore : Carmen Colas. Dramaturgie : Néné Myriam-Konaté, Clara Furey, Baco Lepage-Acosta, Nada Khashaba, Dhalia Li, Maxine Segalowitz, K.G. Guttman et Carol Prieur. Consultation astrologique : Malek Robanna. Images et vidéos promotionnelles : Kinga Michalska et Baco Lepage-Acosta. Une coproduction de Be Heintzman Hope, MAI (Montréal, arts interculturels), Danse-Cité et Parbleux, présentée au MAI (Montréal, arts interculturels) jusqu’au 6 mai 2023.