Les guerriers de la justice sociale et de la protection de l’environnement proposent au Festival TransAmériques des moments engagés des causes qui animent de larges pans de nos sociétés. L’exaltation et l’émotion sont au rendez-vous.
Nehanda : Au théâtre global de la mémoire
Sous la forme d’un opéra dansé, Nehanda évoque la résistance du peuple Shona au Zimbabwe, cristallisée par le procès opposant la reine Victoria à Charwe Nyakasikana, figure du mouvement anticolonial en Rhodésie, au XIXe siècle. On y découvre des danses et des musiques atypiques, aussi extraordinaires les unes que les autres.
Durant quatre heures trente, se succèdent des tableaux haletants, aux rythmes amples et soudés par l’esprit de chœur. Les scènes se succèdent lentement, enchainés en harmonie. L’histoire soude ici l’identité artistique des interprètes. La mémoire de leurs corps réveille ce que le philosophe Charles Taylor appelle un des quatre principes moraux universels, la Justice, dans Les Sources du moi. La Formation de l’Identité moderne.
Le cœur est donc là, invoqué par l’esprit féminin médiumnique de Nehanda. Notre adhésion à la puissante expression de dignité humaine passe par le cercle humain, à l’origine des rites africains, des commémorations et des célébrations religieuses afroaméricaines. En outre, le feu, les instruments de musique flambant au foyer virtuel, tout comme la corde de pendaison, rassemblent symboliquement participants et assistance.
Le corps performatif africain
La danse est exaltée et portée par les pas élancés de géants. Le tambour, frappé par un danseur sorcier à la haute stature, d’une grande beauté, anime le bal. Chaque corps contribue par sa puissance personnelle à la magie générale. Grâce à la dépense physique, on croit aisément à la nécessité d’un ordre supérieur à l’histoire : une éthique de justice fonde l’éclat du spectacle et le courage exemplaire des porteurs et porteuses de mémoire.
L’éclairage rouge, quelques projections symboliques, l’union du groupe et la scénographie changeante, avec les nombreux déplacements de caissons, d’instruments et les parcours dansés au milieu du public, tout cela contribue à ce que s’embrase la solidarité révolutionnaire. Le sacré et la politique convergent ainsi dans cette foi qui anime les Malcom X américains. Si les scènes nous sont expliquées par le récit du programme, l’énergie des voix et des corps en mouvement, galvanisante, est portée au maximum : cette performance inouïe entraine même le public, irrésistiblement, à se lever et à se mettre à danser.
Ce spectacle à grand déploiement est véhiculé par trois chanteuses inspirées, huit danseurs musiciens et d’autres artistes polyvalents ; on compte une vingtaine de collaborateurs dans cette pièce créée en 2022 à l’Université de Little Falls, au New Jersey. Chantée dans les langues de chaque interprète – shona, ndebele, ewe, afrikaans, kriolu et anglais –, cette fresque culturelle new-yorkaise permet que chaque voix entre en résonance. Leur vibrante harmonie est ponctuée de maracas, trompes, sifflet, tuba, xylophone mbira, cors divers et locaux, jusqu’à deux étranges corps de serpent qui donne un statut spirituel de plus à ce théâtre politique.
Production et direction artistique : Nora Chipaumire. Interprétation : Sylvestre Akakpo Adzaku, Tatenda Chabarwa, Nora Chipaumire, Jonathan Kudakwashe Daniel, David Gagliardi’ McIntosh « SoKo » Jerahuni, Fatima Katiji, Mamoudou Konate, Othnell « Mangoma » Moyo, Lucia Palmieri, Mohamed Yousry Fathy « Shika » Saleh, Kei Leon Soares-Cobb, tyroneisaacstuart, Peter van Heerden, Shamar Wayne Watt, Gilbert Zvamaida. Son : Vusumuzi Moyo, assistanté par Kwamina Biney. Présenté à Espace Go dans le cadre du Festival TransAmériques du 26 au 28 mai 2023.
Lay Hold to the Softest Throat : Une voix qui serait douce pour la planète
Autre révolution, celle d’une écologie militante, avec le spectacle anti-esthétique de Ellen Furey. Lay Hold to the Softest Throat, est une protestation véhémente, au premier degré, concernant les déchets et immondices divers balancés à travers la planète. Trois interprètes produisent des textes et des sons aussi laids que le décor de gâchis jonchant la scène, signifiant l’exaspération et l’urgence d’agir contre la destruction du monde.
C’est sans équivoque et désespéré. La terre est souillée. Le désordre règne. Depuis une vingtaine d’années, nombreux artistes, photographes, performeurs, ont fait de la laideur de notre consommation et du gaspillage une responsabilité collective. Le thème se radicalise ici, par tout ce qui est contaminé : la danse, les sons, l’installation scénique, le texte rimé et bien scandé mais d’une teneur adolescente.
Personne, dans le public, n’a ri des excès attestant l’anarchie généralisée. La laideur fédèrera-t-elle une alliance spontanée de révolte dans la vie ordinaire ? De telles émotions vives sur la scène se sont manifestées dans le « Grand Réveil » protestant du XVIIIe siècle américain : l’histoire fait écho, dans ce mouvement épiphanique aux forces toujours vives.
À signaler de beaux éclairages sombres qui noient les trois interprètes chanteuses, déguisées dans les minutes finales du spectacle, quand perce l’abnégation réparatrice à la beauté persistante des âmes. Malgré ces instants émouvants et une référence au théâtre de Grotowski, le schématisme de la pièce m’a semblé très puritain. De par l’impureté toxique et apocalyptique de sa poésie, une vision brechtienne y établit avec vigueur la dureté de confronter effectivement le réel.
Production, chorégraphie, texte et interprétation : Ellen Furey avec Romy Lightman et Alanna Stuart. Conception sonore : Christopher Willes. Dramaturgie : Hanako Hoshimi-Caines. Lumières : Paul Chambers. Scénographie : Jeremy McCormick. Regard extérieur : Anni Spadafora. Technique : Anthony Allan. Chansons : We’ll Reach the Sky Tonight de Rita MacNeil et Take My Word de Ellen Furey. Présenté dans le cadre du Festival TransAmériques à La Chapelle Scènes contemporaines, du 28 mai au 1er juin 2023.
Les guerriers de la justice sociale et de la protection de l’environnement proposent au Festival TransAmériques des moments engagés des causes qui animent de larges pans de nos sociétés. L’exaltation et l’émotion sont au rendez-vous.
Nehanda : Au théâtre global de la mémoire
Sous la forme d’un opéra dansé, Nehanda évoque la résistance du peuple Shona au Zimbabwe, cristallisée par le procès opposant la reine Victoria à Charwe Nyakasikana, figure du mouvement anticolonial en Rhodésie, au XIXe siècle. On y découvre des danses et des musiques atypiques, aussi extraordinaires les unes que les autres.
Durant quatre heures trente, se succèdent des tableaux haletants, aux rythmes amples et soudés par l’esprit de chœur. Les scènes se succèdent lentement, enchainés en harmonie. L’histoire soude ici l’identité artistique des interprètes. La mémoire de leurs corps réveille ce que le philosophe Charles Taylor appelle un des quatre principes moraux universels, la Justice, dans Les Sources du moi. La Formation de l’Identité moderne.
Le cœur est donc là, invoqué par l’esprit féminin médiumnique de Nehanda. Notre adhésion à la puissante expression de dignité humaine passe par le cercle humain, à l’origine des rites africains, des commémorations et des célébrations religieuses afroaméricaines. En outre, le feu, les instruments de musique flambant au foyer virtuel, tout comme la corde de pendaison, rassemblent symboliquement participants et assistance.
Le corps performatif africain
La danse est exaltée et portée par les pas élancés de géants. Le tambour, frappé par un danseur sorcier à la haute stature, d’une grande beauté, anime le bal. Chaque corps contribue par sa puissance personnelle à la magie générale. Grâce à la dépense physique, on croit aisément à la nécessité d’un ordre supérieur à l’histoire : une éthique de justice fonde l’éclat du spectacle et le courage exemplaire des porteurs et porteuses de mémoire.
L’éclairage rouge, quelques projections symboliques, l’union du groupe et la scénographie changeante, avec les nombreux déplacements de caissons, d’instruments et les parcours dansés au milieu du public, tout cela contribue à ce que s’embrase la solidarité révolutionnaire. Le sacré et la politique convergent ainsi dans cette foi qui anime les Malcom X américains. Si les scènes nous sont expliquées par le récit du programme, l’énergie des voix et des corps en mouvement, galvanisante, est portée au maximum : cette performance inouïe entraine même le public, irrésistiblement, à se lever et à se mettre à danser.
Ce spectacle à grand déploiement est véhiculé par trois chanteuses inspirées, huit danseurs musiciens et d’autres artistes polyvalents ; on compte une vingtaine de collaborateurs dans cette pièce créée en 2022 à l’Université de Little Falls, au New Jersey. Chantée dans les langues de chaque interprète – shona, ndebele, ewe, afrikaans, kriolu et anglais –, cette fresque culturelle new-yorkaise permet que chaque voix entre en résonance. Leur vibrante harmonie est ponctuée de maracas, trompes, sifflet, tuba, xylophone mbira, cors divers et locaux, jusqu’à deux étranges corps de serpent qui donne un statut spirituel de plus à ce théâtre politique.
Nehanda
Production et direction artistique : Nora Chipaumire. Interprétation : Sylvestre Akakpo Adzaku, Tatenda Chabarwa, Nora Chipaumire, Jonathan Kudakwashe Daniel, David Gagliardi’ McIntosh « SoKo » Jerahuni, Fatima Katiji, Mamoudou Konate, Othnell « Mangoma » Moyo, Lucia Palmieri, Mohamed Yousry Fathy « Shika » Saleh, Kei Leon Soares-Cobb, tyroneisaacstuart, Peter van Heerden, Shamar Wayne Watt, Gilbert Zvamaida. Son : Vusumuzi Moyo, assistanté par Kwamina Biney. Présenté à Espace Go dans le cadre du Festival TransAmériques du 26 au 28 mai 2023.
Lay Hold to the Softest Throat : Une voix qui serait douce pour la planète
Autre révolution, celle d’une écologie militante, avec le spectacle anti-esthétique de Ellen Furey. Lay Hold to the Softest Throat, est une protestation véhémente, au premier degré, concernant les déchets et immondices divers balancés à travers la planète. Trois interprètes produisent des textes et des sons aussi laids que le décor de gâchis jonchant la scène, signifiant l’exaspération et l’urgence d’agir contre la destruction du monde.
C’est sans équivoque et désespéré. La terre est souillée. Le désordre règne. Depuis une vingtaine d’années, nombreux artistes, photographes, performeurs, ont fait de la laideur de notre consommation et du gaspillage une responsabilité collective. Le thème se radicalise ici, par tout ce qui est contaminé : la danse, les sons, l’installation scénique, le texte rimé et bien scandé mais d’une teneur adolescente.
Personne, dans le public, n’a ri des excès attestant l’anarchie généralisée. La laideur fédèrera-t-elle une alliance spontanée de révolte dans la vie ordinaire ? De telles émotions vives sur la scène se sont manifestées dans le « Grand Réveil » protestant du XVIIIe siècle américain : l’histoire fait écho, dans ce mouvement épiphanique aux forces toujours vives.
À signaler de beaux éclairages sombres qui noient les trois interprètes chanteuses, déguisées dans les minutes finales du spectacle, quand perce l’abnégation réparatrice à la beauté persistante des âmes. Malgré ces instants émouvants et une référence au théâtre de Grotowski, le schématisme de la pièce m’a semblé très puritain. De par l’impureté toxique et apocalyptique de sa poésie, une vision brechtienne y établit avec vigueur la dureté de confronter effectivement le réel.
Lay Hold to the Softest Throat
Production, chorégraphie, texte et interprétation : Ellen Furey avec Romy Lightman et Alanna Stuart. Conception sonore : Christopher Willes. Dramaturgie : Hanako Hoshimi-Caines. Lumières : Paul Chambers. Scénographie : Jeremy McCormick. Regard extérieur : Anni Spadafora. Technique : Anthony Allan. Chansons : We’ll Reach the Sky Tonight de Rita MacNeil et Take My Word de Ellen Furey. Présenté dans le cadre du Festival TransAmériques à La Chapelle Scènes contemporaines, du 28 mai au 1er juin 2023.