Critiques

Festival TransAmériques : Espace de liberté

© Françoise Robert

Depuis ses débuts il y a 10 ans, Dana Michel crée des espaces de liberté où elle peut être elle-même sur scène. Elle présente au FTA sa nouvelle création, MIKE, inaugurée au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles tout récemment.

MIKE : La poétique du travail

Ambassadrice internationale de la nouvelle danse/performance, la Montréalaise Dana Michel offrira MIKE un peu partout sur la planète cette année. À Montréal, son spectacle de trois heures lui permet de déployer sa recherche créatrice dans une magnifique et immense salle du Complexe des sciences Pierre-Dansereau de l’UQAM.

Elle explore ici la notion de travail en rendant hommage au passage à son père décédé en début d’année. Surnommé Mike, ce travailleur silencieux a toujours œuvré comme commis à l’entretien dans le réseau de la santé.

Comme il n’y a ni scène véritable ni coulisses cachées, l’artiste arrive dans la salle en se brossant les dents. Elle déploie ensuite ses ailes imaginaires en séparant l’espace en deux, la vie personnelle et le métier, deux entités qui semblent exister en parallèle, mais se fusionnent aussi parfois.

La liberté toujours vitale à l’artiste est partagée avec le public qui peut circuler à sa guise, entrer et sortir, s’approcher à quelques centimètres de la performeuse s’il le souhaite. Dana Michel crée in situ en étant toujours à l’écoute des vibrations émises par ceux et celles qui la regardent et la suivent dans ses incessantes déambulations.

Comme elle l’a déjà expliqué en entrevue, la performeuse travaille peu ou pas en répétition, mais beaucoup en préparation, ce qui est différent. Pendant de longs mois, voire plus, elle lit, écrit, réfléchit, seule ou avec ses « activateurs artistiques », dont l’incontournable Peter James, présent lors de la première au FTA.

© Françoise Robert

Travail

Comment être et vivre au travail sans en être affecté dans sa vie personnelle ? Comment séparer les deux ? Telle est la question. L’artiste y répond naturellement avec ce qu’elle est : ses doutes, sa vision ludique, ses gestes et postures, sa facilité d’être percutée dans le corps par l’espace et les accessoires.

Ces objets — marteaux, pinces, aspirateur, rouleaux de tapis et de papier, lampes diverses, immense bouteille, grands panneaux séparateurs qui vont du sol au plafond — sont éparpillés dans la salle. La performeuse les détourne de leur utilisation habituelle pour leur donner la plupart du temps une nouvelle vocation. Ainsi, un porte-vêtement mobile couché au sol se marie avec des stores verticaux.

Dana Michel crée des sculptures organiques qu’elle construit et déconstruit, les regardant de loin, sous tous les angles. Se sert-elle des objets ou ceux-ci, ayant leur propre « âme », influencent-ils l’artiste et sa réflexion en mouvement ? Dans cet univers se suffisant à lui-même, la réponse importe peu.

Rarement, elle répète les mêmes gestes, sauf ceux, obsessifs, du travailleur qui fouille ses poches à la recherche de quelque instrument utilitaire. Comme dans ses pièces précédentes, l’effort est une valeur mise en évidence, tout comme la recherche constante, les allers-retours entre un monde et un autre, sa bulle et celle du public.

Elle est habillée d’une veste et d’un pantalon bruns, qu’elle enlève et remet fréquemment, mais surtout de bas blancs trop grands, renvoyant à l’immense chapeau de cowboy dans Cutlass Spring et le bizarre turban de Mercurial George.

© Françoise Robert

Sons et images

La bande sonore fait entendre de la musique de piano jouée probablement par un enfant — elle ? — des cloches d’église, des bruits de travaux divers, des borborygmes, un air triste à l’harmonica… On s’attend à tout avec elle, croyant même qu’une sirène de camion de pompiers de l’autre côté de la rue fait partie de la représentation.

L’artiste déjoue nos attentes et nous garde savoureusement en déséquilibre. C’est un peu là sa définition de la danse. Dana Michel ne fait rien comme les autres. Son regard et ses actions poétisent l’espace, les accessoires, les costumes, les éclairages, le décor pour élargir leur sens aux yeux du public qui peut y tracer son propre chemin imaginaire. Libres, nous le sommes avec elle.

Vouloir chercher absolument un sens logique au spectacle irait à l’encontre d’un certain laisser-aller créatif que vit et fait vivre Dana Michel. Elle reste elle-même en tout et partout, originale, inventive, inclassable, pourtant essentielle.

MIKE

Création et interprétation : Dana Michel. Élan artistique : Viva Delorme, Ellen Furey, Peter James, Heidi Louis, Tracy Maurice, Roscoe Michel, Karlyn Percil, Yoan Sorin. Conseil scénographie et direction technique : Romain Guillet. Conseil son : David Drury. Production : Viva Delorme + Dana Michel ̶ SCORP CORPS. Diffusion : Anna Skonecka, Koen Vanhove ̶ Key Performance. Coproduction : Festival TransAmériques, ARSENIC ̶ Centre d’art scénique contemporain (Lausanne), Centre National des Arts (Ottawa), Julidans Amsterdam, Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles Brussels), MDT (Stockholm), Montpellier Danse, Wexner Center for the Arts of The Ohio State University (Colombus), Moving in November (Helsinki). Présenté dans le cadre du FTA du 1er au 4 juin 2023.