Critiques

Festival TransAmériques : Exaltante célébration

© Sammi Landweer

On ne s’attend pas au ravissement que l’on vit en assistant au spectacle Encantado. Si le terme, en lui-même, signifie « enchantement », c’est d’une part parce que ce spectacle convoque les traditions rituelles et chamaniques des Guaraní Mbyá, peuple autochtone d’Amérique du Sud qui résiste contre la colonisation et pour la reconnaissance de leurs terres ancestrales. C’est aussi parce que nous, spectateurs et spectatrices, devenons instantanément sous le charme, captifs et captives des rythmes de la musique et des corps qui se pavanent, s’agitent et s’ordonnent en autant de figures fascinantes.

Cette performance se déploie sous le signe de la continuité. Continuité dans la forme et les gestes, continuité entre l’art et la spiritualité. En effet, la chorégraphe Lia Rodrigues, qui, avec Encantado, prolonge son travail sur le lien social et l’expression des collectivités, propose d’imaginer un monde animé par des forces suprasensibles, gardiennes de la Terre et des gens qui l’habitent.

© Sammi Landweer

Tour de force : pendant une heure, sans aucune transition ni interruption, les interprètes dansent sur une musique traditionnelle des villageois de Kalipety, territoire autochtone de Tenondé Porã. Suivant une gradation de volume et de tempo qui va en accélérant jusqu’à atteindre un point de quasi-transe, les onze danseuses et danseurs se réunissent autour d’une courtepointe de fortune faite de tissus vibrants qui évoquent la faune, les couleurs et les textures de la nature. Tantôt, les interprètes se faufilent sous les étoffes pour donner vie à des créatures fantasmagoriques ; tantôt ils s’en parent à la manière de vêtements qui deviennent, par l’usage qu’on leur octroie, des tuniques sacrées.

Les corps se métamorphosent. On ignore si ce sont ces derniers qui animent les tissus ou si les tissus déterminent les mouvements des interprètes dans l’espace. Mais c’est justement cette ambiguïté hypnotique qui émeut et exalte. La répétition des gestes, des souffles et des faciès très expressifs semble ainsi réaliser l’incarnation de ces forces immanentes qui échappent à la perception, mais que l’énergie jubilatoire de la chorégraphie fait advenir.

Ce jeu continuel et alternant des habits s’opère en toute fluidité. Si l’immense courtepointe étale et sans suture du début évoque un territoire quadrillé, divisé selon une géométrie cartésienne, elle se défait pour se transformer, au fil de la performance, en un amas qui figure un lieu de partage et de communauté. À cet égard, la puissance symbolique de ce spectacle est incontestable. On garde, à l’issue de la représentation, qui est une réelle célébration de joie, le sentiment d’avoir été connecté∙es à quelque chose de plus grand que nous.

© Sammi Landweer

Encantado

Création : Lia Rodrigues. Cocréation et interprétation : David Abreu, Raquel Alexandre, Andrey da Silva, Valentina Fittipaldi, Larissa Lima, Leonardo Nunes, Tiago Oliveira et Ricardo Xavier. Interprétation : Alice Alves, Daline Ribeiro et Felipe Vian. Cocréation : Joana Castro, Matheus Macena et Carolina Repetto. Assistance à la création : Amalia Lima. Dramaturgie : Silvia Soter. Collaboration artistique et images : Sammi Landweer. Lumières : Nicolas Boudier. Musique : Chants du peuple Mbyá Guaraní. Mixage : Alexandre Seabra. Régie générale et lumières : Magali Foubert et Baptistine Méral. Production et diffusion : Colette de Turville assistée de Astrid Toledo. Administration : Jacques Segueilla. Production : Brésil Gabi Gonçalves — Corpo Rastreado. Secrétaire : Gloria Laureano. Professeures : Sylvia Barretto, Valentina Fittipaldi et Amalia Lima. Une production de Lia Rodrigues Companhia de danças présentée par le Festival TransAmériques du 6 au 8 juin 2023 et par Hotel ZERO1 en collaboration avec Usine C.

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À propos de

Laurence Pelletier enseigne la littérature et les études de genre au cégep et à l’université. Elle est également critique littéraire et culturelle et collabore depuis plusieurs années aux revues Spirale, Lettres québécoises et Moebius.