JEU des 5 questions

Cinq questions à Olivier Choinière

© Charles Lafrance

Après un duo pour Zoé, le solo semble s’inscrire dans la foulée. Est-ce que c’est l’idée de cette nouveauté pour toi qui t’attirait et/ou tout simplement le sujet qui l’exigeait?

Les deux. La dernière cassette achève un cycle de créations qui proposent des personnages qui sont exclus de la société, soit par choix, soit par contrainte. Le solo était tout indiqué pour mettre en forme cette idée. La pièce met en scène un vieil homme prisonnier de son appartement et de son corps. Depuis Chante avec moi, j’ai travaillé avec des grosses équipes d’acteurs, ce qui m’amenait à observer la société en plan large. Avec Zoé et La dernière cassette, j’avais envie d’entrer dans l’intimité de personnages, d’observer de quelle façon ils portent la société en eux, et qui plus est, une société en crise.

Dans les enregistrements de Brassard qu’on entend sur le site de ta compagnie, L’Activité, on comprend ton attachement à ses enseignements. Ça nous fait découvrir la personne. son érudition, ses connaissances étendues du théâtre, de son histoire… on a perdu un grand qui avait encore beaucoup à dire sur le monde et le théâtre, non?

Brassard est fondamental dans mon parcours comme artiste, et je ne suis bien sûr pas le seul. C’est un artiste québécois majeur et on ne s’en souvenait déjà plus… de son vivant! Ce n’est pas seulement un praticien, mais un penseur du théâtre. On a retenu plus sa bio et ses faits d’arme que ses idées. Peut-être parce que Brassard lui-même refusait l’étiquette d’intellectuel ? Je ne sais pas. C’est un fin observateur de la psyché humaine, animé d’un esprit critique assez féroce, qu’il accompagne de tendresse pour ses contemporains.

Un solo avec Violette Chauveau, ça va de soi pour diverses raisons aussi. Comment se passe le travail entre vous ?

Violette est une amie intime d’André. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas besoin de lui expliquer car elle connait le personnage de l’intérieur. En même temps, la pièce est une fiction et le personnage s’appelle AB, pas André Brassard… quoiqu’on sache très bien de qui on s’inspire! Ce n’est pas toujours évident pour elle d’incarner un ami décédé depuis peu, et en même temps de créer un personnage de théâtre. Je ne voulais pas qu’on soit dans l’imitation fidèle ni dans le réalisme, même si on s’est bien sûr inspiré d’archives et de tous les échanges qu’on a eus avec lui. Pour moi, AB c’est le cœur, l’âme d’André Brassard, pas son enveloppe ou sa coquille. C’est assez troublant parce que j’ai parfois l’impression que c’est André qui se trouve sur scène. Surtout quand on sait le rapport qu’il entretenait avec la dimension spirituelle du métier d’acteur et le théâtre comme expérience du sacré.

Ton travail nous amène à poser un regard critique sur la vie actuelle, le monde dans lequel on vit. Avec Zoé, le contenu se dirigeait vers la réflexion pure, la philo à la limite… Avant de voir La dernière cassette, il semble que la pièce va un peu dans le même sens comme si tu souhaitais de plus en plus jongler avec les idées sur une table de ping pong virtuelle.

Pour moi, faire le portrait d’André Brassard, c’était aussi faire le portrait du monde dans lequel on vit, qui est un monde en train de brûler – littéralement – et qui ne réserve pas un sort très glorieux aux artistes et aux vieux. Le pouvoir lors de la pandémie nous a bien montré que l’on pouvait se passer des uns comme des autres. L’être humain est jetable après usage. Ça me semble flagrant dans le cas de Brassard, qui a dédié sa vie au théâtre, jusqu’à ce que la maladie l’enferme dans une prison de chair qui l’a éjecté de la scène théâtrale. Avec ce spectacle, je souhaite faire réanimer une vision de l’art qui a disparu. Nous avons complètement assimilé aujourd’hui le fait que le théâtre soit amalgamé au divertissement. Brassard incarnait à mon sens une conception humaniste de l’existence et de l’art, un rapport au collectif qui n’est plus du tout au cœur des réflexions que l’on retrouve sur nos scènes aujourd’hui.

Comme tu caresses plusieurs projets en même temps, où cela te mènera-t-il ? Un show avec 10 personnages ou quelque chose de dépouillé, axé sur la pensé ?

Tout ce que je peux dire, c’est que le rapport au public, son rôle durant la représentation reste au cœur de mes préoccupations. Ça me semble même plus urgent d’explorer cette question-là qu’avant. À suivre!

La dernière cassette est présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 30 septembre.