Critiques

DESEO : Désirs contrefaits

© David Ospina

Depuis plus de 20 ans, la compagnie Singulier Pluriel produit, au Québec et dans plusieurs villes d’Amérique latine, des œuvres dramatiques axées sur une démarche interculturelle. Sa directrice, Julie Vincent, actrice et dramaturge, a collaboré à de nombreuses productions avec des compagnies d’Amérique du Sud et signe l’un des textes du spectacle. Sa codirectrice générale et artistique, Ximena Ferrer, comédienne, est aussi la metteure en scène de DESEO. C’est elle également qui, en gracieuse hôtesse, ouvre sa maison au public et lui explique le déroulement de cette pièce quasi déambulatoire.

Pour l’assistance ainsi regroupée dans l’accueillante Maison de la rue Fullum, à l’ombre d’Espace Libre, et aiguillée d’une salle à l’autre, impossible de ne pas ressentir l’intimité qui se veut l’une des composantes essentielles de cette expérience théâtrale. D’une courte scène à la suivante, l’exiguïté du lieu, la mobilité des spectateurs et spectatrices ainsi que l’extrême proximité avec les cinq comédiennes font partie intégrante de l’événement.

Ce dispositif particulier a un avantage : il permet de renouveler l’émotion à chaque tableau, de recommencer un nouveau sprint plutôt que d’exiger l’attention soutenue des formules plus classiques. Cependant, le revers de la médaille est le détournement fréquent de la concentration vers des considérations tristement terre-à-terre : l’endroit où se diriger, la disposition des sièges, l’interaction avec les autres membres du public – pardon, après vous, je vous en prie ! Enfin, il a pour inconvénient principal d’accentuer l’assemblage quelque peu hétéroclite des textes, dont la facture disparate et, surtout, la qualité très inégale détonnent. On peine à trouver une ligne directrice, et la qualité du jeu des comédiennes, soutenu de surcroît par des décors réussis et des costumes soignés, ne parvient pas tout à fait à récupérer la mise.

© David Ospina

Désir, es-tu là ?

Au fil des quatre tableaux, ces dernières accomplissent un tour de force en offrant des interprétations nuancées à quelques centimètres de leur public. La mise en scène, minutieuse, tire justement parti de cette proximité et met en valeur les tons et les timbres de voix, les regards, les gestes légers. Les récits émergent à travers un mouvement incessant des corps, les déplacements dans l’espace restreint créant des orbites autour d’éléments de décor à forte valeur symbolique : une caméra web, un voile de mariée, une mijoteuse…

D’une histoire à l’autre, il est question de création et de représentation, de la fragilité des limites entre réalité et performance, souvent dans une approche de mise en abyme. On traite aussi du corps féminin, jeune ou vieux, frémissant de vie et de fureur, ainsi que des rapports avec les hommes – amoureux ou sexuels, professionnels, complexes et imbriqués. Chaque saynète comporte une forme de mise à nu qui signale à la fois un dévoilement et un mode particulier de la représentation de soi. Il est cependant un thème nettement moins abordé : celui du désir proprement dit.

Deseo signifie désir, en espagnol, mais peut aussi vouloir dire je désire. Et de fait, ce que partagent les femmes des quatre histoires du spectacle réside moins dans une mise en commun d’un quelconque désir que dans l’expression d’une subjectivité forte et espiègle, d’une féminité plurielle loin des stéréotypes et d’un rapport complexe à la vérité.

DESEO

Mise en scène : Ximena Ferrer. Assistance à la mise en scène : Lesly Velazquez. Textes : Marianella Morena, Jimena Marquez (Uruguay), Julie Vincent, Camila Forteza (Québec). Traduction : Ximena Ferrer. Scénographie, éclairages, accessoires : Rodolphe St-Arneault et Catherine Le Gall. Costumes : Sahdia Cayemithe. Direction de production : Margarita Herrera Dominguez. Avec Alexandrine Agostini, Stéphanie B. Dumont, Catalina Pop, Josée Rivard et Jacqueline Van De Geer. Une production de Singulier Pluriel, présentée à la Maison de la rue Fullum du 2 au 30 septembre 2023.