Créée au Diamant, à Québec, en 2021, Courville amorce la saison du Théâtre du Nouveau Monde dans une version écourtée ; deux heures plutôt que trois. Cette nouvelle mouture nous permet aussi de découvrir le talentueux comédien Olivier Normand, à qui Robert Lepage cède son rôle d’acteur et de narrateur.
Toutefois, le propos demeure intact. 1975, dans un bungalow de Courville, en banlieue de Québec, au pied des chutes Montmorency, Simon, jeune sculpteur de 17 ans, vit difficilement la fin de son adolescence. Sa mère se retrouvant dans une situation financière précaire à la suite du décès récent du père atteint d’un cancer, décide de louer la chambre du jeune homme à un oncle aux allures rustres et aux activités douteuses.
Simon est donc confiné au sous-sol non-fini de la maison où trônent un divan et un vieux tourne-disque, dont les airs de rock progressif qui en émanent doivent composer avec les ronflements répétitifs de la laveuse et de la sécheuse familiales. C’est là, dans le creux de cet antre sombre, que vont germer les doutes sur les premières amitiés et amours, que vont éclater les pulsions sexuelles, que vont naître les projets insolites, mais que vont aussi s’insinuer nombre d’idées aussi noires que contradictoires.
Au-dessus, dehors, règne la beauté folle des chutes Montmorency où, en amont de ses rapides, il fait bon se prélasser. C’est aussi la piscine municipale et le corps sculptural du maître-nageur qui fait tant rêver. Mais l’extérieur, c’est également la banalité des rues transversales du quartier. De celles qui mènent à l’école secondaire, vers le vestiaire des conflits et des injustices.
Fond troublant, forme bouleversante
Ce passage douloureux de l’enfance à l’âge adulte que traverse le personnage principal de Courville va de pair avec le contexte socio-politique que vit le Québec à cette époque. Dans un Canada étouffant, la province francophone veut s’affirmer jusqu’à s’affranchir en élisant, en 1976, le premier gouvernement indépendantiste de son histoire. Lepage souligne avec éclat ce parallèle, en utilisant de multiples images d’archives projetées en arrière-plan de l’action principale. Ces références historiques sont habilement intégrées au combat intérieur que se livre Simon.
De fait, le récit que nous propose l’auteur conjugue avec brio l’intime et l’universel, comme il nous y a habitué·es au fil de ses créations. Cependant, contrairement à ses autres spectacles solos tels que Vinci, La Face cachée de la lune, Les Aiguilles et l’Opium et 887, l’interprète, Olivier Normand, est ici entouré d’une quinzaine de personnages incarnés par des marionnettes géantes inspirées du bunraku, type de théâtre japonais datant du 17e siècle. Ce procédé permet d’esquiver les aléas d’une distribution qui serait composée en grande partie d’adolescent·es. Toutefois, ce choix artistique demande une précision gestuelle inouïe de la part des manipulateurs et de la manipulatrice ainsi qu’une polyvalence impressionnante de l’acteur-narrateur, qui doit moduler sa voix au gré des répliques des multiples protagonistes.
Le plateau incliné qui bascule de bas en haut et de haut en bas, nous faisant passer du sous-sol aux nombreux autres lieux où se déroule l’intrigue permet des changements de décors aussi fluides qu’instantanés. L’espace de jeu devient ainsi un castelet polymorphe époustouflant, où l’empreinte cinématographique du magicien Lepage atteint des sommets inégalés.
Au terme de cette expérience théâtrale unique, on se sent nourri·e d’une rare impression : celle d’avoir renoué avec un pan important et incontournable de son existence, alors que tout nous remuait.
Texte, conception et mise en scène : Robert Lepage. Conception et direction de création : Steve Blanchet. Assistance à la mise en scène et régie : Francis Beaulieu. Décor : Ariane Sauvé. Costumes : Virginie Leclerc. Éclairages : Nicolas Descôteaux. Musique originale : Mathieu Doyon. Marionnettes : Jean-Guy White et Céline White. Accessoires : Jeanne Lapierre. Images : Félix Fradet-Faguy. Distribution : Olivier Normand, Wellesley Robertson III, Caroline Tanguay et Martin Vaillancourt. Une production d’Ex Machina, présentée au Théâtre du Nouveau Monde du 12 septembre au 7 octobre 2023, en supplémentaires du 14 au 15 octobre 2023.
Créée au Diamant, à Québec, en 2021, Courville amorce la saison du Théâtre du Nouveau Monde dans une version écourtée ; deux heures plutôt que trois. Cette nouvelle mouture nous permet aussi de découvrir le talentueux comédien Olivier Normand, à qui Robert Lepage cède son rôle d’acteur et de narrateur.
Toutefois, le propos demeure intact. 1975, dans un bungalow de Courville, en banlieue de Québec, au pied des chutes Montmorency, Simon, jeune sculpteur de 17 ans, vit difficilement la fin de son adolescence. Sa mère se retrouvant dans une situation financière précaire à la suite du décès récent du père atteint d’un cancer, décide de louer la chambre du jeune homme à un oncle aux allures rustres et aux activités douteuses.
Simon est donc confiné au sous-sol non-fini de la maison où trônent un divan et un vieux tourne-disque, dont les airs de rock progressif qui en émanent doivent composer avec les ronflements répétitifs de la laveuse et de la sécheuse familiales. C’est là, dans le creux de cet antre sombre, que vont germer les doutes sur les premières amitiés et amours, que vont éclater les pulsions sexuelles, que vont naître les projets insolites, mais que vont aussi s’insinuer nombre d’idées aussi noires que contradictoires.
Au-dessus, dehors, règne la beauté folle des chutes Montmorency où, en amont de ses rapides, il fait bon se prélasser. C’est aussi la piscine municipale et le corps sculptural du maître-nageur qui fait tant rêver. Mais l’extérieur, c’est également la banalité des rues transversales du quartier. De celles qui mènent à l’école secondaire, vers le vestiaire des conflits et des injustices.
Fond troublant, forme bouleversante
Ce passage douloureux de l’enfance à l’âge adulte que traverse le personnage principal de Courville va de pair avec le contexte socio-politique que vit le Québec à cette époque. Dans un Canada étouffant, la province francophone veut s’affirmer jusqu’à s’affranchir en élisant, en 1976, le premier gouvernement indépendantiste de son histoire. Lepage souligne avec éclat ce parallèle, en utilisant de multiples images d’archives projetées en arrière-plan de l’action principale. Ces références historiques sont habilement intégrées au combat intérieur que se livre Simon.
De fait, le récit que nous propose l’auteur conjugue avec brio l’intime et l’universel, comme il nous y a habitué·es au fil de ses créations. Cependant, contrairement à ses autres spectacles solos tels que Vinci, La Face cachée de la lune, Les Aiguilles et l’Opium et 887, l’interprète, Olivier Normand, est ici entouré d’une quinzaine de personnages incarnés par des marionnettes géantes inspirées du bunraku, type de théâtre japonais datant du 17e siècle. Ce procédé permet d’esquiver les aléas d’une distribution qui serait composée en grande partie d’adolescent·es. Toutefois, ce choix artistique demande une précision gestuelle inouïe de la part des manipulateurs et de la manipulatrice ainsi qu’une polyvalence impressionnante de l’acteur-narrateur, qui doit moduler sa voix au gré des répliques des multiples protagonistes.
Le plateau incliné qui bascule de bas en haut et de haut en bas, nous faisant passer du sous-sol aux nombreux autres lieux où se déroule l’intrigue permet des changements de décors aussi fluides qu’instantanés. L’espace de jeu devient ainsi un castelet polymorphe époustouflant, où l’empreinte cinématographique du magicien Lepage atteint des sommets inégalés.
Au terme de cette expérience théâtrale unique, on se sent nourri·e d’une rare impression : celle d’avoir renoué avec un pan important et incontournable de son existence, alors que tout nous remuait.
Courville
Texte, conception et mise en scène : Robert Lepage. Conception et direction de création : Steve Blanchet. Assistance à la mise en scène et régie : Francis Beaulieu. Décor : Ariane Sauvé. Costumes : Virginie Leclerc. Éclairages : Nicolas Descôteaux. Musique originale : Mathieu Doyon. Marionnettes : Jean-Guy White et Céline White. Accessoires : Jeanne Lapierre. Images : Félix Fradet-Faguy. Distribution : Olivier Normand, Wellesley Robertson III, Caroline Tanguay et Martin Vaillancourt. Une production d’Ex Machina, présentée au Théâtre du Nouveau Monde du 12 septembre au 7 octobre 2023, en supplémentaires du 14 au 15 octobre 2023.