La compagnie Joussour Théâtre (« ponts » en arabe), fondée en 2018 par Hugo Fréjabise et Nadine Jaafar, qui préconise une prise de parole dans des lieux publics inusités tels que des centres commerciaux, des parcs, des ruelles et même le métro, s’installe cette fois au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour y présenter sa toute nouvelle création : Équinoxe.
Alors que l’on prend place dans les gradins de la petite salle Jean-Claude-Germain, deux jeunes femmes vêtues de blanc se prélassent sur leur transat, au centre du plateau. Une mélodie anodine émanant d’un poste de radio vintage berce leur conversation, qui nous est toutefois inaudible. Le public sombre dans le noir, le prologue s’illumine. Tels deux anges inondés de soleil surplombant la Cité, les protagonistes se mettent à disserter tantôt dans la langue de Molière, tantôt en arabe (avec surtitres en français) sur la genèse et la disparition de la parole sacrée, sur l’énigmatique Camus et, surtout, sur la petite bourgeoisie intellectuelle. Puis, la tombée du jour se faisant imminente, le duo, ainsi que son discours alambiqué, s’évanouissent, laissant place à l’arrivée des membres de la troupe de théâtre.
Soir de septembre, à l’invitation de Joaquim, le chef du groupe (alter ego de l’auteur ?), 10 jeunes hommes et femmes se retrouvent dans une vieille maison de campagne récemment acquise par Joaquim. Quelques objets épars meublent la scène et la passerelle qui la surplombe, dont une grande table de jardin autour de laquelle s’agglutinent les interprètes qui ne se sont pas vu·es depuis longtemps. L’atmosphère d’abord légère, où l’activité principale réside à déboucher et à entamer moults bouteilles d’alcool, va devenir de plus en plus sérieuse. Car mis à part le plaisir de trinquer à ces heureuses retrouvailles bucoliques et nocturnes, dans quel but Joaquim a-t-il convié la bande ? La question devient de plus en plus insistante. La réponse surgit enfin.
L’hôte désire monter un nouveau spectacle. Mais pas de façon conventionnelle ni convenue. Il propose, en s’inspirant du théâtre invisible d’Augusto Boal, de faire un coup d’éclat : assiéger le Parlement pour récupérer le droit de parole. La suggestion a l’effet d’une bombe. Certain·es sont interloqué·es, même rebuté·es, d’autres, au contraire, réagissent de façon fort enthousiaste, voire survoltée à l’idée de cette entreprise artistique iconoclaste et révolutionnaire. L’alcool aidant, les langues se délient. Les prises de position se polarisent, souvent teintées d’attaques personnelles. D’ailleurs, ont-ils tous et toutes encore envie de jouer ensemble ? Et, surtout, de s’investir dans un tel projet ? Rien n’est moins sûr. Le débat s’envenime. Il faut trancher. On vote. Verdict : cinq contre cinq ; les choses se compliquent. Les récalcitrant·es décident de quitter les lieux.
Entracte in situ
Fidèle à sa démarche d’appréhender des lieux inhabituels, Hugo Fréjabise a décidé d’investir le hall d’entrée du théâtre afin de poursuivre l’action de sa pièce Équinoxe. Ainsi, alors que l’auditoire sirote un verre, discute du premier acte et suppute sur la suite des choses, les cinq personnages démissionnaires surgissent dans l’antichambre et projettent de contre-attaquer de façon éclatante leurs partenaires. Et cela, devant les deux anges du prologue, maintenant attablés et plongés dans leur lecture, totalement étrangers à la scène.
Curieux et étonné par ce coup de théâtre inusité, le public reprend place pour assister au dénouement de cette nuit tapageuse et, surtout, fort bavarde. Sans en dévoiler le punch, force est d’admettre que le deuxième acte se révèle très décevant. Car, malgré l’énergie déployée par toute la distribution, le flux de paroles déjà imposant de la première partie, qu’il soit poétique, politique, philosophique et parfois même humoristique, devient une véritable logorrhée en fin de parcours. Et la fameuse riposte des cinq mutin·es tombe à plat tant elle s’avère risible.
À l’instar des personnages qui se remettent difficilement de leur équinoxe enivré, on est étourdi·e par l’abondance des questions existentielles évoquées, dont, entre autres, la pertinence du théâtre et la façon de l’aborder dans notre monde actuel. Mais c’est surtout leur redondance sur plus de trois heures de représentation qui est assommante. D’autant plus qu’aucune réponse probante n’est proposée. On assiste, en guise de tableau final, à une interminable réconciliation se concluant par un incessant mouvement circulaire des comédien·nes. Une désagréable sensation de tourner en rond se fait sentir.
La pression de jouer sur la scène d’un théâtre établi dans un coin du monde « monstrueusement en paix » (dixit Fréjabise) serait-elle une contradiction un tantinet désarmante pour le sulfureux Joussour ?
Texte et mise en scène : Hugo Fréjabise. Assistance à la mise en scène et dramaturgie : Elissa Kayal. Scénographie : Nadine Jaafar. Lumière : Marguerite Hudon. Musique et direction de production : Renaud Dionne. Assistance aux costumes : Marianne Aray-Fortier. Avec Stéphanie Aray, Esther Augustine, Roxane Azzaria, Marion Bajot, Louis Carrière, Sarah Cavalli Pernod, Jonathan Massoyé Guerville, Sara Naïm, Anna Sanchez, Pierre-Alexis St-Georges, Jean-Luc Terriault et Hanna Zeïda. Une création de Joussour Théâtre présentée à la salle Jean-Claude-Germain du CTD’A du 25 septembre au 14 octobre 2023.
La compagnie Joussour Théâtre (« ponts » en arabe), fondée en 2018 par Hugo Fréjabise et Nadine Jaafar, qui préconise une prise de parole dans des lieux publics inusités tels que des centres commerciaux, des parcs, des ruelles et même le métro, s’installe cette fois au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour y présenter sa toute nouvelle création : Équinoxe.
Alors que l’on prend place dans les gradins de la petite salle Jean-Claude-Germain, deux jeunes femmes vêtues de blanc se prélassent sur leur transat, au centre du plateau. Une mélodie anodine émanant d’un poste de radio vintage berce leur conversation, qui nous est toutefois inaudible. Le public sombre dans le noir, le prologue s’illumine. Tels deux anges inondés de soleil surplombant la Cité, les protagonistes se mettent à disserter tantôt dans la langue de Molière, tantôt en arabe (avec surtitres en français) sur la genèse et la disparition de la parole sacrée, sur l’énigmatique Camus et, surtout, sur la petite bourgeoisie intellectuelle. Puis, la tombée du jour se faisant imminente, le duo, ainsi que son discours alambiqué, s’évanouissent, laissant place à l’arrivée des membres de la troupe de théâtre.
Soir de septembre, à l’invitation de Joaquim, le chef du groupe (alter ego de l’auteur ?), 10 jeunes hommes et femmes se retrouvent dans une vieille maison de campagne récemment acquise par Joaquim. Quelques objets épars meublent la scène et la passerelle qui la surplombe, dont une grande table de jardin autour de laquelle s’agglutinent les interprètes qui ne se sont pas vu·es depuis longtemps. L’atmosphère d’abord légère, où l’activité principale réside à déboucher et à entamer moults bouteilles d’alcool, va devenir de plus en plus sérieuse. Car mis à part le plaisir de trinquer à ces heureuses retrouvailles bucoliques et nocturnes, dans quel but Joaquim a-t-il convié la bande ? La question devient de plus en plus insistante. La réponse surgit enfin.
L’hôte désire monter un nouveau spectacle. Mais pas de façon conventionnelle ni convenue. Il propose, en s’inspirant du théâtre invisible d’Augusto Boal, de faire un coup d’éclat : assiéger le Parlement pour récupérer le droit de parole. La suggestion a l’effet d’une bombe. Certain·es sont interloqué·es, même rebuté·es, d’autres, au contraire, réagissent de façon fort enthousiaste, voire survoltée à l’idée de cette entreprise artistique iconoclaste et révolutionnaire. L’alcool aidant, les langues se délient. Les prises de position se polarisent, souvent teintées d’attaques personnelles. D’ailleurs, ont-ils tous et toutes encore envie de jouer ensemble ? Et, surtout, de s’investir dans un tel projet ? Rien n’est moins sûr. Le débat s’envenime. Il faut trancher. On vote. Verdict : cinq contre cinq ; les choses se compliquent. Les récalcitrant·es décident de quitter les lieux.
Entracte in situ
Fidèle à sa démarche d’appréhender des lieux inhabituels, Hugo Fréjabise a décidé d’investir le hall d’entrée du théâtre afin de poursuivre l’action de sa pièce Équinoxe. Ainsi, alors que l’auditoire sirote un verre, discute du premier acte et suppute sur la suite des choses, les cinq personnages démissionnaires surgissent dans l’antichambre et projettent de contre-attaquer de façon éclatante leurs partenaires. Et cela, devant les deux anges du prologue, maintenant attablés et plongés dans leur lecture, totalement étrangers à la scène.
Curieux et étonné par ce coup de théâtre inusité, le public reprend place pour assister au dénouement de cette nuit tapageuse et, surtout, fort bavarde. Sans en dévoiler le punch, force est d’admettre que le deuxième acte se révèle très décevant. Car, malgré l’énergie déployée par toute la distribution, le flux de paroles déjà imposant de la première partie, qu’il soit poétique, politique, philosophique et parfois même humoristique, devient une véritable logorrhée en fin de parcours. Et la fameuse riposte des cinq mutin·es tombe à plat tant elle s’avère risible.
À l’instar des personnages qui se remettent difficilement de leur équinoxe enivré, on est étourdi·e par l’abondance des questions existentielles évoquées, dont, entre autres, la pertinence du théâtre et la façon de l’aborder dans notre monde actuel. Mais c’est surtout leur redondance sur plus de trois heures de représentation qui est assommante. D’autant plus qu’aucune réponse probante n’est proposée. On assiste, en guise de tableau final, à une interminable réconciliation se concluant par un incessant mouvement circulaire des comédien·nes. Une désagréable sensation de tourner en rond se fait sentir.
La pression de jouer sur la scène d’un théâtre établi dans un coin du monde « monstrueusement en paix » (dixit Fréjabise) serait-elle une contradiction un tantinet désarmante pour le sulfureux Joussour ?
Équinoxe
Texte et mise en scène : Hugo Fréjabise. Assistance à la mise en scène et dramaturgie : Elissa Kayal. Scénographie : Nadine Jaafar. Lumière : Marguerite Hudon. Musique et direction de production : Renaud Dionne. Assistance aux costumes : Marianne Aray-Fortier. Avec Stéphanie Aray, Esther Augustine, Roxane Azzaria, Marion Bajot, Louis Carrière, Sarah Cavalli Pernod, Jonathan Massoyé Guerville, Sara Naïm, Anna Sanchez, Pierre-Alexis St-Georges, Jean-Luc Terriault et Hanna Zeïda. Une création de Joussour Théâtre présentée à la salle Jean-Claude-Germain du CTD’A du 25 septembre au 14 octobre 2023.