Soirée effervescente à Premier Acte, où le milieu rap et slam s’était donné rendez-vous pour la première de la République du hip-hop du déroutant rappeur et slameur Dominique Sacy, a.k.a. Joey Money. Ouverture sur un univers singulier qui se déguste comme une délicieuse ratatouille automnale, faite de personnages charismatiques, de rêves cauchemardesques, de délitement de la langue, de lutte sans merci entre capital et humanisme, le tout sur fond de musique hip-hop. Objet théâtral jouissif dont le verbe saccadé nous brasse les neurones.
En 2038, Robert Nelson fonde la République du Bas-Canada sur le territoire du Québec. Ce premier mince en chef (président), rappeur d’Alaclair Ensemble, est le même Robert Nelson des Patriotes de 1838, ressuscité pour proclamer l’indépendance du Québec une seconde fois, 200 ans plus tard. Le troisième référendum de 2035 aura été le bon. Le Bas-Canada s’est enfin séparé du ROC. Mais les fâcheuses manies du capitalisme ont rapidement engorgé le nouveau pays pour en étouffer les citoyens sous le joug du travail qui n’enrichit que les Babouins et les Babouines d’en haut (gentilé pour les habitant∙es du Bas-Canada). Joey Money (alter ego de Sacy, ici dans la peau de Marc-Antoine Marceau), qui se proclame lui-même le 1 % du 1 %, devient donc la cible des Frères cueilleurs dont Zack et Annabelle sont des membres actifs. Les deux complices rêvent de révolution plus ou moins tranquille, car « nos indépendances sont toujours à refaire », soutient le jeune rebelle théoricien.
La salle est transformée selon les codes rap, le public encercle une scène centrale, où les poètes doivent slamer leur âme. Le DJ d’un côté, un bar ouvert de l’autre. La foule est invitée à s’investir, crier, manifester son adhésion ou sa désapprobation. Ce qu’elle fera avec enthousiasme. Il faut s’accrocher.
Un long fleuve pas tranquille
Le monde de Sacy est nourri de la Révolution tranquille et de ses artisan·es. Il invite les signataires du Refus global, Gaston Miron, Gérald Godin, Pauline Julien, René Lévesque, « qui sont tous morts dix ans plus tôt que leur espérance de vie », abattu·es par les échecs référendaires, assassiné·es par le pays non réalisé. D’autre part, il crée un tremplin avec Alaclair Ensemble, dont un des membres justement emprunte le pseudonyme du patriote Robert Nelson. Celui que les Patriotes avaient proclamé Président de la République bas-canadienne, en 1838.
Ainsi, la République se dilate sur 200 ans pour se concrétiser, mais à peine 40 ans après cet avènement, les mêmes vieilles pratiques suscitent à nouveau la révolte. Sacy en appelle à une rébellion totale, où il ne s’agit pas simplement de changer de mince en chef, mais bien de basculer dans un univers mental réconcilié avec lui-même. Annabelle défie Joey Money pour un rap battle décisif, où le perdant ou la perdante devra s’exiler pendant quatre ans. C’est le public qui tranchera.
Ici s’affrontent deux conceptions aux antipodes. Dans un coin du ring, le capital avec sa chaine de vexation : exploitation, pollution, thésaurisation, travail comme valeur suprême. Dans le coin opposé, l’humanisme avec ses utopies : fraternité, liberté, réconciliation avec la nature. Au temps compressé, Les Frères cueilleurs opposent la flânerie, à l’utilitarisme la poésie, à l’argent l’amour. Ils représentent ainsi la contre-culture de 2075. Cette épopée hip-hop de la création du pays, en forme de comédie musicale, emporte l’adhésion complice de la foule. Le spectacle est rythmé autant par le flot verbal que par l’humour et quelques phrases assassines qui viennent ponctuer ce plaidoyer pour un regain d’harmonie. Sur fond de débat ontologique exposé dans les échanges hip-hop de Zack et Annabelle, de Joey et son valet, ce spectacle apparemment léger pose des questions essentielles sur la nécessité de la révolte, sur la lutte pour enfin inventer une humanité épanouie. La confrontation entre Annabelle et sa mère reprend le constat de l’éternel recommencement. Et la bouleversante chanson de cette ancienne combattante sur sa vie perdue, interprétée comme une torture par Carmen Ferlan, est le point d’orgue d’une soirée déjà riche en écarts de conduite.
Dans cette hybridation des conventions du théâtre et du rap, soulignons le travail de Vincent Paquette qui se promène avec aisance entre musique, rap, théâtre et animation de foule. Aussi, le convaincant Samuel Bouchard en révolutionnaire pusillanime qui agit dans l’ombre. L’emblématique figure de la révolte, Myriam Lenfesty ira jusqu’à l’affrontement avec ce monde pourri représenté par Joey Money ou même sa mère qu’elle juge complice de tous les crimes contre le peuple. Petit bémol cependant, la République souffre parfois du manque de mordant de Marc-Antoine Marceau, le méchant. Le gangsta rap attendu dans l’ultime combat n’était pas au rendez-vous en ce soir de première. Et finalement, le public n’a jamais rempli son rôle de jury, sinon par une ovation debout.
Texte : Dominique Sacy. Mise en scène : Émile Beauchemin. Assistance à la mise en scène : Aude Seppey. Conception : Émile Beauchemin, Victoria Côté, Laurie Foster, Églantine Mailly, Birdie Veilleux. Direction de production : Geneviève Caron. Œil extérieur et mentorat à l’écriture : Olivier Arteau. Avec Samuel Bouchard, Carmen Ferlan, Myriam Lenfesty, Marc-Antoine Marceau, Vincent Paquette. Une production du Théâtre Astronaute et de Dominique Sacy présentée à Premier Acte du 3 au 21 octobre 2023.
Soirée effervescente à Premier Acte, où le milieu rap et slam s’était donné rendez-vous pour la première de la République du hip-hop du déroutant rappeur et slameur Dominique Sacy, a.k.a. Joey Money. Ouverture sur un univers singulier qui se déguste comme une délicieuse ratatouille automnale, faite de personnages charismatiques, de rêves cauchemardesques, de délitement de la langue, de lutte sans merci entre capital et humanisme, le tout sur fond de musique hip-hop. Objet théâtral jouissif dont le verbe saccadé nous brasse les neurones.
En 2038, Robert Nelson fonde la République du Bas-Canada sur le territoire du Québec. Ce premier mince en chef (président), rappeur d’Alaclair Ensemble, est le même Robert Nelson des Patriotes de 1838, ressuscité pour proclamer l’indépendance du Québec une seconde fois, 200 ans plus tard. Le troisième référendum de 2035 aura été le bon. Le Bas-Canada s’est enfin séparé du ROC. Mais les fâcheuses manies du capitalisme ont rapidement engorgé le nouveau pays pour en étouffer les citoyens sous le joug du travail qui n’enrichit que les Babouins et les Babouines d’en haut (gentilé pour les habitant∙es du Bas-Canada). Joey Money (alter ego de Sacy, ici dans la peau de Marc-Antoine Marceau), qui se proclame lui-même le 1 % du 1 %, devient donc la cible des Frères cueilleurs dont Zack et Annabelle sont des membres actifs. Les deux complices rêvent de révolution plus ou moins tranquille, car « nos indépendances sont toujours à refaire », soutient le jeune rebelle théoricien.
La salle est transformée selon les codes rap, le public encercle une scène centrale, où les poètes doivent slamer leur âme. Le DJ d’un côté, un bar ouvert de l’autre. La foule est invitée à s’investir, crier, manifester son adhésion ou sa désapprobation. Ce qu’elle fera avec enthousiasme. Il faut s’accrocher.
Un long fleuve pas tranquille
Le monde de Sacy est nourri de la Révolution tranquille et de ses artisan·es. Il invite les signataires du Refus global, Gaston Miron, Gérald Godin, Pauline Julien, René Lévesque, « qui sont tous morts dix ans plus tôt que leur espérance de vie », abattu·es par les échecs référendaires, assassiné·es par le pays non réalisé. D’autre part, il crée un tremplin avec Alaclair Ensemble, dont un des membres justement emprunte le pseudonyme du patriote Robert Nelson. Celui que les Patriotes avaient proclamé Président de la République bas-canadienne, en 1838.
Ainsi, la République se dilate sur 200 ans pour se concrétiser, mais à peine 40 ans après cet avènement, les mêmes vieilles pratiques suscitent à nouveau la révolte. Sacy en appelle à une rébellion totale, où il ne s’agit pas simplement de changer de mince en chef, mais bien de basculer dans un univers mental réconcilié avec lui-même. Annabelle défie Joey Money pour un rap battle décisif, où le perdant ou la perdante devra s’exiler pendant quatre ans. C’est le public qui tranchera.
Ici s’affrontent deux conceptions aux antipodes. Dans un coin du ring, le capital avec sa chaine de vexation : exploitation, pollution, thésaurisation, travail comme valeur suprême. Dans le coin opposé, l’humanisme avec ses utopies : fraternité, liberté, réconciliation avec la nature. Au temps compressé, Les Frères cueilleurs opposent la flânerie, à l’utilitarisme la poésie, à l’argent l’amour. Ils représentent ainsi la contre-culture de 2075. Cette épopée hip-hop de la création du pays, en forme de comédie musicale, emporte l’adhésion complice de la foule. Le spectacle est rythmé autant par le flot verbal que par l’humour et quelques phrases assassines qui viennent ponctuer ce plaidoyer pour un regain d’harmonie. Sur fond de débat ontologique exposé dans les échanges hip-hop de Zack et Annabelle, de Joey et son valet, ce spectacle apparemment léger pose des questions essentielles sur la nécessité de la révolte, sur la lutte pour enfin inventer une humanité épanouie. La confrontation entre Annabelle et sa mère reprend le constat de l’éternel recommencement. Et la bouleversante chanson de cette ancienne combattante sur sa vie perdue, interprétée comme une torture par Carmen Ferlan, est le point d’orgue d’une soirée déjà riche en écarts de conduite.
Dans cette hybridation des conventions du théâtre et du rap, soulignons le travail de Vincent Paquette qui se promène avec aisance entre musique, rap, théâtre et animation de foule. Aussi, le convaincant Samuel Bouchard en révolutionnaire pusillanime qui agit dans l’ombre. L’emblématique figure de la révolte, Myriam Lenfesty ira jusqu’à l’affrontement avec ce monde pourri représenté par Joey Money ou même sa mère qu’elle juge complice de tous les crimes contre le peuple. Petit bémol cependant, la République souffre parfois du manque de mordant de Marc-Antoine Marceau, le méchant. Le gangsta rap attendu dans l’ultime combat n’était pas au rendez-vous en ce soir de première. Et finalement, le public n’a jamais rempli son rôle de jury, sinon par une ovation debout.
La République hip-hop du Bas-Canada
Texte : Dominique Sacy. Mise en scène : Émile Beauchemin. Assistance à la mise en scène : Aude Seppey. Conception : Émile Beauchemin, Victoria Côté, Laurie Foster, Églantine Mailly, Birdie Veilleux. Direction de production : Geneviève Caron. Œil extérieur et mentorat à l’écriture : Olivier Arteau. Avec Samuel Bouchard, Carmen Ferlan, Myriam Lenfesty, Marc-Antoine Marceau, Vincent Paquette. Une production du Théâtre Astronaute et de Dominique Sacy présentée à Premier Acte du 3 au 21 octobre 2023.