Critiques

Une petite fête — Cabaret de la dissidence : Ode à la liberté

© David Ospina

Un paradoxe comique se manifeste dans la salle avant la représentation. Les enfants ont été installés par terre, autour du petit tréteau, et les adultes, assis sur des bancs derrière, s’évertuent à maintenir ces mioches de garderie sagement immobiles (mission impossible !). Or, le spectacle qu’on s’apprête à voir est une ode à la liberté, sinon à la désobéissance, revendiquant un renversement des règles et de l’ordre, en toute démocratie.

Destiné aux 4 à 8 ans, le « cabaret de la dissidence », signé par Martin Bellemare et mis en scène par Marie-Eve Huot (solide relève à la tête du Carrousel) est joyeux et ludique à souhait. Dans un esprit carnavalesque, on commence par la fin et termine par le début, on pète en chœur et on s’amuse à contourner les consignes. Annonçant les couleurs de leur cabaret, un maître et une maîtresse de cérémonie débattent à propos de la présence d’adultes dans la salle, pour finir par concéder qu’« un poil d’adulte est toléré par personne », notre territoire étant sur-le-champ délimité par un cordon de… poils. On comprend que toute règle est sujette à être assouplie… si tout le monde est d’accord.

© David Ospina

« Dissider » et décider

Pénélope Ducharme et Mathieu Gosselin saturent la minuscule aire de jeu de leur énergie et de leur agilité, tandis que l’homme-orchestre Némo Venba les accompagne avec aplomb, personnage à part entière, bruiteur et musicien, prenant place en face de la scène dans un espace plus petit encore avec ses instruments colorés et certains accessoires. Ce trio a tout pour faire lever le party ! Dans une enfilade de numéros de cirque et de burlesque dont la cadence ne laisse pas au jeune public le temps de s’ennuyer, ces artistes font la promotion d’une saine délinquance et revendiquent un plaisir espiègle. On prévient ainsi qu’il y aura de la nudité (bien sûr hautement suggestive) et de la violence sur scène : une grosse mailloche en caoutchouc qui ne servira finalement pas, comme en décidera une petite spectatrice invitée sur scène. En effet, le droit de « dissider » et, pour ce faire, de « décider » préside à l’ensemble de la proposition. Dès lors, il n’est pas sûr que les enfants voudront se prévaloir de la permission de commettre un geste normalement interdit, telle la destruction d’un jouet. La petite Antoinette, quant à elle, a refusé.

Les scènes de l’effeuillage coquin et du dressage de fauve sont habillement simulées. Les enfants se prêtent au jeu avec entrain, faisant mine d’avoir peur du loup ou de s’insurger contre le fieffé menteur qui prend un malin plaisir à les contredire. La créativité et la variété des tableaux enchantent, qu’il s’agisse d’une rencontre amoureuse au son mélancolique de la scie musicale, d’une parade d’animaux aux masques magnifiques, d’une séance de défoulement de air guitar menée par un punk ou d’un numéro d’équilibriste qui veut contrer la loi de la gravité et donc simplement… se tenir debout.

Réjouissante, cette absurdité distille une gaieté enfantine dans le texte comme dans la mise en scène. Une magicienne, coiffée d’un haut-de-forme orné d’un lapin, se présente munie de sa « baguette » magique : un pain qui, rompu, servira au « solo de baguettes » à la batterie. Tout aussi absurdes, les règlements déraisonnables font l’objet de débat, comme celui n’autorisant qu’un seul pipi par jour à une seule personne. L’intelligence des tout-petits et des toutes-petites est sollicitée : oui, il faut parfois réinventer les règles, dans un souci de justice et de respect mutuel. Ce cabaret guilleret l’illustre magistralement.

© David Ospina

Une petite fête — Cabaret de la dissidence

Texte : Martin Bellemare. Mise en scène : Marie-Eve Huot, assistée d’Alexandra Sutto. Musique : Diane Labrosse. Espace et accessoires : Margot Lacoste. Lumières : Louis-Xavier Gagnon-Lebrun, assisté de Nicola Dubois. Costumes et accessoires : Sarah Chabrier, assistée de Vivienne Worotnik. Coiffures et maquillages : Suzanne Trépanier. Compagnon à la dramaturgie scénique : Patrice Charbonneau-Brunelle. Avec Pénélope Ducharme, Mathieu Gosselin et Némo Venba. Une création du Carrousel, compagnie de théâtre, présentée à la Maison Théâtre du 12 au 22 octobre 2023.