Amour, Sacrifice, Abîme et Trépas : telle est la séquence des tableaux tragiques que raconte La Dame aux camélias, histoire très bien dansée d’un amour contrarié par les normes sociales et les conventions de classe.
Paradoxalement, La Dame aux camélias n’est pas une pièce triste, mais un classique du divertissement. Immortalisé en danse par Margot Fonteyn et Rudolf Noureev et par l’opéra de Verdi, ce roman à grand succès, adapté sur scène et au cinéma, repose sur un fait divers : la courte vie amoureuse d’une jeune prostituée des milieux parisiens.
Ce nouveau ballet entre dans une longue série. Prétexte pour la danse, cette comédie de mœurs, inspirée par l’amour du fantasque et dissipé Alexandre Dumas pour une jeune personne qui devait mourir à 23 ans, permet à chaque artiste des Grands Ballets d’y déployer son savoir-faire. Au final, tous visent une charge expressive de théâtralité, qui l’apparente aux livres de contes.
L’expression sentimentale y est donc à son pic, redoublée par le chorégraphe Peter Quanz, qui a eu la bonne idée d’y reprendre le prologue. Ce lien tourne « l’empire que cette femme prenait sur [l]a vie » du narrateur vers le personnage même de Marguerite.
Surtout dans le ballet, où on ne parle pas, l’éternelle beauté féminine et la douleur funeste de sa perte sont des thèmes obligés. La danse s’empare ainsi de « la vierge la plus amoureuse et la plus pure », archétype de la ballerine, qui paraît toujours s’envoler sans effort ou s‘évanouir entre les voiles de ses robes.
Dans la pure tradition narrative
Ce ballet, avec ses figures classiques que les deux premières danseuses de la compagnie, Rachele Buriassi et Maude Sabourin, exécutent à la perfection, est-il sans âge ou encore du nôtre, dans sa déclinaison cinématographique, mélodramatique, mélodique et scénique ? Les Grands Ballets de Montréal le proposent dans cette veine colorée et passionnelle des mœurs de salon, des romans à l’eau de rose et des histoires qui font rêver les enfants.
Sise dans des éclairages magnifiques, aux effets rutilants, avec ses costumes de théâtre, portés par des danseuses expertes et des danseurs disciplinés, cette danse dévide ses images, désignant sans équivoque la richesse, au sens propre et figuré, des sentiments. La danse y est émouvante, techniquement admirable, mais sur le plan de l’invention du mouvement, la chorégraphie y semble quelque peu accessoire, étant porteuse de la trame générale plus que d’elle-même.
Néanmoins, ce ballet classique est beau, orchestré avec un maximum de personnages en scène – une vingtaine en costumes d’homme, dansés également par des femmes (dont l’une n’était jamais en rythme le soir de la première), figurant la belle société qui discipline et encadre ce monde frivole des soirées mondaines. La chorégraphie de Quantz, dotée d’un bon allant, valorise la perfection des ballerines, certes interchangeables, hautement entraînées et souvent en pose démonstrative.
On y recherche et y obtient des applaudissements, mérités, appuyés, entrecoupant la chorégraphie au rythme d’exploits conçus comme des numéros de voltige. Impossible d’y bouder son plaisir, d’autant plus que de telles pièces, à grand déploiement et investies par autant d’artistes, se font rares depuis plusieurs années.
Une riche mise en scène
Les moyens déployés pour Peter Quanz ne sont donc pas vains. Cet artiste canadien, qui s’est rendu célèbre notamment en Asie, a le sens des figures et du groupe. Il suit l’esprit de Dumas, dans cette histoire alerte et sympathique, sans réel traitement profond, même si le critique littéraire Charles Dantzig qualifiait l’œuvre de « stéréotype bavard » et l’avait rangé dans son dictionnaire des clichés en 2016.
Nombreux sont les créateurs qui ont doublé ce roman d’une autre version de cet amour malheureux. Dans la version des GBC, c’est la musique qui subit ce traitement enrichi, puisqu’on y entend des airs archi célèbres et entraînants ; préférence est donnée aux compositrices, à cinq contre un. La pianiste en scène et la cheffe d’orchestre y ajoutent une belle présence.
Si la pièce fut écrite au temps d’un changement de mœurs, à la Révolution française de 1848, alors que Dumas n’avait que 24 ans, on constatera que notre plus grand plaisir tient aux images de l’histoire. Peu importe ici le fond, dont d’ailleurs, au chapitre de la mort, Quanz nous présente un tableau assez fade de ce qu’elle représente ; ce qui plaît, c’est le décor d’un intérieur exubérant de couleurs, où la composition est figée quand le rideau s’ouvre après l’entr’acte, comme signée par Renoir.
Les ressources scéniques de ce ballet y sont tout sauf évanescentes, sauf mortelles. L’éclat de la scène et la maîtrise cohérente de la danse y font déborder l’illustration. Cette mise en espace n’y a rien d’un art postmoderne, mais elle résonne dans la grande continuité des variations classiques sur un art qui fait son chemin.
Chorégraphie : Peter Quanz. Décors : Michael Gianfrancesco. Costumes : Anne Armit. Éclairages : Marc Parent. Accessoires : Normand Blais. Narration : Jonathan Michaud. Musique : Lili Boulanger, Louise Farrenc, Carl Maria Von Weber, Fanny Mendelssohn, Kaija Saariano, Clara Schumann. Sélection musicale et arrangements : Florian Ziemen. Cheffe d’orchestre : Dina Gilbert. Pianiste soliste : Rosalie Asselin. Présenté par les Grands Ballets Canadiens à la salle Wilfrid-Laurier de la Place des Arts, à Montréal, avec l’Orchestre des Grands Ballets, du 19 au 28 octobre 2023.
Amour, Sacrifice, Abîme et Trépas : telle est la séquence des tableaux tragiques que raconte La Dame aux camélias, histoire très bien dansée d’un amour contrarié par les normes sociales et les conventions de classe.
Paradoxalement, La Dame aux camélias n’est pas une pièce triste, mais un classique du divertissement. Immortalisé en danse par Margot Fonteyn et Rudolf Noureev et par l’opéra de Verdi, ce roman à grand succès, adapté sur scène et au cinéma, repose sur un fait divers : la courte vie amoureuse d’une jeune prostituée des milieux parisiens.
Ce nouveau ballet entre dans une longue série. Prétexte pour la danse, cette comédie de mœurs, inspirée par l’amour du fantasque et dissipé Alexandre Dumas pour une jeune personne qui devait mourir à 23 ans, permet à chaque artiste des Grands Ballets d’y déployer son savoir-faire. Au final, tous visent une charge expressive de théâtralité, qui l’apparente aux livres de contes.
L’expression sentimentale y est donc à son pic, redoublée par le chorégraphe Peter Quanz, qui a eu la bonne idée d’y reprendre le prologue. Ce lien tourne « l’empire que cette femme prenait sur [l]a vie » du narrateur vers le personnage même de Marguerite.
Surtout dans le ballet, où on ne parle pas, l’éternelle beauté féminine et la douleur funeste de sa perte sont des thèmes obligés. La danse s’empare ainsi de « la vierge la plus amoureuse et la plus pure », archétype de la ballerine, qui paraît toujours s’envoler sans effort ou s‘évanouir entre les voiles de ses robes.
Dans la pure tradition narrative
Ce ballet, avec ses figures classiques que les deux premières danseuses de la compagnie, Rachele Buriassi et Maude Sabourin, exécutent à la perfection, est-il sans âge ou encore du nôtre, dans sa déclinaison cinématographique, mélodramatique, mélodique et scénique ? Les Grands Ballets de Montréal le proposent dans cette veine colorée et passionnelle des mœurs de salon, des romans à l’eau de rose et des histoires qui font rêver les enfants.
Sise dans des éclairages magnifiques, aux effets rutilants, avec ses costumes de théâtre, portés par des danseuses expertes et des danseurs disciplinés, cette danse dévide ses images, désignant sans équivoque la richesse, au sens propre et figuré, des sentiments. La danse y est émouvante, techniquement admirable, mais sur le plan de l’invention du mouvement, la chorégraphie y semble quelque peu accessoire, étant porteuse de la trame générale plus que d’elle-même.
Néanmoins, ce ballet classique est beau, orchestré avec un maximum de personnages en scène – une vingtaine en costumes d’homme, dansés également par des femmes (dont l’une n’était jamais en rythme le soir de la première), figurant la belle société qui discipline et encadre ce monde frivole des soirées mondaines. La chorégraphie de Quantz, dotée d’un bon allant, valorise la perfection des ballerines, certes interchangeables, hautement entraînées et souvent en pose démonstrative.
On y recherche et y obtient des applaudissements, mérités, appuyés, entrecoupant la chorégraphie au rythme d’exploits conçus comme des numéros de voltige. Impossible d’y bouder son plaisir, d’autant plus que de telles pièces, à grand déploiement et investies par autant d’artistes, se font rares depuis plusieurs années.
Une riche mise en scène
Les moyens déployés pour Peter Quanz ne sont donc pas vains. Cet artiste canadien, qui s’est rendu célèbre notamment en Asie, a le sens des figures et du groupe. Il suit l’esprit de Dumas, dans cette histoire alerte et sympathique, sans réel traitement profond, même si le critique littéraire Charles Dantzig qualifiait l’œuvre de « stéréotype bavard » et l’avait rangé dans son dictionnaire des clichés en 2016.
Nombreux sont les créateurs qui ont doublé ce roman d’une autre version de cet amour malheureux. Dans la version des GBC, c’est la musique qui subit ce traitement enrichi, puisqu’on y entend des airs archi célèbres et entraînants ; préférence est donnée aux compositrices, à cinq contre un. La pianiste en scène et la cheffe d’orchestre y ajoutent une belle présence.
Si la pièce fut écrite au temps d’un changement de mœurs, à la Révolution française de 1848, alors que Dumas n’avait que 24 ans, on constatera que notre plus grand plaisir tient aux images de l’histoire. Peu importe ici le fond, dont d’ailleurs, au chapitre de la mort, Quanz nous présente un tableau assez fade de ce qu’elle représente ; ce qui plaît, c’est le décor d’un intérieur exubérant de couleurs, où la composition est figée quand le rideau s’ouvre après l’entr’acte, comme signée par Renoir.
Les ressources scéniques de ce ballet y sont tout sauf évanescentes, sauf mortelles. L’éclat de la scène et la maîtrise cohérente de la danse y font déborder l’illustration. Cette mise en espace n’y a rien d’un art postmoderne, mais elle résonne dans la grande continuité des variations classiques sur un art qui fait son chemin.
La Dame aux camélias
Chorégraphie : Peter Quanz. Décors : Michael Gianfrancesco. Costumes : Anne Armit. Éclairages : Marc Parent. Accessoires : Normand Blais. Narration : Jonathan Michaud. Musique : Lili Boulanger, Louise Farrenc, Carl Maria Von Weber, Fanny Mendelssohn, Kaija Saariano, Clara Schumann. Sélection musicale et arrangements : Florian Ziemen. Cheffe d’orchestre : Dina Gilbert. Pianiste soliste : Rosalie Asselin. Présenté par les Grands Ballets Canadiens à la salle Wilfrid-Laurier de la Place des Arts, à Montréal, avec l’Orchestre des Grands Ballets, du 19 au 28 octobre 2023.