Lauréate en 2006 du Grand prix du livre de Montréal et du Prix du roman du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Parents et amis sont invités à y assister, d’Hervé Bouchard, est une œuvre inclassable et démesurée, qui sied fort bien à l’univers du metteur en scène Christian Lapointe. Celui-ci en avait d’ailleurs obtenu les droits dès 2007. Il lui aura fallu 15 ans pour que le projet un peu fou de la présenter au théâtre aboutisse, sous l’égide du directeur sortant du Quat’Sous, Olivier Keimed, qui en avait lui-même mis en lecture quelques extraits lors du Festival international de littérature (FIL) de 2007.
Impossible à résumer, ce texte foisonnant explore le gouffre qui se crée lorsque le père disparaît, laissant derrière lui des enfants « orphelinés » et une veuve « manchée », si explorée qu’elle s’est enfermée dans une robe de bois privée de bras, comme dans un cercueil. Présentée dans sa forme intégrale, la pièce durerait probablement 4 ou 5 heures. Lapointe en a fait une version d’une heure et demie, en se concentrant sur les personnages principaux : la mère, les enfants et les belles-sœurs indiscrètes et envahissantes. Ici, ce qui compte, ce sont les mots, par eux-mêmes, la parole à la fois comme moteur et comme thérapie. Ainsi, les personnages ne dialoguent pas vraiment mais racontent et se racontent, dans une langue bien à eux, mêlant néologismes et élans poétiques. Bouchard les nomme d’ailleurs des « persons », traduisant ainsi leur vocation d’émetteurs sonores.
Épreuve initiatique
La proposition de Lapointe est extrêmement solide et force l’admiration. Costumes, lumières, musique et emploi des caméras, tout ici est parfaitement cohérent, et conçu pour nous plonger dans un univers singulier et grotesque, à la limite du délire fiévreux. Il émerge de l’ensemble un sentiment de malaise et de fascination morbide qui nous suit longtemps après la fin du spectacle. Les costumes signés Virginie Leclerc sont particulièrement réussis et méritent une mention spéciale.
Il faut saluer les interprètes, qui se sont magistralement approprié le texte et nous le livrent avec une énergie sans faille. Tandis que la veuve manchée (Lise Castonguay) est immobile, le corps entier caché sous une magnifique robe de copeaux, les autres s’agitent la tête dissimulée sous des perruques et des masques lisses qui leur donnent des airs de poupées cauchemardesques.
Face à ce déferlement de mots issus des tréfonds de l’âme et faisant fi de la vraisemblance, le public est sonné. Pour résister à l’épreuve, il faut accepter de lâcher-prise et d’entrer dans une autre dimension, un espace-temps indistinct, sorte d’inconscient collectif où la parole comble le vide et permet de résister à la disparition. On ne peut toutefois s’empêcher de penser que c’est à l’écrit que le texte de celui que l’on a tout à tour comparé à Beckett, Mallarmé, Lautréamont et Novarina prend toute sa dimension et qu’il vaut mieux le lire que l’entendre pour l’apprécier pleinement.
Finalement, toute la pièce semble avoir été une démonstration de l’une des dernières répliques de la veuve manchée « (…) je l’ai entendu déclarer (…) que les paroles on avait beau les proférer en lien direct avec son intérieur à soi afin de s’ouvrir tout grand, jamais rien ne pouvait atteindre pour vrai les autres dans leurs oreilles parce que les autres sont trop pleins d’eux-mêmes pour entendre quoi que ce soit. »
Texte : Hervé Bouchard. Montage dramaturgique et mise en scène : Christian Lapointe. Interprétation : Sylvio Arriola, Lise Castonguay, Tiffany Montambault, Ève Pressault, Gabriel Szabo. Assistance à la mise en scène : Véronic Marticotte. Conception de décor : Anick La Bissonnière. Conception des accessoires : Claire Renaud. Conception des costumes : Virginie Leclerc. Conception des éclairages : Martin Sirois. Conception sonore : Andréa Marsolais-Roy. Assistance aux accessoires : Sophie Paquette. Dramaturgie : Paul Lefebvre. Moulage robe de bois : Danielle Boutin, Virginie Leclerc. Réalisation robe de bois : Virginie Leclerc. Assistance aux costumes : Didier Sénécal. Programmation vidéo : Guillaume Lévesque — Sporobole. Réalisation jupe en acier : Catherine Fasquelle. Réalisation des maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Une création du Théâtre de Quat’Sous et de Carte blanche présentée jusqu’au 11 novembre 2023.
Lauréate en 2006 du Grand prix du livre de Montréal et du Prix du roman du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Parents et amis sont invités à y assister, d’Hervé Bouchard, est une œuvre inclassable et démesurée, qui sied fort bien à l’univers du metteur en scène Christian Lapointe. Celui-ci en avait d’ailleurs obtenu les droits dès 2007. Il lui aura fallu 15 ans pour que le projet un peu fou de la présenter au théâtre aboutisse, sous l’égide du directeur sortant du Quat’Sous, Olivier Keimed, qui en avait lui-même mis en lecture quelques extraits lors du Festival international de littérature (FIL) de 2007.
Impossible à résumer, ce texte foisonnant explore le gouffre qui se crée lorsque le père disparaît, laissant derrière lui des enfants « orphelinés » et une veuve « manchée », si explorée qu’elle s’est enfermée dans une robe de bois privée de bras, comme dans un cercueil. Présentée dans sa forme intégrale, la pièce durerait probablement 4 ou 5 heures. Lapointe en a fait une version d’une heure et demie, en se concentrant sur les personnages principaux : la mère, les enfants et les belles-sœurs indiscrètes et envahissantes. Ici, ce qui compte, ce sont les mots, par eux-mêmes, la parole à la fois comme moteur et comme thérapie. Ainsi, les personnages ne dialoguent pas vraiment mais racontent et se racontent, dans une langue bien à eux, mêlant néologismes et élans poétiques. Bouchard les nomme d’ailleurs des « persons », traduisant ainsi leur vocation d’émetteurs sonores.
Épreuve initiatique
La proposition de Lapointe est extrêmement solide et force l’admiration. Costumes, lumières, musique et emploi des caméras, tout ici est parfaitement cohérent, et conçu pour nous plonger dans un univers singulier et grotesque, à la limite du délire fiévreux. Il émerge de l’ensemble un sentiment de malaise et de fascination morbide qui nous suit longtemps après la fin du spectacle. Les costumes signés Virginie Leclerc sont particulièrement réussis et méritent une mention spéciale.
Il faut saluer les interprètes, qui se sont magistralement approprié le texte et nous le livrent avec une énergie sans faille. Tandis que la veuve manchée (Lise Castonguay) est immobile, le corps entier caché sous une magnifique robe de copeaux, les autres s’agitent la tête dissimulée sous des perruques et des masques lisses qui leur donnent des airs de poupées cauchemardesques.
Face à ce déferlement de mots issus des tréfonds de l’âme et faisant fi de la vraisemblance, le public est sonné. Pour résister à l’épreuve, il faut accepter de lâcher-prise et d’entrer dans une autre dimension, un espace-temps indistinct, sorte d’inconscient collectif où la parole comble le vide et permet de résister à la disparition. On ne peut toutefois s’empêcher de penser que c’est à l’écrit que le texte de celui que l’on a tout à tour comparé à Beckett, Mallarmé, Lautréamont et Novarina prend toute sa dimension et qu’il vaut mieux le lire que l’entendre pour l’apprécier pleinement.
Finalement, toute la pièce semble avoir été une démonstration de l’une des dernières répliques de la veuve manchée « (…) je l’ai entendu déclarer (…) que les paroles on avait beau les proférer en lien direct avec son intérieur à soi afin de s’ouvrir tout grand, jamais rien ne pouvait atteindre pour vrai les autres dans leurs oreilles parce que les autres sont trop pleins d’eux-mêmes pour entendre quoi que ce soit. »
Parents et amis sont invités à y assister
Texte : Hervé Bouchard. Montage dramaturgique et mise en scène : Christian Lapointe. Interprétation : Sylvio Arriola, Lise Castonguay, Tiffany Montambault, Ève Pressault, Gabriel Szabo. Assistance à la mise en scène : Véronic Marticotte. Conception de décor : Anick La Bissonnière. Conception des accessoires : Claire Renaud. Conception des costumes : Virginie Leclerc. Conception des éclairages : Martin Sirois. Conception sonore : Andréa Marsolais-Roy. Assistance aux accessoires : Sophie Paquette. Dramaturgie : Paul Lefebvre. Moulage robe de bois : Danielle Boutin, Virginie Leclerc. Réalisation robe de bois : Virginie Leclerc. Assistance aux costumes : Didier Sénécal. Programmation vidéo : Guillaume Lévesque — Sporobole. Réalisation jupe en acier : Catherine Fasquelle. Réalisation des maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Une création du Théâtre de Quat’Sous et de Carte blanche présentée jusqu’au 11 novembre 2023.