En 2012, on découvrait avec horreur le corps démembré d’un jeune homme dans le quartier Côte-des-Neiges de Montréal. S’est ensuivie une chasse à l’homme qui s’est terminée en Allemagne. L’homme arrêté avait laissé derrière lui de nombreuses preuves de son crime, avait envoyé un pied de la victime au bureau du premier ministre du Canada de l’époque, Stephen Harper, et avait même filmé le déroulement de son dépeçage pour le diffuser en ligne. Une histoire crève-cœur et sordide s’il en est une, à laquelle Projet MÛ s’attaque ces jours-ci au Prospero avec la pièce Homicide.
À la demande de la mère de la victime, et comme mentionné lors de la représentation, le nom du meurtrier n’est jamais mentionné. Il ne le sera pas dans ce texte non plus, même s’il est très reconnaissable. Le fait de ne pas nommer s’intègre d’ailleurs intelligemment au propos de l’œuvre. Très clairement, et avec succès, la metteuse en scène Nini Bélanger et son complice, l’auteur Pascal Brullemans, prennent le parti de l’amoralité et du point de vue direct, cru — que le public se le tienne pour dit.
Durant presque tout le déroulement du spectacle, mis à part la fin, on se retrouve plongé·e dans le tourbillon des pensées d’un homme seul qui fomente un plan d’assassinat comme manière d’aboutir à la réalisation de sa vie, son œuvre d’art, son exploit pour une nouvelle ère qu’il sent se dérouler devant lui ; celle de l’information, du téléphone portable, des likes et du streaming. Toutes ces choses, il les consomme sans modération, lui qui veut, plus que tout, être reconnu, avoir un nom. On le comprend à travers son monologue, si dense et incessant qu’on en perd le fil et la raison : son but est de réaliser le premier meurtre filmé et diffusé en direct, à grande échelle.
Horreur et détresse
Joué avec une justesse de ton et une sobriété effroyables par un Dany Boudreault dont la performance atteint des sommets, ce personnage érige en idéal ultime la beauté plastique de son corps en lieu et place de valeurs morales, quelles qu’elles soient. Toutes ses actions portent vers son accession à la perfection physique de son image. Ce corps, il en use et en abuse, en améliore la capacité musculaire, le corrige à coup de chirurgie, le montre à la caméra (et à l’assistance) sous tous ses angles. On applaudit l’usage de la vidéo qui dessert bien le propos en montrant l’homme en gros plan, et même en très gros plan. Cela mène à mieux décrire son caractère, et à préciser ses obsessions. Son audition pour une émission de téléréalité, filmée de très près, donne la chair de poule, mais permet également d’admirer la finesse du jeu de l’acteur.
D’une efficacité redoutable, la scénographie de Marilène Bastien propose un contrepoint judicieux à la logorrhée du protagoniste. Un divan et une table, répétés trois fois, en diagonale, surplombés à chaque fois d’un luminaire servant aussi d’écran, peuvent simuler un petit salon d’appartement ou encore une aire de repos d’aéroport. Ce dispositif, par sa répétition, par sa simplicité, souligne la solitude du criminel, mais aussi son anonymat. Car si la volonté de commettre cet acte indique un esprit malade, il est aussi clair que cet homme n’a rien de spécial. Il se perd en autogratifications tout en tentant de perpétuer un stéréotype qu’il endosse, paradoxalement, pour se distinguer des autres.
Christian Rangel, quant à lui, joue l’Autre (qu’il s’agisse d’un amant de passage ou bien, plus tard, de la victime) avec un réalisme qui laisse pantois. Le malaise est palpable lorsque le bourreau manipule son cadavre, l’assoit sur une chaise, lui redresse la tête pour que le mort nous regarde… Par-dessus tout cela, la trame musicale de Navet Confit et les éclairages de Cédric Delorme-Bouchard complètent l’ensemble dans une ambiance tendue, délétère, très réussie. D’ailleurs, c’est indéniable, la pièce est une réussite sur le plan du jeu des acteurs et sur le plan esthétique, un véritable trou noir qui happe le public. Le tumulte de paroles, le voyeurisme assumé du personnage, tout cela fascine et subjugue, et la partition inspirée de Brullemans y est pour beaucoup.
Seule la fin, en courtes saynètes, s’essouffle un peu, au moment où le point de vue passe de celui du tueur à celui de la victime, puis à celui de leur entourage. L’ambiance à couper au couteau se délaie et on semble perdre quelque peu de vue l’orientation claire du départ. Insistons malgré cela sur l’essentiel : Homicide fouette les sangs et marque le public au fer rouge.
Personne n’en sortira indemne.
Texte : Pascal Brullemans. Mise en scène : Nini Bélanger. Dramaturgie : Mathilde Benignus. Assistance à la mise en scène et régie : Roxanne Gallant. Direction technique : Clémence Dray. Conseil à la direction technique : David Poisson. Scénographie et costumes : Marilène Bastien. Direction de production : Catherine Alepin. Lumière : Cédric Delorme-Bouchard. Musique : Navet Confit. Conception vidéo : Julien Blais. Maquillages : Sylvie Rolland Provost. Voix : Charlie Monty. Avec Dany Boudreault et Christian Rangel. Une production de Projet MÛ présentée au Théâtre Prospero du 24 octobre au 11 novembre 2023.
En 2012, on découvrait avec horreur le corps démembré d’un jeune homme dans le quartier Côte-des-Neiges de Montréal. S’est ensuivie une chasse à l’homme qui s’est terminée en Allemagne. L’homme arrêté avait laissé derrière lui de nombreuses preuves de son crime, avait envoyé un pied de la victime au bureau du premier ministre du Canada de l’époque, Stephen Harper, et avait même filmé le déroulement de son dépeçage pour le diffuser en ligne. Une histoire crève-cœur et sordide s’il en est une, à laquelle Projet MÛ s’attaque ces jours-ci au Prospero avec la pièce Homicide.
À la demande de la mère de la victime, et comme mentionné lors de la représentation, le nom du meurtrier n’est jamais mentionné. Il ne le sera pas dans ce texte non plus, même s’il est très reconnaissable. Le fait de ne pas nommer s’intègre d’ailleurs intelligemment au propos de l’œuvre. Très clairement, et avec succès, la metteuse en scène Nini Bélanger et son complice, l’auteur Pascal Brullemans, prennent le parti de l’amoralité et du point de vue direct, cru — que le public se le tienne pour dit.
Durant presque tout le déroulement du spectacle, mis à part la fin, on se retrouve plongé·e dans le tourbillon des pensées d’un homme seul qui fomente un plan d’assassinat comme manière d’aboutir à la réalisation de sa vie, son œuvre d’art, son exploit pour une nouvelle ère qu’il sent se dérouler devant lui ; celle de l’information, du téléphone portable, des likes et du streaming. Toutes ces choses, il les consomme sans modération, lui qui veut, plus que tout, être reconnu, avoir un nom. On le comprend à travers son monologue, si dense et incessant qu’on en perd le fil et la raison : son but est de réaliser le premier meurtre filmé et diffusé en direct, à grande échelle.
Horreur et détresse
Joué avec une justesse de ton et une sobriété effroyables par un Dany Boudreault dont la performance atteint des sommets, ce personnage érige en idéal ultime la beauté plastique de son corps en lieu et place de valeurs morales, quelles qu’elles soient. Toutes ses actions portent vers son accession à la perfection physique de son image. Ce corps, il en use et en abuse, en améliore la capacité musculaire, le corrige à coup de chirurgie, le montre à la caméra (et à l’assistance) sous tous ses angles. On applaudit l’usage de la vidéo qui dessert bien le propos en montrant l’homme en gros plan, et même en très gros plan. Cela mène à mieux décrire son caractère, et à préciser ses obsessions. Son audition pour une émission de téléréalité, filmée de très près, donne la chair de poule, mais permet également d’admirer la finesse du jeu de l’acteur.
D’une efficacité redoutable, la scénographie de Marilène Bastien propose un contrepoint judicieux à la logorrhée du protagoniste. Un divan et une table, répétés trois fois, en diagonale, surplombés à chaque fois d’un luminaire servant aussi d’écran, peuvent simuler un petit salon d’appartement ou encore une aire de repos d’aéroport. Ce dispositif, par sa répétition, par sa simplicité, souligne la solitude du criminel, mais aussi son anonymat. Car si la volonté de commettre cet acte indique un esprit malade, il est aussi clair que cet homme n’a rien de spécial. Il se perd en autogratifications tout en tentant de perpétuer un stéréotype qu’il endosse, paradoxalement, pour se distinguer des autres.
Christian Rangel, quant à lui, joue l’Autre (qu’il s’agisse d’un amant de passage ou bien, plus tard, de la victime) avec un réalisme qui laisse pantois. Le malaise est palpable lorsque le bourreau manipule son cadavre, l’assoit sur une chaise, lui redresse la tête pour que le mort nous regarde… Par-dessus tout cela, la trame musicale de Navet Confit et les éclairages de Cédric Delorme-Bouchard complètent l’ensemble dans une ambiance tendue, délétère, très réussie. D’ailleurs, c’est indéniable, la pièce est une réussite sur le plan du jeu des acteurs et sur le plan esthétique, un véritable trou noir qui happe le public. Le tumulte de paroles, le voyeurisme assumé du personnage, tout cela fascine et subjugue, et la partition inspirée de Brullemans y est pour beaucoup.
Seule la fin, en courtes saynètes, s’essouffle un peu, au moment où le point de vue passe de celui du tueur à celui de la victime, puis à celui de leur entourage. L’ambiance à couper au couteau se délaie et on semble perdre quelque peu de vue l’orientation claire du départ. Insistons malgré cela sur l’essentiel : Homicide fouette les sangs et marque le public au fer rouge.
Personne n’en sortira indemne.
Homicide
Texte : Pascal Brullemans. Mise en scène : Nini Bélanger. Dramaturgie : Mathilde Benignus. Assistance à la mise en scène et régie : Roxanne Gallant. Direction technique : Clémence Dray. Conseil à la direction technique : David Poisson. Scénographie et costumes : Marilène Bastien. Direction de production : Catherine Alepin. Lumière : Cédric Delorme-Bouchard. Musique : Navet Confit. Conception vidéo : Julien Blais. Maquillages : Sylvie Rolland Provost. Voix : Charlie Monty. Avec Dany Boudreault et Christian Rangel. Une production de Projet MÛ présentée au Théâtre Prospero du 24 octobre au 11 novembre 2023.