Critiques

J’te pète en mixte : Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’impro

© David Mendoza Hélaine

L’improvisation collégiale est au cœur de J’te pète en mixte, un solo de 75 minutes où tout le temps de glace est occupé par une jeune comédienne. Ce milieu survolté devient surtout un prétexte à parler de doubles standards, du pouvoir, d’amours toxiques et du passage de l’adolescence à l’âge adulte, qui laisse toujours des marques.

Il s’agit de la troisième production de L’Apex théâtre présentée à Premier Acte. Gabrielle Ferron, qui dirige la compagnie, signe ce texte et cette mise en scène coup de poing — une expression surutilisée qui trouve toutefois tout son sens dans ce cas précis. Le dispositif scénique à six côtés conçu par Marianne Lebel se situe entre l’improvisoire carré et la surface octogonale des arts martiaux mixtes. Les ballons et balles de « beer pong » bondissent dans le ring, les verres de plastiques flottent au plafond sur une guirlande de lumières. Placés autour de l’arène, les spectateurs et spectatrices assistent aux prouesses et aux revers de Cath, brillamment campée par Clémence Lavallée.

Pour raconter son entrée au cégep de Trois-Rivières, la jeune femme plante le décor à grand renfort de référents des années 2010, qui ne manquent pas de faire rire l’assistance. Elle est d’abord pleine de candeur et de naïveté devant les garçons, les initiations, l’expérience collégiale dans tous ses vertiges et ses travers. Sa volonté de faire sa marque avec « son aura de prix du Gouverneur général », le tourbillon d’une première relation amoureuse et du sexe, la compétitivité légèrement narcissique au sein du programme de théâtre engendrent toutefois une transformation à vitesse grand V. Elle a soif de gloire, d’attention, de victoires, et pour cela, il lui faut devenir « un gars d’impro ».

Elle s’y applique pendant sa deuxième année de cégep, qui prend peu à peu une tangente plus glauque et plus périlleuse. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’impro, pour paraphraser Shakespeare. Est-ce l’humour violent, la testostérone mal contenue ? Ou encore le contrôle psychologique insidieux qu’exerce son copain torturé et joueur étoile, qui persiste à l’appeler princesse et à vouloir qu’elle reste douce, jolie et précieuse ? Tout ça se mélange dans le ventre et dans la tête de Cath, et l’issue sera laide.

© David Mendoza Hélaine

Construire et « puncher »

Gabrielle Ferron suit la philosophie d’un des personnages, entraîneur d’improvisation : pour bien jouer, il faut trouver l’équilibre entre la construction et le « punch », savoir tenir le public en haleine tout en balançant des répliques qui ont de l’impact. Un plan que l’autrice et metteure en scène applique à la lettre pendant toute la pièce. Enfin presque, puisque la finale nous laisse un peu sur notre faim, comme lorsque le sifflet de l’arbitre retentit sans que les improvisateurs et improvisatrices aient réellement réussi à boucler l’histoire. Il y aurait de la matière pour une suite; l’impro universitaire (voire civile) regorgeant probablement de rebondissements et de dérèglements qui seraient tout aussi fructueux sur le plan dramatique.

Clémence Lavallée excelle à passer d’un personnage à l’autre en changeant sa voix et sa posture. Elle incarne chacun avec juste le bon dosage de traits typiques pour que ce soit comique, sans pour autant que ça nous fasse décrocher lors des moments émotivement plus chargés. Une scène où elle incarne Will (le copain), capuchon sur la tête, en lançant des objets dans une grosse poubelle de plastique pendant qu’il aligne les phrases pour faire douter Cath de ses perceptions et jouer avec ses sentiments, est particulièrement réussie. Le récit efficace des parties d’improvisation et des partys donne l’impression d’y être. Avec un accessoire, un changement de ton, une blague, la jeune femme nous tient dans sa main. La comédienne et improvisatrice aguerrie a tout ce qu’il faut pour porter le rôle.

L’environnement scénique l’épaule au fil des chapitres de ce récit épique. À la conception vidéo, David B. Ricard allie des créations avec le logiciel WordArt et des éléments interactifs. Les titres des parties de la pièce et certains éléments textuels (lettre, mémo, etc.) sont projetés au sol. On doit parfois se tordre un peu le cou pour les lire, mais le fait qu’ils servent aussi d’éclairages, comme des projecteurs sur un affrontement de lutteurs, amène du mouvement et une ambiance intéressante. La première conception sonore de Marc-Antoine Marceau est prometteuse : son mélange de dubstep, de pop clinquante et d’effets dans les voix crée une trame essentielle au rythme de la pièce, qui soutient plusieurs scènes clés.

© David Mendoza Hélaine

J’te pète en mixte

Texte et mise en scène : Gabrielle Ferron. Assistance à la mise en scène : Aude Seppey. Conception : Marianne Lebel, David B. Ricard, Simon Rollin, Marc-Antoine Marceau. Avec Clémence Lavallée. Une production de L’Apex Théâtre présentée à Premier Acte jusqu’au 18 novembre 2023.