Critiques

Projet Polytechnique : La violence faite aux femmes, mais pas que

© Yves Renaud

Le nouveau projet de Porte Parole foule les planches du théâtre du Nouveau Monde jusqu’à la mi-décembre, et présente de nouveaux aspects de mise en scène, de personnages et de contenus jusqu’ici inexplorés par ce théâtre documentaire.

Porté par le duo de comédiens Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond, aussi idéateurs et auteurs du texte, le sujet est sans équivoque; on parlera du terrible événement du 6 décembre pendant les deux heures et demie de la pièce. On y découvrira néanmoins un aspect plus personnel; la cousine de Dalphond est l’une des victimes de Marc Lépine. On apprendra aussi, trop tard dans la pièce, que Boucher a aussi un rapport personnel à cette histoire.

Contrairement à d’autres créations de Porte Parole, Projet Polytechnique présente une grande distribution en plus des protagonistes principaux, qui incarnent plusieurs personnages. Outre Boucher et Dalphond, on retrouve sur scène Stéphan Allard, Mustapha Aramis, Lamia Benhacine, Jules Ronfard et Cynthia Wu-Maheux qui interprètent divers acteurs et actrices de la vraie vie ayant pris part, de proche ou de loin, à la réflexion sur la violence faite aux femmes. Julie McInnes et Estelle Esses ponctuent quant à elles la pièce de musique, parfois un peu trop insistante, mais qui ajoute à l’aspect tragique des événements dont on parle. Il est par ailleurs dommage de ne voir les musiciennes qu’à moitié. Elles sont cachées derrière des rideaux la majorité du temps. La musique en direct est toujours intéressante à avoir dans des créations théâtrales; pourquoi ne pas la mettre entièrement en valeur, puisque dans ce cas-ci, elle est de plus partie intégrante de Projet Polytechnique. Les éclairages d’Étienne Boucher sont sensibles et traduisent bien les moments émouvants de la pièce.

© Yves Renaud

À la manière d’une enquête citoyenne incarnée, style qui a fait la réputation des créations de Porte Parole (J’aime Hydro, L’Assemblée), les deux comédiens tentent de comprendre les motivations de la violence. Celle du meurtrier du 6 décembre 1989, mais également celle de ceux qui ont commis d’autres tueries, comme celle du Texas ou de Toronto il y a quelques années. On aborde le phénomène des incels, les thèses de doctorat faites à ce sujet ou encore le contrôle des armes à feu, le tout à travers un retour à Polytechnique grâce à l’enquêteur de l’époque Jacques Duchesneau, bien interprété par Stéphan Allard. Les autres comédiens incarnent à la fois des hommes violents, des féministes et les étudiantes victimes de Polytechnique.

Les thèmes connexes à la tuerie du 6 décembre abordés dans la pièce sont logiques et liés entre eux, mais nous éloignent du thème principal; la violence faite aux femmes, sur lequel il y aurait amplement à dire sans aborder les sujets autour. On veut ratisser large pour aborder un phénomène complexe, mais à trop vouloir le faire, les femmes, les victimes, sont diffuses dans l’ensemble des thèmes. Se concentrer sur elles, sur ce qu’elles subissent, en décembre 1989 comme maintenant, serait suffisant et pertinent. La pièce, surtout la deuxième partie, s’enlise dans des explications intéressantes, mais qui allongent inutilement ce documentaire théâtral qui pourrait être plus court, notamment pour se concentrer sur l’essentiel du sujet.

L’aspect personnel, les échanges entre les deux idéateurs, leur quête de compréhension, la complicité qui se bâtit entre les deux collègues qui ont décidé de mener ce projet sans se connaître, au détour d’un tweet en lien avec le 6 décembre, sont palpables sur la scène. La distribution autour est bien menée par la metteuse en scène Marie-Josée Bastien. Les personnages périphériques apportent au récit, dynamisent les échanges et éclairent certains thèmes. Les victimes du 6 décembre, imagées par des vêtements, sont une belle touche imaginées par la mise en scène.

Projet Polytechnique se veut sans nul doute une porte vers une discussion collective à propos de la violence. Tout au long du projet, Dalphond et Boucher se demandent quelle est leur question de départ. Elle arrive en fin de parcours, en la lançant au public, comme pour continuer les échanges sur ce grave sujet, qui semble difficile à résoudre, mais dont il faut encore et toujours discuter, sur scène et en dehors.

© Yves Renaud

Projet Polytechnique

Idéation et texte : Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond. Dramaturgie et collaboration au texte : Alex Ivanovici et Annabel Soutar. Collaboration au texte : Stéphan Allard. Mise en scène : Marie-Josée Bastien. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor : Marie-Renée Bourget Harvey. Distribution : Stéphan Allard, Mustapha Aramis, Lamia Benhacine, Jules Ronfard, Cynthia Wu-Maheux, Julie McInnes, Estelle Esses, Marie-Joanne Boucher, Jean-Marc Dalphond. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Étienne Boucher. Son et musique : Ludovic Bonnier. Conception sonore et sonorisation : Philippe Robert. Vidéo : Amelia Scott. Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt-Bélanger. Assistance aux costumes : Juliette Dubé-Tyler. Assistance au décor et accessoires : Marie McNicoll. Une création écoresponsable de Porte Parole en coproduction avec le TNM, Diffusion Inter-Centres et Écoumène, présentée au TNM jusqu’au 13 décembre 2023, puis en tournée au Québec en 2024.