Pour sa troisième pièce, l’autrice Rosalie Cournoyer nous transporte dans sa Montérégie natale. La scène se déroule dans une maison de campagne saturée d’odeurs d’une ferme laitière. Y vivent trois générations de femmes, dont la cadette Marianne, qui a repris la gestion de l’entreprise après la mort du père. Quelques jours après les Fêtes, Jeanne vient rendre visite à sa famille. Son arrivée inopinée déclenche un tsunami parmi la troupe : elle est enceinte et personne ne le savait. Jeanne la fantasque, la tom boy éprise de liberté, l’égocentrique qui a fui ce « trou d’cul du monde », revient à la maison à la 38e semaine de sa grossesse.
La dramaturge reprend ici une familière structure de huis clos (Fièvre, L’œil) où elle enferme ses protagonistes. Sa tante Liette, la gardienne des lieux qui a passé sa vie à épier le monde par la fenêtre, l’accueille avec une joie enfantine baignée de naïveté. Raymonde Gagnier défend avec brio ce personnage intrigant situé aux limites de l’indigence intellectuelle contrebalancée par un amour inconditionnel, malgré les coups répétés du destin. La succulente grand-mère aux réparties cinglantes portée avec un redoutable aplomb par une Carmen Ferlan déchaînée (voir La République hip-hop du Bas-Canada). Sa mère Suzanne, exacerbée par l’affront de sa fille pour l’avoir tenue à l’écart de sa propre descendance, est incarnée par Lorraine Côté avec une rage intérieure à peine contenue. Enfin, sa sœur Marianne, qui lui reproche son égoïsme et sa fuite devant les responsabilités du clan, est soutenue par une très convaincante Noémie F. Savoie.
La scène se déroule dans la nuit du 4 au 5 janvier 1998, le jour où le verglas s’est abattu sur le Québec et a isolé les habitants en bloquant les routes et coupant l’électricité. La petite famille au bout du rang se retrouve emprisonnée dans un drame larvé depuis des années. « L’enfer de glace » déclenche prématurément l’accouchement. Et c’est la débâcle.
Déferlement de forces telluriques
Jeanne, dans sa posture de révoltée, alimente le noyau de cette colère en attirant les foudres de celles qui sont restées. La catastrophe naturelle se double alors d’un drame humain aux ramifications inextricables. Mais le bébé qui arrive transforme la confrontation en un élan de solidarité familiale. Tous et toutes s’affairent soudainement à libérer la vie.
Au cœur du conflit, l’enfant qui va naître. Celui-ci vient d’une banque de sperme, il a donc un géniteur, mais pas de père. Marianne et sa sœur s’affrontent sur leurs motivations respectives : avoir ou non un enfant, prendre en compte la famille, le désir du mari de devenir père, tricher avec la vérité, feindre la stérilité pour tromper son homme…
Pendant que les femmes s’entredéchirent, puis s’entraident et se rallient autour de la naissance, les deux frères s’affairent à sauver les vaches de la mort. Cournoyer a relevé le défi de la mise en scène marquée par une direction des comédiens et comédiennes travaillée au scalpel. Gabrielle Ferron, magistrale dans le rôle de Jeanne, nous offre un moment d’anthologie. À travers les cris de douleur, tout le monde s’agite, les phrases assassines fusent, les pointes de la grand-mère percent le brouhaha. Le mari de Marianne, Robert, qu’interprète Thomas Royer en amoureux bienveillant, et Denis son frère vétérinaire, que Vincent Champoux rend comique et touchant, font des va-et-vient entre la parturiente et l’étable, se faisant écorcher au passage.
En juxtaposant deux événements majeurs qui s’entrecroisent, la jeune autrice de la Montérégie confirme son talent de dramaturge. La Délivrance se déploie en une spirale organique où chaque secret enfoui dans un silence coupable explosera au grand jour. La synergie du malheur, à l’image des catastrophes naturelles, doit trouver sa délivrance. Ce moment vient boucler le travail de l’accouchement, lorsque le placenta est expulsé du corps de la mère. Malgré le côté tragique de la situation, la grand-mère et la tante nous offrent des moments savoureux de poésie et de sagesse populaire, que viennent ponctuer de très drôles scènes autour d’un cochonnet domestique.
Texte et mise en scène : Rosalie Cournoyer. Direction de production : Jeanne Huguenin, Anne Plamondon. Assistance à la mise en scène : Paloma De Muylder. Conception : Sarah-Anne Arsenault (sonore et direction vocale) et Dillon Hatcher (sonore), Marianne Lebel (décor et accessoires), Béatrice Lecomte-Rousseau (maquillage et coiffure), Laëtitia Mayer (lumières), Alice Poirier (costumes). Direction technique : Laurent Crolle. Conseil dramaturgique : Marie-Ève Lussier Gariépy. Mentorat aux lumières : Elliot Gaudreau. Collaboration spéciale : Maxe Tremblay Bluteau. Œil extérieur à l’écriture : Isabelle Hubert. Avec Vincent Champoux, Lorraine Côté, Carmen Ferlan, Gabrielle Ferron, Raymonde Gagnier, Noémie F. Savoie, Thomas Royer. Une production de Vénus à Vélo, présentée à Premier Acte du 28 novembre au 9 décembre 2023.
Pour sa troisième pièce, l’autrice Rosalie Cournoyer nous transporte dans sa Montérégie natale. La scène se déroule dans une maison de campagne saturée d’odeurs d’une ferme laitière. Y vivent trois générations de femmes, dont la cadette Marianne, qui a repris la gestion de l’entreprise après la mort du père. Quelques jours après les Fêtes, Jeanne vient rendre visite à sa famille. Son arrivée inopinée déclenche un tsunami parmi la troupe : elle est enceinte et personne ne le savait. Jeanne la fantasque, la tom boy éprise de liberté, l’égocentrique qui a fui ce « trou d’cul du monde », revient à la maison à la 38e semaine de sa grossesse.
La dramaturge reprend ici une familière structure de huis clos (Fièvre, L’œil) où elle enferme ses protagonistes. Sa tante Liette, la gardienne des lieux qui a passé sa vie à épier le monde par la fenêtre, l’accueille avec une joie enfantine baignée de naïveté. Raymonde Gagnier défend avec brio ce personnage intrigant situé aux limites de l’indigence intellectuelle contrebalancée par un amour inconditionnel, malgré les coups répétés du destin. La succulente grand-mère aux réparties cinglantes portée avec un redoutable aplomb par une Carmen Ferlan déchaînée (voir La République hip-hop du Bas-Canada). Sa mère Suzanne, exacerbée par l’affront de sa fille pour l’avoir tenue à l’écart de sa propre descendance, est incarnée par Lorraine Côté avec une rage intérieure à peine contenue. Enfin, sa sœur Marianne, qui lui reproche son égoïsme et sa fuite devant les responsabilités du clan, est soutenue par une très convaincante Noémie F. Savoie.
La scène se déroule dans la nuit du 4 au 5 janvier 1998, le jour où le verglas s’est abattu sur le Québec et a isolé les habitants en bloquant les routes et coupant l’électricité. La petite famille au bout du rang se retrouve emprisonnée dans un drame larvé depuis des années. « L’enfer de glace » déclenche prématurément l’accouchement. Et c’est la débâcle.
Déferlement de forces telluriques
Jeanne, dans sa posture de révoltée, alimente le noyau de cette colère en attirant les foudres de celles qui sont restées. La catastrophe naturelle se double alors d’un drame humain aux ramifications inextricables. Mais le bébé qui arrive transforme la confrontation en un élan de solidarité familiale. Tous et toutes s’affairent soudainement à libérer la vie.
Au cœur du conflit, l’enfant qui va naître. Celui-ci vient d’une banque de sperme, il a donc un géniteur, mais pas de père. Marianne et sa sœur s’affrontent sur leurs motivations respectives : avoir ou non un enfant, prendre en compte la famille, le désir du mari de devenir père, tricher avec la vérité, feindre la stérilité pour tromper son homme…
Pendant que les femmes s’entredéchirent, puis s’entraident et se rallient autour de la naissance, les deux frères s’affairent à sauver les vaches de la mort. Cournoyer a relevé le défi de la mise en scène marquée par une direction des comédiens et comédiennes travaillée au scalpel. Gabrielle Ferron, magistrale dans le rôle de Jeanne, nous offre un moment d’anthologie. À travers les cris de douleur, tout le monde s’agite, les phrases assassines fusent, les pointes de la grand-mère percent le brouhaha. Le mari de Marianne, Robert, qu’interprète Thomas Royer en amoureux bienveillant, et Denis son frère vétérinaire, que Vincent Champoux rend comique et touchant, font des va-et-vient entre la parturiente et l’étable, se faisant écorcher au passage.
En juxtaposant deux événements majeurs qui s’entrecroisent, la jeune autrice de la Montérégie confirme son talent de dramaturge. La Délivrance se déploie en une spirale organique où chaque secret enfoui dans un silence coupable explosera au grand jour. La synergie du malheur, à l’image des catastrophes naturelles, doit trouver sa délivrance. Ce moment vient boucler le travail de l’accouchement, lorsque le placenta est expulsé du corps de la mère. Malgré le côté tragique de la situation, la grand-mère et la tante nous offrent des moments savoureux de poésie et de sagesse populaire, que viennent ponctuer de très drôles scènes autour d’un cochonnet domestique.
La Délivrance
Texte et mise en scène : Rosalie Cournoyer. Direction de production : Jeanne Huguenin, Anne Plamondon. Assistance à la mise en scène : Paloma De Muylder. Conception : Sarah-Anne Arsenault (sonore et direction vocale) et Dillon Hatcher (sonore), Marianne Lebel (décor et accessoires), Béatrice Lecomte-Rousseau (maquillage et coiffure), Laëtitia Mayer (lumières), Alice Poirier (costumes). Direction technique : Laurent Crolle. Conseil dramaturgique : Marie-Ève Lussier Gariépy. Mentorat aux lumières : Elliot Gaudreau. Collaboration spéciale : Maxe Tremblay Bluteau. Œil extérieur à l’écriture : Isabelle Hubert. Avec Vincent Champoux, Lorraine Côté, Carmen Ferlan, Gabrielle Ferron, Raymonde Gagnier, Noémie F. Savoie, Thomas Royer. Une production de Vénus à Vélo, présentée à Premier Acte du 28 novembre au 9 décembre 2023.