La pièce Nos Cassandre aborde le récit de crises humanitaires, relativement récentes, provoquées par les conflits et les guerres, les changements climatiques et le néo-impérialisme, notamment en Afrique, en adoptant le point de vue d’un personnage central : la docteure Joanne Liu. Même si la pièce cherche à éviter de statufier la personne du docteure Liu, encore fort active et influente, on peut ressentir une certaine étrangeté à voir une personnalité, toujours vivante, devenir un personnage de théâtre. Cela dit, le parti pris se défend, puisque le parcours de cette femme indéfectiblement engagée du côté des
« damnés de la terre », hommes, femmes et enfants, est pour le moins impressionnant.
Pour interpréter un tel personnage, il fallait une actrice sensible et charismatique, puisque la pièce repose en grande partie sur ses épaules. Jade Barshee s’avère à la hauteur de ce rôle. Toujours juste, elle maintient le cap, tout comme celle qu’elle incarne, du début à la fin. Elle est soutenue par des interprètes solides qui se distribuent les divers personnages au fil du récit, notamment Phara Thibault qui revient à quelques reprises dans le rôle d’une amie d’enfance de Joanne.
Le théâtre, lieu de mémoire
Des scènes se dégagent du récit, par exemple, celle qui présente un problème éthique posé à une équipe de Médecins sans frontières (MSF), par un don de cinq millions de dollars offert par une minière installée au Congo qui pille les ressources, pollue sol et air et porte atteinte à la santé publique. Alors que le manque de médicaments et de ressources freine le travail dans leur hôpital jouxtant un centre de détention en Libye, faut-il ou non accepter cet argent sale ? Ou encore, le rappel de cette terrible attaque à Kunduz, en Afghanistan, d’un hôpital de Médecins sans frontières par l’aviation américaine en 2015 et le refus par les États-Unis d’adhérer à la création d’une commission internationale indépendante pour enquêter sur le déroulement exact des faits.
La grande force de ce spectacle repose sur sa sobriété. Un décor épuré, des costumes en camaïeu de beige et de brun qui fera ressortir d’autant plus le jaune de l’affreuse combinaison sanitaire contre l’Ebola ou encore, le rose de la robe portée par une migrante pour que son mari identifie son corps flottant sur la mer si le pire arrivait. Sur le mur/écran qui traverse diagonalement la scène ne seront projetés que des textes, à l’exception d’une captation d’une déclaration de la docteure Liu qui s’estompe à mesure que sa parole est reprise par l’actrice sur scène. Lors d’une visite de l’équipe de Médecins sans frontières dans un musée qui présente une exposition d’œuvres de Cézanne : « Le chant de la terre », aucune toile n’apparaît, seul leur titre défile sur l’écran. N’y sera illustré, non plus, aucun des drames humanitaires relatés sur scène. Ni la beauté ni la laideur ne seront évoquées autrement que par le langage, jamais par l’image.
C’est là une force de la mise en scène. Le théâtre, ici, oppose la parole et le récit à la surenchère sensationnaliste des médias qui nous bombardent de photos et de vidéos. Cassandre, dans la mythologie grecque, parlait, prédisait l’avenir, disait la vérité, mais personne ne la croyait. La posture, ici, permet peut-être de conjurer la malédiction.
Le théâtre, lieu de mémoire, témoigne de crises passées d’une telle manière qu’il permet au public d’écouter jusqu’au bout ce qui se raconte, de comprendre ce qui s’est passé pour éviter de reproduire toujours la même chose. La seule chose qui se répète au théâtre, c’est la pièce qu’on doit monter et jouer ; les quelques interruptions d’un personnage metteur en scène d’une pièce qui porterait sur Cassandre, nos Cassandre, nous le suggèrent. Cette dualité sémantique de la « répétition » — celle, monstrueuse, des crises et crimes humanitaires et celle, généreuse, des pièces de théâtre — aurait pu s’avérer un fil dramaturgique fécond.
Texte : Anne-Marie Olivier. Mise en scène : Frédéric Dubois. Assistante à la mise en scène : Erika Maheu-Chapman. Dramaturgie : Chloé Gagné Dion. Scénographie : Margot Lacoste. Costumes : Didier Senécal. Éclairages et vidéo : Émile Beauchemin. Composition : Pascal Robitaille. Maquillage et coiffure : Audrey Toulouse. Consultation : Dre Joanne Liu. Régie : Adèle Saint-Amand. Direction de production : Juliette Farcy. Direction technique : Clara Desautels. Productrice déléguée : Julie Marie Bourgeois. Avec Jade Barshee, Eliot Laprise, Claudiane Ruelland, Dayne Simard, Phara Thibault et Ismaïl Zourhlal. Une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs, Bienvenue aux dames ! et La Bordée, codiffusée par Espace Libre jusqu’au 3 février 2024.
La pièce Nos Cassandre aborde le récit de crises humanitaires, relativement récentes, provoquées par les conflits et les guerres, les changements climatiques et le néo-impérialisme, notamment en Afrique, en adoptant le point de vue d’un personnage central : la docteure Joanne Liu. Même si la pièce cherche à éviter de statufier la personne du docteure Liu, encore fort active et influente, on peut ressentir une certaine étrangeté à voir une personnalité, toujours vivante, devenir un personnage de théâtre. Cela dit, le parti pris se défend, puisque le parcours de cette femme indéfectiblement engagée du côté des
« damnés de la terre », hommes, femmes et enfants, est pour le moins impressionnant.
Pour interpréter un tel personnage, il fallait une actrice sensible et charismatique, puisque la pièce repose en grande partie sur ses épaules. Jade Barshee s’avère à la hauteur de ce rôle. Toujours juste, elle maintient le cap, tout comme celle qu’elle incarne, du début à la fin. Elle est soutenue par des interprètes solides qui se distribuent les divers personnages au fil du récit, notamment Phara Thibault qui revient à quelques reprises dans le rôle d’une amie d’enfance de Joanne.
Le théâtre, lieu de mémoire
Des scènes se dégagent du récit, par exemple, celle qui présente un problème éthique posé à une équipe de Médecins sans frontières (MSF), par un don de cinq millions de dollars offert par une minière installée au Congo qui pille les ressources, pollue sol et air et porte atteinte à la santé publique. Alors que le manque de médicaments et de ressources freine le travail dans leur hôpital jouxtant un centre de détention en Libye, faut-il ou non accepter cet argent sale ? Ou encore, le rappel de cette terrible attaque à Kunduz, en Afghanistan, d’un hôpital de Médecins sans frontières par l’aviation américaine en 2015 et le refus par les États-Unis d’adhérer à la création d’une commission internationale indépendante pour enquêter sur le déroulement exact des faits.
La grande force de ce spectacle repose sur sa sobriété. Un décor épuré, des costumes en camaïeu de beige et de brun qui fera ressortir d’autant plus le jaune de l’affreuse combinaison sanitaire contre l’Ebola ou encore, le rose de la robe portée par une migrante pour que son mari identifie son corps flottant sur la mer si le pire arrivait. Sur le mur/écran qui traverse diagonalement la scène ne seront projetés que des textes, à l’exception d’une captation d’une déclaration de la docteure Liu qui s’estompe à mesure que sa parole est reprise par l’actrice sur scène. Lors d’une visite de l’équipe de Médecins sans frontières dans un musée qui présente une exposition d’œuvres de Cézanne : « Le chant de la terre », aucune toile n’apparaît, seul leur titre défile sur l’écran. N’y sera illustré, non plus, aucun des drames humanitaires relatés sur scène. Ni la beauté ni la laideur ne seront évoquées autrement que par le langage, jamais par l’image.
C’est là une force de la mise en scène. Le théâtre, ici, oppose la parole et le récit à la surenchère sensationnaliste des médias qui nous bombardent de photos et de vidéos. Cassandre, dans la mythologie grecque, parlait, prédisait l’avenir, disait la vérité, mais personne ne la croyait. La posture, ici, permet peut-être de conjurer la malédiction.
Le théâtre, lieu de mémoire, témoigne de crises passées d’une telle manière qu’il permet au public d’écouter jusqu’au bout ce qui se raconte, de comprendre ce qui s’est passé pour éviter de reproduire toujours la même chose. La seule chose qui se répète au théâtre, c’est la pièce qu’on doit monter et jouer ; les quelques interruptions d’un personnage metteur en scène d’une pièce qui porterait sur Cassandre, nos Cassandre, nous le suggèrent. Cette dualité sémantique de la « répétition » — celle, monstrueuse, des crises et crimes humanitaires et celle, généreuse, des pièces de théâtre — aurait pu s’avérer un fil dramaturgique fécond.
Nos Cassandre
Texte : Anne-Marie Olivier. Mise en scène : Frédéric Dubois. Assistante à la mise en scène : Erika Maheu-Chapman. Dramaturgie : Chloé Gagné Dion. Scénographie : Margot Lacoste. Costumes : Didier Senécal. Éclairages et vidéo : Émile Beauchemin. Composition : Pascal Robitaille. Maquillage et coiffure : Audrey Toulouse. Consultation : Dre Joanne Liu. Régie : Adèle Saint-Amand. Direction de production : Juliette Farcy. Direction technique : Clara Desautels. Productrice déléguée : Julie Marie Bourgeois. Avec Jade Barshee, Eliot Laprise, Claudiane Ruelland, Dayne Simard, Phara Thibault et Ismaïl Zourhlal. Une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs, Bienvenue aux dames ! et La Bordée, codiffusée par Espace Libre jusqu’au 3 février 2024.