Critiques

Terrain glissant : Ce qui arrive au chalet… reste au chalet

© Maryse Boyce

Il y a pire façon de passer une soirée du mois de janvier que de trouver refuge dans les estrades de la salle Fred-Barry en compagnie d’une cohorte de post-ados (en âge ou en âme). Le but de l’exercice : se faire raconter des histoires de peur, de meurtres, de mystères et autres péripéties pas catholiques. La pièce Terrain glissant nous entraîne dans les tréfonds de la forêt québécoise, empruntant au passage les codes d’Agatha Christie et de Stephen King. Et ce, dans une langue qui rappelle les formules un peu plaquées des 10 dernières années d’Urbania.

La proposition initiale de cette pièce de 90 minutes et des poussières est assez conventionnelle. Le jeune couple formé de Laurence et Cédrik, en crise, va chercher refuge (et éventuel ressourcement amoureux) dans une escapade hivernale avec une bande d’amis d’antan. Ils se sont donné rendez-vous dans un chalet en bois rond, dans le village pittoresque de Saint-Jésus-du-Christ. Cette bande de vacanciers hivernaux révèlent très vite leurs travers : l’une est un peu psychotique, l’autre, psychorigide, un autre fuit dans ses souvenirs d’enfance, un quatrième stagne dans un état dépressif.

Pendant ce temps, un dénommé Blake Sniper, auteur de récit d’horreur au visage momifié qui loge au grenier fait irruption dans cette réunion hivernale.

Si certains contours peuvent paraître semblables, on est bien loin de l’univers de François Létourneau ou autres dramaturges récent·es ayant ausculter la psyché des jeunes Québécois·es contemporain·es. Les questions existentielles rebondissent de part et d’autre, entrent en collision avec des références absurdes, dans un étrange méli-mélo de genres.

Le public, de toute évidence initié au genre, embarque à fond. Et c’est ça qui compte.

© Maryse Boyce

Thriller nordique

L’efficacité est au rendez-vous dans ce spectacle qui déferle aussi fougueusement qu’un blizzard soufflant sur un patelin du Lac-Saint-Jean. Sa principale qualité : Terrain glissant ne se prend guère au sérieux, flirtant avec les codes que reconnaissent et apprécient les habitué·es du festival Fantasia ou du Rocky Horror Picture Show. Ses artisan·es ne se privent d’aucunes références culturelles; de la voix de Johnny Cash à celle de Marie-Louise Arsenault dans une parodie de Plus on est de fous pour garder le public captif de l’intrigue explosive qui se déploie. Dans l’univers de Terrain glissant, le monde des spas nordiques est peuplé de mafiosi (les « goons » du Bota Bota), le slapstick côtoie le carnavalesque et la forêt québécoise est peuplée de monstres comme la « Scrounge », un esprit frappeur qui s’empare de la conscience de ses victimes qu’elle manipule.

On perçoit, en filigrane, la présence de questions identitaires, voire une critique sociale, qui émerge de cette pièce. Il est parfois question de la méconnaissance de la ruralité boréale, ou encore de l’ambition de « créer un nouveau Montréal, sans les gens de Montréal, mais avec les meilleurs restos de Longueuil ».

Les références anglo-saxonnes (comme la récurrence d’une traduction en français de la chanson de Bruce Cockburn, « If a tree falls »), sont des clins d’œil continuels aux savoirs implicites du public. La pièce s’appuie abondamment sur ces formules qui sollicitent les repères culturels des spectateurs. On s’abreuve partout et on sème à tout vent : autant du côté d’Hercule Poirot que de Nightmare on Elm Street ou des vidéos corpos vantant la détente par le yoga au Mont-Tremblant.

Tout cela peut donner le tournis. D’autant plus que l’intrigue — des disparitions, une enquête qui prend une tournure absurde, une conjugale — est tout sauf claire et linéaire.

Malgré tout, le spectacle tient la route et nous garde captifs, surtout grâce au concours de ses acteurs et actrices, et de l’aspect très chaleureux de sa scénographie. Si bien que tout comme les protagonistes qui s’adonnent à divers rituels de la vie de chalet comme un trip collectif de champignons magiques, on a le sentiment de traverser une catharsis psychique dont on ne comprend pas trop les rouages.

La vie étant trop courte pour bouder son plaisir, Terrain glissant se prend comme une folle descente en crazy carpet qui apporte un peu de fantaisie, en ce moment creux de l’hiver québécois.

© Maryse Boyce

Terrain glissant

Texte : François Ruel-Côté. Mise en scène : Cédrik Lapratte-Roy. Assistance à la mise en scène : Elizabeth Coulon-Lafleur. Scénographie : Nadine Jaafar. Lumières : Joëlle Leblanc. Conception sonore : Marie-Frédérique Gravel. Directeur technique : Nicolas Jalbert. Avec Félix Chabot-Fontaine, Joanie Guérin, Cédrik Lapratte-Roy, Laurence Laprise, François Ruel-Côté et Guillaume Tremblay. Une production du Théâtre La moindre des choses, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 3 février 2024. Supplémentaire le samedi 3 février à 19 h 30.