Critiques

Le Misanthrope : Insoutenable légèreté de l’âme

© Yves Renaud

La nouvelle super production du TNM a tout pour réussir : une distribution toute étoile, un classique de Molière dont le texte est à l’original et un metteur en scène en vogue. Pourtant, il semble manquer un je-ne-sais-quoi pour en faire une œuvre qui se démarque.

Florent Siaud, connu pour sa direction d’acteurs très physique, ne fait pas exception ici : Francis Ducharme usera de son corps tout au long de sa performance et entre en scène pendu à un immense lustre, ce dernier campé dans un appartement luxueux assez épuré mis à part un immense bar. La distribution entière déploie une gestuelle recherchée, rappelant l’époque de Molière, mais dans un contexte moderne.

On colle, littéralement, au classique du célèbre auteur français; les alexandrins sont très bien récités, fidèles au texte d’origine. L’histoire reste aussi la même : celle d’Alceste, un homme fâché qui hait l’espèce humaine à l’exception de la belle Célimène, trop libertine, causant à son amant bien du courroux. Autour d’eux, confidents, membres de la famille et amis de fête évoluent pour tantôt les raisonner ou les entraîner dans le vice.

© Yves Renaud

La distribution paraît solide : Ducharme, dans le rôle-titre, ajoute au personnage d’Alceste un côté satirique et imbuvable, en phase avec son personnage, mais pourrait avoir un supplément d’âme. Philinte (Alex Bergeron) est un peu effacé à ses côtés, le sachant très proche et l’égal d’Alceste dans la pièce d’origine.

Danny Boudreault, en Oronte — poète raté qui recherche désespérément le respect d’Alceste — est hilarant. Évelyne Rompré, qui interprète Arsinoé, est aussi très drôle, toujours au bord de la crise de nerfs. Boudreault et Rompré trônent au palmarès des performances du Misanthrope de Siaud. Rompré par sa voix qui porte et sa gestuelle unique et punchée; Boudreault par son jeu éploré qui sied très bien à son personnage, à la limite de l’exagération, mais tout en nuances. Alice Pascual incarne une Célimène séductrice et nonchalante face au désespoir d’Alceste, magnifique dans ses costumes de veuve sexy, mais ne semble pas tout à fait à l’aise dans son rôle — on peut aussi attribuer ceci à un souci de première.

On a cette impression en raison également de problèmes de son et de costumes qui distraient le spectateur des propos des comédiennes et comédiennes. Les fioritures de mise en scène produisent le même effet. On veut ajouter un côté comique autrement que par le texte; culbutes sur la scène, batailles de nourritures, maniérisme exagéré. Cet aspect comique nous éloigne peut-être trop des propos plus sérieux que Le Misanthrope abordaient au départ et qui auraient pu être actualisés, comme l’hypocrisie et la superficialité des rapports humains.

Certains aspects de mises en scène sont originaux : des alexandrins chantés, une projection impressionnante et interactive pour les intermèdes, un personnage qui fait sa sortie en passant à travers un divan, littéralement. D’autres moins; le décor très blanc et froid, certains longs intermèdes évoquant l’ambiance d’une discothèque pour rappeler les fêtes et les tromperies de tout un chacun dont on questionne la pertinence et la durée.

Il n’est jamais facile de revisiter un classique, mais cela peut représenter un défi intéressant et créatif. Le Misanthrope est monté pour la quatrième fois dans l’histoire du TNM. Peut-être faut-il se questionner sur la décision de refaire un classique, et dans quelles conditions ? Une semaine supplémentaire de répétitions aurait peut-être été de mise ici pour sentir un Misanthrope plus abouti et plus humain.

© Yves Renaud

Le Misanthrope

Texte : Molière. Mise en scène : Florent Siaud. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor : Romain Fabre. Costumes : Julie Charland. Éclairages : Nicolas Descoteaux. Musique originale : Vincent Legault. Vidéo : Gaspard Philippe. Accessoires : Julie Measroch. Maquillages et coiffures : Florence Cornet. Conseillère diction : Marie-Claude Lefebvre. Mouvement : Marilyn Daoust. Avec Alex Bergeron, Danny Boudreault, Francis Ducharme, Matthias Lefèvre, Mélodie Lupien, Iannicko N’Doua, Alice Pascual, Évelyne Rompré, Dominick Rustam et Mounia Zahzam. Une production du TNM présentée du 16 janvier au 14 février avec supplémentaire le 11 février. En tournée au Québec du 28 février au 26 mars 2024.