Critiques

Heimat/Revenir : Drame allemand au chalet

© Vincent Champoux

Avec Heimat/Revenir qui ouvre l’année à La Bordée, la comédienne Mary-Lee Picknell révèle son talent pour ficeler des dialogues et construire des histoires à la fois réconfortantes et rocambolesques. Portée par une distribution et une mise en scène qui lui vont comme un gant, sa première intrigue charme par sa vivacité et son humour.

La proposition théâtrale est inattendue, intrigante et spontanée. Comme celle du personnage de Christophe qui, au fil d’une conversation animée dans un autobus interurbain, invite une parfaite inconnue (Claire) à l’accompagner au mariage de son frère. Bien vite, porté par des échanges de répliques dynamiques où les protagonistes s’interrompent, réfléchissent à voix haute, commentent en aparté et insèrent des blagues décalées, un étrange projet prend forme : Claire se fera passer pour l’épouse allemande de Christophe — que sa famille n’a jamais vue et avec qui, de toute manière, il a déjà divorcé.

Le coup d’envoi de cette arnaque en apparence inoffensive est donné par une scène de danse flamboyante. C’est le premier d’une série de procédés de mise en scène simples et efficaces qui s’enchaînent de manière fluide et donnent du relief à cette histoire. Maryse Lapierre a le don de conjuguer les éléments à sa disposition (lumière, musique, accessoires) pour marquer les changements de ton.

Entre les virages à 90 degrés qui nous amènent de la piste de danse à un chalet au bord d’un lac jusqu’à une cavale sur les routes de campagne, elle parvient à créer des bulles d’intimité où, peu à peu, l’histoire se complexifie. Les dynamiques familiales, d’abord anecdotiques, révèlent des blessures, des rancœurs, mais aussi un amour profond et un esprit de clan qui résistent envers et contre tout.

© Vincent Champoux

Belle famille

La comédie dramatique est portée par une distribution unie, où chaque interprète campe son rôle avec un mélange d’humour, d’énergie et d’émotion bien dosée. Mary-Lee Picknell joue une Claire charmante, mordante, sensible et bien au fait de ses failles et de ses contradictions. Olivier Barrette interprète Christophe, tourmenté par des migraines et avalé par des zones d’ombres sans, étrangement, que son personnage en devienne lourd. Lise Castonguay et Denis Marchand forment un couple de parents convaincant, dont les manies comiques cachent les cœurs d’or. Les frères de Christophe, incarnés par Gabriel Fournier et Vincent Roy, font mouche avec leur sens de la répartie et ont aussi plusieurs couches à dévoiler au fil des scènes.

Chaque conversation prend place dans un cadre distinctif, soigneusement construit. Le chalet familial figé dans le temps, un canot au milieu du lac, le quai, le jardin décoré de lumières de Noël, la chambre de Christophe. Aucun meuble ni objet inutile : on a exactement tout ce qu’il nous faut pour reconstruire, avec notre imaginaire, les endroits emblématiques liés à l’enfance et à la nature. La trame sonore, qui s’appuie surtout sur des airs de guitare, renforce cette ambiance rassurante, familière et nostalgique, alors que les éclairages prennent parfois des teintes de coucher de soleil estival. L’utilisation d’une voiture et d’un autobus miniatures ajoute une touche ludique (et Lepagienne) à l’ensemble.

Heimat/Revenir est l’équivalent d’un feel-good movie, avec de l’esprit et assez de profondeur pour nous coller un sourire au visage tout en alimentant des réflexions sur les segments incongrus de nos trajectoires.

© Vincent Champoux

Heimat/Revenir

Texte : Mary-Lee Picknell. Mise en scène : Maryse Lapierre, assistée de Julie Brosseau-Doré. Décor : Ariane Sauvé. Costumes : Géraldine Rondeau. Éclairages et vidéo : Keven Dubois. Musique composée par Josué Beaucage et interprétée par Simon Pedneault et Josué Beaucage. Maquillages et coiffures : Géraldine Rondeau. Avec Olivier Barrette, Lise Castonguay, Gabriel Fournier, Denis Marchand, Mary-Lee Picknell et Vincent Roy. Une production de La Bordée présentée jusqu’au 10 février 2024.