Ballets Opéra Pantomime (BOP) et LFDT/Lo Fi Dance Theory, dirigée par Wynn Holmes, proposent un spectacle étonnant qui met à contribution à parts égales le théâtre, la danse et la musique. Le récit est basé sur un roman inachevé de l’écrivain français René Daumal (1908-1944), un texte poétique et symbolique ayant de multiples échos dans ses liens d’influence multidisciplinaires — avec André Breton, Gaston Bachelard, Alejandro Jodorowsky et même Patti Smith. Il raconte l’histoire d’un groupe de personnes d’horizons différents, toutes férues d’alpinisme, qui partent à la découverte d’une montagne mystérieuse située sur une île invisible du Pacifique. Pierre Sogol (Jean-François Casabonne) mène sa petite troupe au fil d’un périple aussi improbable que périlleux, d’abord sur la mer, puis à l’assaut de l’insaisissable Mont Analogue.
Dans ce spectacle hybride, c’est la musique qui éblouit. Hubert Tanguay-Labrosse élabore, sur un canevas contemporain, une trame musicale aux dissonances et aux harmonies exquises qui convoquent tantôt la limpidité minérale d’un glacier, tantôt la chaleur d’une foule en extase. Après les jeux d’appels et les échos des débuts, on y retrouve des odes et des oraisons, des bribes de cantiques et de vieille chanson française, des célébrations percussives et même une pièce à l’orgue aux relents d’encens et de sacré. Les voix de Janelle Lucyk, Gabriel Dharmoo et Jeanne Laforest, en solo ou harmonie, créent par leurs timbres singuliers des atmosphères à la fois délicates et intenses, et lorsqu’une de leurs phrases s’achève sur un silence, elle laisse dans son sillage un saisissement palpable dans le public. Et les instruments de musique élaborés par le concepteur Tom Jacques ajoutent encore à l’expérience de l’étrangeté dans le familier.
Parcours inachevé
Mais comment trouve-t-on exactement cet endroit protégé des incursions humaines par — paraît-il — la courbure de l’espace ? Les démonstrations physiques sont peu convaincantes dans ce conte mystique, et le terreau d’érudition dans lequel il se situe laisse volontiers la place aux aléas du destin. « L’Univers peut vous prendre au mot », soupire Arthur Beaver, dont les articles scientifiques sont à l’origine de l’expédition. Le groupe d’alpinistes fera écho à cette constatation.
La puissance du collectif, l’abdication des propres connaissances au profit de l’imagination et la recherche d’absolu sont au cœur du spectacle, aussi bien sur scène que dans le propos, et mettent de l’avant une démarche à la fois ésotérique et irrévérencieuse. Contrairement aux corps en solo que présentait BOP dans La Nef en mai 2023, les chorégraphies proposées ici mettent de l’avant l’abandon, le chaos et la confrérie de ces adeptes fébriles d’une secte improvisée.
Le décor d’une grande sobriété laisse toute la place à un dispositif mobile qui se transforme en ciel, en pont de bateau, en pan de montagne, au gré de la narration. Il est habilement complémenté par un éclairage expressif qui rend l’ardeur du soleil de midi et les demi-teintes d’une aube maritime, ou encore qui laisse crûment la place aux corps sans artifice.
Par son mélange d’érudition, de mysticisme et de culture geek, Le Mont Analogue constitue une proposition captivante rendue prodigieusement vivante par son ancrage dans la danse et la musique. Écrit il y a près de cent ans, le roman souligne, par son questionnement sur le rapport de l’humain avec son environnement et l’importance de la collectivité, des préoccupations bien tangibles à l’époque actuelle. Fidèle au texte inachevé, le spectacle se termine sur un moment choral exceptionnel qui laisse présager une résonance des harmoniques à l’infini. On reste interdit dans l’écho de cette poésie incandescente.
Mise en scène et chorégraphie : Wynn Holmes. Assistance à la mise en scène : Marie-Christine Martel. Texte et dramaturgie : Clara Prévost. Musique : Hubert Tanguay-Labrosse. Scénographie : Guillaume Lord. Conception lumière : Paul Chambers. Assistance à la conception lumière : Jordana Natale. Sonorisation : Nataq Huault. Conception des dispositifs sonores : Tom Jacques. Stylisme : Frédérique Gauthier. Direction de production : Morgane Lachance. Direction technique : Samuel Morier. Collaboration : Alexia Bürger. Avec Danny Amaral De Matos, Nicholas Bellefleur, Kalliane Brémault, Jean-François Casabonne, Chad Érick Concepcion, Gabriel Dharmoo, Cyndie Forget-Gravel, Tom Jacques, Jeanne Laforest, Lauri-Ann Lauzon, Janelle Lucyk, Hubert Tanguay-Labrosse, Léanne Teran-Paul. Une coproduction de BOP Ballet Opéra Pantomime et de LFDT Lo Fi Dance Theory en collaboration avec Espace Go, présentée à Espace Go jusqu’au 10 mars 2024.
Ballets Opéra Pantomime (BOP) et LFDT/Lo Fi Dance Theory, dirigée par Wynn Holmes, proposent un spectacle étonnant qui met à contribution à parts égales le théâtre, la danse et la musique. Le récit est basé sur un roman inachevé de l’écrivain français René Daumal (1908-1944), un texte poétique et symbolique ayant de multiples échos dans ses liens d’influence multidisciplinaires — avec André Breton, Gaston Bachelard, Alejandro Jodorowsky et même Patti Smith. Il raconte l’histoire d’un groupe de personnes d’horizons différents, toutes férues d’alpinisme, qui partent à la découverte d’une montagne mystérieuse située sur une île invisible du Pacifique. Pierre Sogol (Jean-François Casabonne) mène sa petite troupe au fil d’un périple aussi improbable que périlleux, d’abord sur la mer, puis à l’assaut de l’insaisissable Mont Analogue.
Dans ce spectacle hybride, c’est la musique qui éblouit. Hubert Tanguay-Labrosse élabore, sur un canevas contemporain, une trame musicale aux dissonances et aux harmonies exquises qui convoquent tantôt la limpidité minérale d’un glacier, tantôt la chaleur d’une foule en extase. Après les jeux d’appels et les échos des débuts, on y retrouve des odes et des oraisons, des bribes de cantiques et de vieille chanson française, des célébrations percussives et même une pièce à l’orgue aux relents d’encens et de sacré. Les voix de Janelle Lucyk, Gabriel Dharmoo et Jeanne Laforest, en solo ou harmonie, créent par leurs timbres singuliers des atmosphères à la fois délicates et intenses, et lorsqu’une de leurs phrases s’achève sur un silence, elle laisse dans son sillage un saisissement palpable dans le public. Et les instruments de musique élaborés par le concepteur Tom Jacques ajoutent encore à l’expérience de l’étrangeté dans le familier.
Parcours inachevé
Mais comment trouve-t-on exactement cet endroit protégé des incursions humaines par — paraît-il — la courbure de l’espace ? Les démonstrations physiques sont peu convaincantes dans ce conte mystique, et le terreau d’érudition dans lequel il se situe laisse volontiers la place aux aléas du destin. « L’Univers peut vous prendre au mot », soupire Arthur Beaver, dont les articles scientifiques sont à l’origine de l’expédition. Le groupe d’alpinistes fera écho à cette constatation.
La puissance du collectif, l’abdication des propres connaissances au profit de l’imagination et la recherche d’absolu sont au cœur du spectacle, aussi bien sur scène que dans le propos, et mettent de l’avant une démarche à la fois ésotérique et irrévérencieuse. Contrairement aux corps en solo que présentait BOP dans La Nef en mai 2023, les chorégraphies proposées ici mettent de l’avant l’abandon, le chaos et la confrérie de ces adeptes fébriles d’une secte improvisée.
Le décor d’une grande sobriété laisse toute la place à un dispositif mobile qui se transforme en ciel, en pont de bateau, en pan de montagne, au gré de la narration. Il est habilement complémenté par un éclairage expressif qui rend l’ardeur du soleil de midi et les demi-teintes d’une aube maritime, ou encore qui laisse crûment la place aux corps sans artifice.
Par son mélange d’érudition, de mysticisme et de culture geek, Le Mont Analogue constitue une proposition captivante rendue prodigieusement vivante par son ancrage dans la danse et la musique. Écrit il y a près de cent ans, le roman souligne, par son questionnement sur le rapport de l’humain avec son environnement et l’importance de la collectivité, des préoccupations bien tangibles à l’époque actuelle. Fidèle au texte inachevé, le spectacle se termine sur un moment choral exceptionnel qui laisse présager une résonance des harmoniques à l’infini. On reste interdit dans l’écho de cette poésie incandescente.
Le Mont Analogue
Mise en scène et chorégraphie : Wynn Holmes. Assistance à la mise en scène : Marie-Christine Martel. Texte et dramaturgie : Clara Prévost. Musique : Hubert Tanguay-Labrosse. Scénographie : Guillaume Lord. Conception lumière : Paul Chambers. Assistance à la conception lumière : Jordana Natale. Sonorisation : Nataq Huault. Conception des dispositifs sonores : Tom Jacques. Stylisme : Frédérique Gauthier. Direction de production : Morgane Lachance. Direction technique : Samuel Morier. Collaboration : Alexia Bürger. Avec Danny Amaral De Matos, Nicholas Bellefleur, Kalliane Brémault, Jean-François Casabonne, Chad Érick Concepcion, Gabriel Dharmoo, Cyndie Forget-Gravel, Tom Jacques, Jeanne Laforest, Lauri-Ann Lauzon, Janelle Lucyk, Hubert Tanguay-Labrosse, Léanne Teran-Paul. Une coproduction de BOP Ballet Opéra Pantomime et de LFDT Lo Fi Dance Theory en collaboration avec Espace Go, présentée à Espace Go jusqu’au 10 mars 2024.