Critiques

Les avalanches : Difficile, mais nécessaire

© Camille Gladu-Drouin

Jusqu’au 9 mars, le spectacle interdisciplinaire Les avalanches de Julie Artacho prend vie sur la scène de La Chapelle. Incarnée par quatre interprètes et une musicienne, cette pièce explore l’intime, l’amour, la possession et la violence. Œuvre poignante, elle évoque frontalement la culture du viol et les agressions sexuelles. Et laisse des traces (nécessaires).

Ouch. Sans voix, sous le choc, en pleurs… Impossible de ressortir de la salle indemne après avoir assisté au spectacle Les avalanches. Et d’ailleurs, peut-on encore parler de spectacle quand on touche de si près à un sujet de société, quand on le dépeint avec cette justesse et cette pudeur. En effet, bien qu’ils soient très délicats à aborder, l’artiste Julie Artacho derrière cette pièce réussit avec brio à évoquer ces sujets qui fâchent, ceux qui poussent à l’indignation, la colère, l’incompréhension, mais qui pourtant restent emprunt d’actualité, quasi quotidienne, et qui sont aussi synonyme de honte, et de (beaucoup de) silence.

Avant d’entrer en salle, plusieurs affiches préviennent de la violence du thème du spectacle. Celui-ci est d’ailleurs déconseillé aux moins de 16 ans. Avant qu’il ne démarre, un papier est donné au public incluant des ressources concernant le viol, les agressions sexuelles, le suicide et le travail du sexe. Enfin, une annonce est faite avant que la pièce commence : si un malaise surgit, il ne faut pas hésiter à sortir. Tout ceci donne le ton et souligne la bienveillance et la délicatesse de l’artiste en arrière qui prend bien en compte toutes les sensibilités.

L’ambiance est à la légèreté au départ. C’est le party, les lumières et la forte musique mettent l’ambiance. On découvre quatre jeunes femmes libérées, enivrées, qui se déchaînent dans la joie de vivre. Mais rapidement, c’est le corps qui parle, qui se tord, qui subit une violence, passée ou future, mais qui reste toujours présente. Viennent ensuite les mots. Magnifiquement déclamés par Natacha Filiatrault qui interprète cette pièce à merveille. La poésie nous saisit alors malgré la tragédie qui se cache derrière.

© Camille Gladu-Drouin

Sujets d’humains, sujets de société

Passer de l’ombre à la lumière, s’exprimer, subir, se relever. En peu de mots, mais surtout à travers leurs corps, les interprètes nous plongent dans leurs émotions. De la tendresse d’une caresse au refus d’un geste jusqu’à la violence de deux êtres qui se jettent à terre. Les différentes étapes, et surtout les nuances, des relations, des attirances, et des répulsions, sont traduites devant nos yeux. Incarnés sans grimaces ni caricatures. Dans le juste et la bienséance. On y voit toute la complexité des rapports humains, de la domination, de l’amour, du besoin d’appartenir parfois, et des côtés les plus sombres que ce mélange de sentiments peut provoquer en nous, et chez les autres.

La musique détient une place majeure et souligne, avec authenticité, les émotions vécues tout au long de l’œuvre. Parfois stridente, parfois lourde, parfois enveloppante, elle canalise les multiples sensations et les balances encore plus fortes à nos yeux, oreilles et cœurs. Elle permet parfois de prendre une pause réflexive, parfois de partir en furie avec les interprètes.

En plus d’évoquer ces affreux actes en eux-mêmes et leurs conséquences quasi permanentes sur les corps et les êtres qui les ont subis, Les avalanches soulève aussi l’enjeu sociétal qui se trouve en arrière. Sont ainsi évoqué les silences ou les « oublis » des proches, de l’entourage, de découragement, le jugement ou encore la fausse dignité qui faut toujours arborer, ce qu’il faut faire ou ne pas faire en communauté.

Que ce soit en mots, ou dans les gestes, la pièce nous renvoie en pleine face toutes les contradictions dans lesquelles on vit et toute la violence qu’elles induisent, notamment pour les femmes. La femme sexy, la chienne, la femme soumise, la femme hystérique ou encore la nymphomane… Les clichés hypersexualisés sont aussi exploités de façon directe, et quasi sarcastique. Le malaise et la gêne prennent alors toute leur place dans le public. Malgré ce choix audacieux, qui peut choquer, cette scène reste dans le propos et ne tombe pas dans la vulgarité gratuite. On n’est plus dans la sobriété, mais on veut secouer, on veut créer des sensations, certes désagréables, mais ô combien nécessaires.

La fin de la pièce est aussi très poignante (mais je vous laisse la découvrir par vous-même). Une chose est sûre, le public ne parvient pas toujours à rester, car elle est difficile à écouter ou à digérer/réaliser peut-être pour certains. Mais Les avalanches est une pièce plus qu’essentielle qui vise à continuer à ouvrir les yeux au monde sur les conséquences immenses et encore sous-estimées de ces actes infects. Parce qu’on est malheureusement loin d’en avoir fini.

© Camille Gladu-Drouin

Les avalanches

Écriture, mise en scène et chorégraphie : Julie Artacho. Scénographie : Anne-Sara Gendron. Conception sonore : Karolane Carbonneau. Musique : Raphaëlle Chouinard. Éclairage : Joëlle Leblanc. Direction de production : Olivier Rousseau. Direction technique : Justin Houde. Conception costumes : Chloé Barshee. Conseillère à la recherche : Natacha Filiatrault. Répétitrice : Alexia Martel. Avec Marilyn Daoust, Claudia Chan Tak, Natacha Filiatrault, Mya T. Métellus. À La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 9 mars 2024.