C’est par un spectacle librement inspiré du Journal d’un fou de Nicolas Gogol qu’a été inaugurée la 19e édition du Festival de Casteliers. Cette création pour deux marionnettistes et une marionnette — portée, grandeur nature — est l’œuvre du duo formé de la Chilienne Tita Iacobelli et de Natacha Belova, d’origine belgo-russe, qui ont établi leurs quartiers à Bruxelles. Dans Loco (fou, en espagnol), on retrouve Proprichtchine, petit fonctionnaire viscéralement insatisfait de son sort qui verse peu à peu dans la démence.
Prisonnier d’un travail aliénant — au sens littéral du terme — ce copiste, par ailleurs peu doué pour les tâches simples et répétitives qui lui sont assignées puisqu’il oublie notamment de dater les copies effectuées, flanche sous le poids exponentiel de la vacuité de son existence. Conscient que, ayant poursuivi des études, il pourrait aspirer à bonifier sa situation professionnelle, il ne pose pourtant aucun geste en ce sens.
Paralysé, en quelque sorte, par sa détresse, il se complaît plutôt dans sa déroute existentielle, qui le mènera, de son propre aveu, à voir et à entendre des choses auxquelles les autres n’ont pas accès. Des conversations entre deux chiens, par exemple, dont celui de Sophie, fille du patron et cible de l’amour à sens unique que lui voue cet antihéros.
Les questionnements qui tourmentent le protagoniste sont rendus de façon touchante par la mise en scène de Belova et Iacobelli, de même que par la manipulation de la marionnette que partage la seconde avec Marta Pereira. Difficile de ne pas trouver écho dans les interrogations ontologiques que sont les classiques, mais inéluctables qui suis-je, ma vie me ressemble-t-elle, à quoi mon existence est-elle utile ?
Beauté ombreuse
C’est en s’imaginant une destinée grandiose, celle d’un roi d’Espagne malencontreusement considéré jusque-là comme un copiste, qu’il trouvera enfin quelque gratification. Or, même dans ces élans fantasques, l’esthétique sombre de Loco ne se dément pas. Au visage gris — mais très expressif — de la marionnette, à ses habits bruns et ocre, répond une scénographie aux tons tout aussi délavés ainsi que de sobres éclairages. Les délires de Proprichtchine se matérialisent, qu’il s’agisse d’une toge royale surdimensionnée ou d’une lune immense, par un collage de papiers grisâtres évoquant des coupures de journaux.
Le rythme du récit s’avère certes lent, mais il est en accord avec son propos puisque c’est en quelque sorte l’ennui qui tue le fonctionnaire solitaire à petit feu. Peut-être qu’une exubérance un peu plus baroque dans l’expression de ses affabulations leur aurait donné davantage de relief aurait souligné la part de créativité qui les nourrit, la fine ligne qui sépare l’imagination et l’art de la déraison, mais ce n’est pas le parti pris qu’ont épousé les créatrices.
Celui-ci les a tout de même amenées à signer un riche et poétique ballet visuel, les deux corps des marionnettistes s’unissant, dans une chorégraphie aussi complexe que fluide, pour donner vie au personnage dans tous ses états. Une œuvre tout en finesse, qui laisse songeur ou songeuse quant aux modes de vie déshumanisants que l’on s’impose et qui ne datent pas d’hier.
Texte : librement inspiré du Journal d’un fou de Nicolas Gogol. Mise en scène : Tita Iacobelli et Natacha Belova. Scénographie : Natacha Belova et Camille Burkel de Tell. Marionnettes : Natacha Belova et Loïc Nebreda. Musique : Simón González. Éclairages : Christian Halkin. Chrorégraphie et regard extérieur : Nicole Mossoux. Costumes : Jackye Fauconnier. Avec Tita Iacobelli et Marta Pereira. Une production de la Compagnie Belova-Iacobelli, présentée, à l’occasion du Festival de Casteliers, au Théâtre Outremont les 6 et 7 mars 2024.
C’est par un spectacle librement inspiré du Journal d’un fou de Nicolas Gogol qu’a été inaugurée la 19e édition du Festival de Casteliers. Cette création pour deux marionnettistes et une marionnette — portée, grandeur nature — est l’œuvre du duo formé de la Chilienne Tita Iacobelli et de Natacha Belova, d’origine belgo-russe, qui ont établi leurs quartiers à Bruxelles. Dans Loco (fou, en espagnol), on retrouve Proprichtchine, petit fonctionnaire viscéralement insatisfait de son sort qui verse peu à peu dans la démence.
Prisonnier d’un travail aliénant — au sens littéral du terme — ce copiste, par ailleurs peu doué pour les tâches simples et répétitives qui lui sont assignées puisqu’il oublie notamment de dater les copies effectuées, flanche sous le poids exponentiel de la vacuité de son existence. Conscient que, ayant poursuivi des études, il pourrait aspirer à bonifier sa situation professionnelle, il ne pose pourtant aucun geste en ce sens.
Paralysé, en quelque sorte, par sa détresse, il se complaît plutôt dans sa déroute existentielle, qui le mènera, de son propre aveu, à voir et à entendre des choses auxquelles les autres n’ont pas accès. Des conversations entre deux chiens, par exemple, dont celui de Sophie, fille du patron et cible de l’amour à sens unique que lui voue cet antihéros.
Les questionnements qui tourmentent le protagoniste sont rendus de façon touchante par la mise en scène de Belova et Iacobelli, de même que par la manipulation de la marionnette que partage la seconde avec Marta Pereira. Difficile de ne pas trouver écho dans les interrogations ontologiques que sont les classiques, mais inéluctables qui suis-je, ma vie me ressemble-t-elle, à quoi mon existence est-elle utile ?
Beauté ombreuse
C’est en s’imaginant une destinée grandiose, celle d’un roi d’Espagne malencontreusement considéré jusque-là comme un copiste, qu’il trouvera enfin quelque gratification. Or, même dans ces élans fantasques, l’esthétique sombre de Loco ne se dément pas. Au visage gris — mais très expressif — de la marionnette, à ses habits bruns et ocre, répond une scénographie aux tons tout aussi délavés ainsi que de sobres éclairages. Les délires de Proprichtchine se matérialisent, qu’il s’agisse d’une toge royale surdimensionnée ou d’une lune immense, par un collage de papiers grisâtres évoquant des coupures de journaux.
Le rythme du récit s’avère certes lent, mais il est en accord avec son propos puisque c’est en quelque sorte l’ennui qui tue le fonctionnaire solitaire à petit feu. Peut-être qu’une exubérance un peu plus baroque dans l’expression de ses affabulations leur aurait donné davantage de relief aurait souligné la part de créativité qui les nourrit, la fine ligne qui sépare l’imagination et l’art de la déraison, mais ce n’est pas le parti pris qu’ont épousé les créatrices.
Celui-ci les a tout de même amenées à signer un riche et poétique ballet visuel, les deux corps des marionnettistes s’unissant, dans une chorégraphie aussi complexe que fluide, pour donner vie au personnage dans tous ses états. Une œuvre tout en finesse, qui laisse songeur ou songeuse quant aux modes de vie déshumanisants que l’on s’impose et qui ne datent pas d’hier.
Loco
Texte : librement inspiré du Journal d’un fou de Nicolas Gogol. Mise en scène : Tita Iacobelli et Natacha Belova. Scénographie : Natacha Belova et Camille Burkel de Tell. Marionnettes : Natacha Belova et Loïc Nebreda. Musique : Simón González. Éclairages : Christian Halkin. Chrorégraphie et regard extérieur : Nicole Mossoux. Costumes : Jackye Fauconnier. Avec Tita Iacobelli et Marta Pereira. Une production de la Compagnie Belova-Iacobelli, présentée, à l’occasion du Festival de Casteliers, au Théâtre Outremont les 6 et 7 mars 2024.