En ce moment, Alexia Bürger met en scène La ménagerie de verre de Tennessee Williams au Théâtre Denise-Pelletier. Sa pièce Les Hardings, qu’elle a écrite et mise en scène, a remporté le prix de l’AQCT du meilleur texte en 2018. En plus de diriger les productions récentes de Les barbelés et Les filles du Saint-Laurent, elle a coécrit Lysis, présentée au TNM du 7 mai au 1er juin prochains.
Monter un classique contemporain très connu exige un certain courage artistique. Est-ce qu’on aborde la mise en scène de la même façon que pour une création ?
Il y a effectivement, un « risque » à s’attaquer à un classique. Et l’aventure est certainement autre que celle d’une création. L’exigence de départ est la même, pourtant : pour mettre en forme une parole, il faut d’abord trouver la résonance qu’elle a en nous, ce qu’elle nous révèle de notre propre condition. Pour assumer une perspective franche et vivante, il faut trouver dans l’œuvre (qu’elle soit « classique » ou en train de naître) une porte d’entrée intime et personnelle. En théâtre de création, je dialogue constamment, en cours de processus, avec des auteur∙es et vivant∙es. Ce va-et-vient me préserve de la peur de trahir la parole ou de la détourner malencontreusement, me donnant une forme de liberté. Je me surveille moins en laissant à l’auteur∙e le soin de le faire. Quand on tente de faire du théâtre vivant avec le texte d’un auteur mort, on marche toujours sur un mince fil qui nous sépare de deux pièges aussi dangereux artistiquement l’un que l’autre. D’un côté, celui de n’être pas fidèle à l’essence de la parole de l’auteur∙e; de l’autre, le risque de figer l’œuvre sous le poids de son histoire et de faire mourir l’auteur·e une autre fois par peur de lui désobéir, par excès de respect artificiel ou par abus de révérence poussiéreuse. Lorsqu’on a affaire à une œuvre comme La Ménagerie de verre, on sait qu’un certain public nous guette. Celui-là a déjà un rapport à l’œuvre et une idée de la manière dont elle doit être présentée. Ce qui m’aide à me préserver de la pression de ces regards, c’est de me répéter que la pièce sera vue par des jeunes. J’échangerais volontiers l’appréciation d’un∙e puriste de Williams contre celle d’un∙e adolescent∙e qui découvre le théâtre.
Comment avez-vous travaillé cette fois avec Fanny Britt ? En ce qui a trait à la langue, y a-t-il eu des adaptations ?
Nous avons travaillé beaucoup plus dans l’optique d’une traduction que d’une adaptation. Nous nous sommes permis d’enlever, ici et là, des détails trop spécifiques, mais nous avons gardé les références à l’époque et aux lieux. Fanny a réussi, selon moi, à garder l’élan romantique de l’écriture sans toutefois perdre de vue l’aspect direct et concret des dialogues et de l’adresse des personnages. Je trouve que c’est un tour de force.
La pièce a 80 ans. Avec le temps, certaines scènes peuvent paraître un peu surannées, voire mélodramatiques, est-ce un piège pour la mise en scène, le jeu ? Piège ou défi ?
Ah oui ! Défi et piège. « C’est le temps qui constitue la plus grande distance entre deux lieux », nous dit Tom Wingfield, le narrateur-personnage de La ménagerie de verre. C’est un piège potentiel que ces 80 ans qui peuvent se poser en distance entre la pièce et nous. C’est un défi de taille, autant dans l’interprétation que dans les autres aspects de la mise en forme (scénographie, costumes, musique et éclairage) de la rendre vibrante au présent, sans pour autant gommer les références au contexte de l’époque. Ce qui nous sauve c’est que nous sommes d’abord et avant tout dans le temps de la mémoire de Tom. Ce temps un peu abstrait nous permet une licence par rapport au réalisme, une certaine liberté formelle. Elle nous permet de désobéir à certains des dictats de l’époque. Tennessee Williams nous aide aussi beaucoup en abolissant le quatrième mur avec un narrateur qui nous ramène sporadiquement au temps présent. Sur le plan de l’interprétation, j’ai découvert en cours de route à quel point les défis de l’écriture de Williams se rapprochent de ceux de Tchekhov. L’action qui se déploie à l’intérieur même des personnages est presque plus grande et plus puissante que l’action dramaturgique. C’est un sport olympique pour les interprètes parce que, si cette action intérieure n’est pas soutenue, on peut vite tomber vite dans le suranné évoqué, dans l’anecdotique ou le conversationnel. Lorsque cette action-friction est bien présente, l’écriture émerge dans toute sa splendeur, son universalité. L’époque et le contexte n’agissent pas comme un filtre ou un vernis, elles ne nous éloignent ni de l’œuvre ni des personnages, bien au contraire.
Qu’est-ce qu’apportent trois jeunes interprètes comme Thomas Derasp-Verge, Fabrice Yvanoff Sénat et Elisabeth Smith à la pièce ? Souvent, ces rôles sont tenus par des personnes plus âgés ?
C’est vrai que La ménagerie a très souvent été jouée par des interprètes beaucoup plus vieux que les personnages de la pièce. Elisabeth, Fabrice et Marie-Hélène sont un peu plus vieux que les personnages qu’ils interprètent. Laura a 23, Jim en a 24. On peut estimer qu’Amanda a environ 48 ans au moment où se déroule l’action. Et si on ne sait exactement combien de temps s’est écoulé depuis le départ de Tom, on sait qu’il a 21 ans au moment des faits qu’il raconte. C’était important, pour Claude Poissant et pour moi, de ne pas trop s’éloigner de l’âge réel des personnages et de rester ainsi plus proche de la réalité familiale des adolescents qui constitueront notre principal public. Thomas, Fabrice, Elisabeth et Marie-Hélène ont tous les quatre une énergie très vive, une spontanéité et une vibrance qui sert l’espoir perpétuel d’un avenir meilleur et le refus de la fatalité qui animent les personnages la pièce.
La présentation de Lysis au TNM suit dans peu de temps. À propos des autres pièces sur lesquelles vous avez travaillé récemment – comme Les filles du Saint-Laurent et Les Hardings, notamment – on peut parler d’éclectisme, ce qui semble caractéristique de votre génération, si on pense aussi à Catherine Vidal et Édith Patenaude, non ?
Oui, c’est une vraie chance que cette occasion de passer d’un monde à un autre, et de toucher à la création autant que de visiter les classiques. Je suis convaincue que ces expériences se nourrissent mutuellement, qu’elles nous gardent sur le qui-vive. Elles permettent de creuser une démarche sans toutefois s’asseoir trop confortablement sur des acquis. Je pense que cet éclectisme est très sain !
La ménagerie de verre est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 9 avril 2024.
En ce moment, Alexia Bürger met en scène La ménagerie de verre de Tennessee Williams au Théâtre Denise-Pelletier. Sa pièce Les Hardings, qu’elle a écrite et mise en scène, a remporté le prix de l’AQCT du meilleur texte en 2018. En plus de diriger les productions récentes de Les barbelés et Les filles du Saint-Laurent, elle a coécrit Lysis, présentée au TNM du 7 mai au 1er juin prochains.
Monter un classique contemporain très connu exige un certain courage artistique. Est-ce qu’on aborde la mise en scène de la même façon que pour une création ?
Il y a effectivement, un « risque » à s’attaquer à un classique. Et l’aventure est certainement autre que celle d’une création. L’exigence de départ est la même, pourtant : pour mettre en forme une parole, il faut d’abord trouver la résonance qu’elle a en nous, ce qu’elle nous révèle de notre propre condition. Pour assumer une perspective franche et vivante, il faut trouver dans l’œuvre (qu’elle soit « classique » ou en train de naître) une porte d’entrée intime et personnelle. En théâtre de création, je dialogue constamment, en cours de processus, avec des auteur∙es et vivant∙es. Ce va-et-vient me préserve de la peur de trahir la parole ou de la détourner malencontreusement, me donnant une forme de liberté. Je me surveille moins en laissant à l’auteur∙e le soin de le faire. Quand on tente de faire du théâtre vivant avec le texte d’un auteur mort, on marche toujours sur un mince fil qui nous sépare de deux pièges aussi dangereux artistiquement l’un que l’autre. D’un côté, celui de n’être pas fidèle à l’essence de la parole de l’auteur∙e; de l’autre, le risque de figer l’œuvre sous le poids de son histoire et de faire mourir l’auteur·e une autre fois par peur de lui désobéir, par excès de respect artificiel ou par abus de révérence poussiéreuse. Lorsqu’on a affaire à une œuvre comme La Ménagerie de verre, on sait qu’un certain public nous guette. Celui-là a déjà un rapport à l’œuvre et une idée de la manière dont elle doit être présentée. Ce qui m’aide à me préserver de la pression de ces regards, c’est de me répéter que la pièce sera vue par des jeunes. J’échangerais volontiers l’appréciation d’un∙e puriste de Williams contre celle d’un∙e adolescent∙e qui découvre le théâtre.
Comment avez-vous travaillé cette fois avec Fanny Britt ? En ce qui a trait à la langue, y a-t-il eu des adaptations ?
Nous avons travaillé beaucoup plus dans l’optique d’une traduction que d’une adaptation. Nous nous sommes permis d’enlever, ici et là, des détails trop spécifiques, mais nous avons gardé les références à l’époque et aux lieux. Fanny a réussi, selon moi, à garder l’élan romantique de l’écriture sans toutefois perdre de vue l’aspect direct et concret des dialogues et de l’adresse des personnages. Je trouve que c’est un tour de force.
La pièce a 80 ans. Avec le temps, certaines scènes peuvent paraître un peu surannées, voire mélodramatiques, est-ce un piège pour la mise en scène, le jeu ? Piège ou défi ?
Ah oui ! Défi et piège. « C’est le temps qui constitue la plus grande distance entre deux lieux », nous dit Tom Wingfield, le narrateur-personnage de La ménagerie de verre. C’est un piège potentiel que ces 80 ans qui peuvent se poser en distance entre la pièce et nous. C’est un défi de taille, autant dans l’interprétation que dans les autres aspects de la mise en forme (scénographie, costumes, musique et éclairage) de la rendre vibrante au présent, sans pour autant gommer les références au contexte de l’époque. Ce qui nous sauve c’est que nous sommes d’abord et avant tout dans le temps de la mémoire de Tom. Ce temps un peu abstrait nous permet une licence par rapport au réalisme, une certaine liberté formelle. Elle nous permet de désobéir à certains des dictats de l’époque. Tennessee Williams nous aide aussi beaucoup en abolissant le quatrième mur avec un narrateur qui nous ramène sporadiquement au temps présent. Sur le plan de l’interprétation, j’ai découvert en cours de route à quel point les défis de l’écriture de Williams se rapprochent de ceux de Tchekhov. L’action qui se déploie à l’intérieur même des personnages est presque plus grande et plus puissante que l’action dramaturgique. C’est un sport olympique pour les interprètes parce que, si cette action intérieure n’est pas soutenue, on peut vite tomber vite dans le suranné évoqué, dans l’anecdotique ou le conversationnel. Lorsque cette action-friction est bien présente, l’écriture émerge dans toute sa splendeur, son universalité. L’époque et le contexte n’agissent pas comme un filtre ou un vernis, elles ne nous éloignent ni de l’œuvre ni des personnages, bien au contraire.
Qu’est-ce qu’apportent trois jeunes interprètes comme Thomas Derasp-Verge, Fabrice Yvanoff Sénat et Elisabeth Smith à la pièce ? Souvent, ces rôles sont tenus par des personnes plus âgés ?
C’est vrai que La ménagerie a très souvent été jouée par des interprètes beaucoup plus vieux que les personnages de la pièce. Elisabeth, Fabrice et Marie-Hélène sont un peu plus vieux que les personnages qu’ils interprètent. Laura a 23, Jim en a 24. On peut estimer qu’Amanda a environ 48 ans au moment où se déroule l’action. Et si on ne sait exactement combien de temps s’est écoulé depuis le départ de Tom, on sait qu’il a 21 ans au moment des faits qu’il raconte. C’était important, pour Claude Poissant et pour moi, de ne pas trop s’éloigner de l’âge réel des personnages et de rester ainsi plus proche de la réalité familiale des adolescents qui constitueront notre principal public. Thomas, Fabrice, Elisabeth et Marie-Hélène ont tous les quatre une énergie très vive, une spontanéité et une vibrance qui sert l’espoir perpétuel d’un avenir meilleur et le refus de la fatalité qui animent les personnages la pièce.
La présentation de Lysis au TNM suit dans peu de temps. À propos des autres pièces sur lesquelles vous avez travaillé récemment – comme Les filles du Saint-Laurent et Les Hardings, notamment – on peut parler d’éclectisme, ce qui semble caractéristique de votre génération, si on pense aussi à Catherine Vidal et Édith Patenaude, non ?
Oui, c’est une vraie chance que cette occasion de passer d’un monde à un autre, et de toucher à la création autant que de visiter les classiques. Je suis convaincue que ces expériences se nourrissent mutuellement, qu’elles nous gardent sur le qui-vive. Elles permettent de creuser une démarche sans toutefois s’asseoir trop confortablement sur des acquis. Je pense que cet éclectisme est très sain !
La ménagerie de verre est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 9 avril 2024.