Angela Konrad présente à l’Usine C l’intégrale de la trilogie Vernon Subutex, d’une durée de sept heures. Il s’agit de son adaptation des romans de Virginie Despentes publiés entre 2015 et 2017. Porteuse d’un récit prophétique selon elle, la pièce traite de la précarité, la déchéance sociale, des inégalités et de la montée de l’extrême droite.
Est-ce que le spectacle a subi des modifications depuis la présentation du premier des trois tomes en 2022 ?
Il y a eu quelques coupes et des changements du côté de la scénographie numérique parce qu’on a développé de nouvelles images avec la construction des tomes 2 et 3, qu’on a pu réinsérer dans le tome 1. Les personnages ont aussi pris de l’ampleur et des nuances. On sent que quelque chose s’est déposé chez les interprètes qui s’avèrent hallucinants. Ils et elles sont neuf à se partager une trentaine de rôles et ont effectué le travail dans un temps record. Comme nous n’avons pas reçu de fonds du Conseil des arts du Canada pour les tomes 2 et 3, il a fallu couper des heures de répétitions. Après le prix de la critique pour la mise en scène l’an dernier, on était certains de recevoir ces fonds… J’ai même dû imaginer une fin différente.
Face à une crise sociale, cette solidarité ou, du moins, sa recherche est aussi présente dans le récit de Vernon Subutex ?
Ça parle de ceux et celles qui ont adopté à partir des années 1980 la simplicité volontaire, mais aujourd’hui cela n’est plus possible. Il y a une forme de violence sociale maintenant. La « précarité » n’est plus une option, c’est une réalité qui place les gens face à de véritables choix existentiels. On ne peut pas bricoler à travers ça. On est en train de démanteler, non seulement la culture, mais l’avenir dans la culture. Ça m’inquiète beaucoup. Ce qui se passe ébranle les fondements de la démocratie. Je ne suis pas certaine que le public sache vraiment ce que vivent les artistes au quotidien.
Même sans avoir lu les romans, il apparaît que cette histoire ne peut pas finir bien ?
Virginie Despentes est une visionnaire. Ce qui se passe dans cette histoire est proche de la réalité et de ce que prédisent les scientifiques. Le roman porte les traces des massacres de Charlie Hebdo et du Bataclan à Paris. Il s’interroge aussi sur la culture meurtrière de la société à tous les niveaux : la domination masculine et celle du pouvoir, ainsi que l’impact de ces pouvoirs sur les uns et les autres, les relations intimes et amicales. C’est un questionnement constant entre les sujets individuels et collectifs, ce qui alimente la montée de l’extrême droite. Cette réflexion émerge d’un intérêt pour l’humain, à savoir comment les gens survivent quand la société explose.
Avec une telle œuvre luxuriante à adapter, il y a dû y avoir des choix difficiles à faire ?
Oui, mais en même temps j’avais l’objectif de raconter l’histoire centrale des romans. Despentes développe plusieurs personnages secondaires intéressants qui apportent d’autres éclairages sur la société, mais l’œuvre compte 1 200 pages et mon adaptation, 250, avec 63 scènes. Dans le premier tome, j’ai laissé la place aux portraits qui sont tracés avec des monologues. Dans les tomes 2 et 3, il y a une enquête pendant que les personnages évoluent. Le génie de Virginie Despentes c’est de les montrer dans toutes leurs contradictions. C’est une grande portraitiste et intellectuelle qui sait tricoter avec les discours ambiants de la société contemporaine. Mais c’est vrai que l’adaptation a représenté un énorme travail. C’était presque un travail d’auteur. Vernon Subutex c’est hyperhumaniste, touchant, grotesque, tragique et cela démontre toute la pertinence de Despentes.
Eu égard à la manifestation récente des artistes de la scène, le sous-financement actuel vous préoccupe ?
C’est une bataille permanente. C’est extrêmement difficile d’obtenir les moyens adéquats pour ce genre de spectacle. Ça retombe sur toute l’équipe, des comédien∙nes aux concepteurs et conceptrices. Compter sur l’instinct sacrificiel des artistes ne fonctionne plus. Il faut que ça change parce qu’on ne peut pas continuer de cette façon. Tous les artistes, producteurs, diffuseurs, créateurs et créatrices des arts vivants doivent parler d’une seule voix.
Les trois tomes de Vernon Subutex sont présentés à l’Usine C du 30 avril au 18 mai 2024.
Angela Konrad présente à l’Usine C l’intégrale de la trilogie Vernon Subutex, d’une durée de sept heures. Il s’agit de son adaptation des romans de Virginie Despentes publiés entre 2015 et 2017. Porteuse d’un récit prophétique selon elle, la pièce traite de la précarité, la déchéance sociale, des inégalités et de la montée de l’extrême droite.
Est-ce que le spectacle a subi des modifications depuis la présentation du premier des trois tomes en 2022 ?
Il y a eu quelques coupes et des changements du côté de la scénographie numérique parce qu’on a développé de nouvelles images avec la construction des tomes 2 et 3, qu’on a pu réinsérer dans le tome 1. Les personnages ont aussi pris de l’ampleur et des nuances. On sent que quelque chose s’est déposé chez les interprètes qui s’avèrent hallucinants. Ils et elles sont neuf à se partager une trentaine de rôles et ont effectué le travail dans un temps record. Comme nous n’avons pas reçu de fonds du Conseil des arts du Canada pour les tomes 2 et 3, il a fallu couper des heures de répétitions. Après le prix de la critique pour la mise en scène l’an dernier, on était certains de recevoir ces fonds… J’ai même dû imaginer une fin différente.
Face à une crise sociale, cette solidarité ou, du moins, sa recherche est aussi présente dans le récit de Vernon Subutex ?
Ça parle de ceux et celles qui ont adopté à partir des années 1980 la simplicité volontaire, mais aujourd’hui cela n’est plus possible. Il y a une forme de violence sociale maintenant. La « précarité » n’est plus une option, c’est une réalité qui place les gens face à de véritables choix existentiels. On ne peut pas bricoler à travers ça. On est en train de démanteler, non seulement la culture, mais l’avenir dans la culture. Ça m’inquiète beaucoup. Ce qui se passe ébranle les fondements de la démocratie. Je ne suis pas certaine que le public sache vraiment ce que vivent les artistes au quotidien.
Même sans avoir lu les romans, il apparaît que cette histoire ne peut pas finir bien ?
Virginie Despentes est une visionnaire. Ce qui se passe dans cette histoire est proche de la réalité et de ce que prédisent les scientifiques. Le roman porte les traces des massacres de Charlie Hebdo et du Bataclan à Paris. Il s’interroge aussi sur la culture meurtrière de la société à tous les niveaux : la domination masculine et celle du pouvoir, ainsi que l’impact de ces pouvoirs sur les uns et les autres, les relations intimes et amicales. C’est un questionnement constant entre les sujets individuels et collectifs, ce qui alimente la montée de l’extrême droite. Cette réflexion émerge d’un intérêt pour l’humain, à savoir comment les gens survivent quand la société explose.
Avec une telle œuvre luxuriante à adapter, il y a dû y avoir des choix difficiles à faire ?
Oui, mais en même temps j’avais l’objectif de raconter l’histoire centrale des romans. Despentes développe plusieurs personnages secondaires intéressants qui apportent d’autres éclairages sur la société, mais l’œuvre compte 1 200 pages et mon adaptation, 250, avec 63 scènes. Dans le premier tome, j’ai laissé la place aux portraits qui sont tracés avec des monologues. Dans les tomes 2 et 3, il y a une enquête pendant que les personnages évoluent. Le génie de Virginie Despentes c’est de les montrer dans toutes leurs contradictions. C’est une grande portraitiste et intellectuelle qui sait tricoter avec les discours ambiants de la société contemporaine. Mais c’est vrai que l’adaptation a représenté un énorme travail. C’était presque un travail d’auteur. Vernon Subutex c’est hyperhumaniste, touchant, grotesque, tragique et cela démontre toute la pertinence de Despentes.
Eu égard à la manifestation récente des artistes de la scène, le sous-financement actuel vous préoccupe ?
C’est une bataille permanente. C’est extrêmement difficile d’obtenir les moyens adéquats pour ce genre de spectacle. Ça retombe sur toute l’équipe, des comédien∙nes aux concepteurs et conceptrices. Compter sur l’instinct sacrificiel des artistes ne fonctionne plus. Il faut que ça change parce qu’on ne peut pas continuer de cette façon. Tous les artistes, producteurs, diffuseurs, créateurs et créatrices des arts vivants doivent parler d’une seule voix.
Les trois tomes de Vernon Subutex sont présentés à l’Usine C du 30 avril au 18 mai 2024.