Critiques

Nigamon/Tunai : La musique de l’univers naturel

© Antoine Raymond

La nouvelle pièce d’Émilie Monnet, qui œuvre ici avec la Colombienne Waira Nina, est une extraordinaire fable écologiste où se rencontrent fiction et théâtre documentaire, le Nord et le Sud, la tradition et la modernité. Présenté en cinq langues (espagnol, français, anglais, anishnabemowin et inga), le spectacle est un festin pour les sens et pour l’esprit.

Il débute par un rituel fascinant, tout en douceur, qui nous plonge dans une forêt luxuriante (de nombreux arbres en pot encerclent le plateau), au sein de laquelle les deux interprètes versent de l’eau dans des récipients suspendus. Les gouttes s’échappent de ces amphores métalliques percées et émettent des sons amplifiés en tombant dans de mini-étangs au sol. Les arbres aussi parlent lorsqu’on les touche et quelques membres du public en font l’expérience. Afin de compléter cette initiation à la musique de l’univers naturel, les interprètes se mettent à imiter des chants d’oiseaux.

Sommes-nous dans la jungle amazonienne ou dans la forêt boréale ? Les deux sans doute. Pendant que les comédiennes continuent de faire entendre la voix de la nature (avec des pierres posées sur un tourne-disque, une carapace de tortue, de longues perches trempées dans un canot translucide rempli d’eau, entre autres), un documentaire audio émerge. Femmes et hommes nous parlent de la surexploitation du cuivre pratiquée par des compagnies canadiennes ici et en Colombie. Elles et ils dénoncent ce saccage des entrailles de la Terre qui contaminent et modifient à jamais le cours de la vie qui bat. Ou comment la technologie avancée et avide défigure la tortue, considérée par les autochtones du Nord comme étant la surface terrestre, et, au Sud par les Ingas (groupe quéchua apparenté aux Incas), telle la mère des eaux.

© Antoine Raymond

Célébrantes

Vêtues de costumes et de coiffes magnifiques, les deux interprètes apparaissent, en fait, comme les célébrantes d’un rituel millénaire. Elles vont et viennent parmi le public assis par terre ou sur quelques tabourets afin d’actionner divers instruments. Elles dansent, chantent et se déplacent acrobatiquement sur une carapace de tortue projetée au sol. On pourrait presque qualifier cette représentation de « spectacle à grand déploiement en espace restreint » si telle chose existait. Plusieurs conceptrices et concepteurs y contribuent de manière exceptionnelle tant au son qu’à l’image. Le public est ainsi placé devant un univers poétique et prophétique, qui se suffit à lui-même. Conscient et fragile également, il interpelle nos sens et notre intelligence.

Nigamon/Tunai est un spectacle à la fois apaisant et inquiet. Une pièce présentée en plein cœur de la ville qui nous donne envie de lacs et de rivières, d’arbres et d’air pur où respirer librement. Tout ceci est évidemment remis en question par la folie destructrice des hommes et leur appât du gain. Cela se déroule depuis des dizaines d’années ici et là-bas, sans oublier que le Nord profite encore une fois du Sud pour se conforter dans ce qu’il appelle le progrès. Le colonialisme et le racisme ne sont pas morts; ils n’ont fait que changer de visage.

© Antoine Raymond

Nigamon/Tunai

Texte et mise en scène : Émilie Monnet et Waira Nina. Collaboration à la mise en scène : Sarah Williams. Scénographie sonore : Leonel Vásquez. Dramaturgie : Yohayna Hernández. Assistance à la mise en scène et régie générale : Wanderson Santos. Vidéo : Mélanie O’Bomsawin. Scénographie : Julie-Christina Picher. Assistance aux accessoires : Mayumi Ide-Bergeron. Conception musicale et sonore : Frannie Holder. Spatialisation sonore : Frédéric Auger. Lumière3s : Chantal Labonté. Costumes : Yso. Coaching chant d’oiseaux : Esmeralda Vásquez. Coaching vocal : Elizabeth Lima. Soutien de plateau, conception de perlage: Maria Belén Jacanamijoy Mutumbajoy. Maquillage et coiffure : Julie Cusson. Tambours : Tribal Spirit Music. Artisans canot : South Street Builders (conception Tim Richards) et Leonel Vásquez. Direction technique et régie son: Samuel Thériault. Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin. Consultant aux protocoles autochtones (Nord) : Floyd Flavel. Consultant aux protocoles autochtones (Sud) : Luciano Mutumbajoy. Une production d’Onishka en coproduction avec le Festival TransAmériques et en collaboration avec Espace Go, présentée à Espace Go jusqu’au 30 mai 2024.