JEU des 5 questions

Cinq questions à Tamara Cubas, chorégraphe

© Tamara Cubas

JEU vous propose aujourd’hui et dans les prochains jours des entrevues avec des artistes qui participent au Festival TransAmériques jusqu’au 5 juin. Tout d’abord, la chorégraphe uruguayenne Tamara Cubas y présente le spectacle gratuit extérieur Multitud, où 75 danseuses et danseurs entrent en relation les un∙es avec les autres.

Projet entrepris il y a plus de dix ans et ayant visité 17 villes jusqu’ici, Multitud se base sur les relations entre les danseuses et les danseurs. Est-ce que votre pièce a pris une autre couleur depuis la pandémie ?

Multitud travaille sur les relations interpersonnelles avec un degré élevé d’incertitude puisque les interprètes doivent prendre des décisions pendant les 90 minutes que dure le spectacle. Il n’y a pas de chorégraphie programmée, mais des objectifs communs vers lesquels s’organisent les actions de chacun∙e selon leur propre volonté. Dans certaines villes, les choses ont pris une autre couleur. Nous pensions qu’après la pandémie, nous serions plus conscients des autres, que la vie prendrait des chemins différents, mais il semble que ce ne soit pas le cas. Certains aspects sont devenus plus importants. En ce sens, à certains endroits dans le monde, se regarder, se toucher, se rapprocher, s’impliquer auprès des autres, créer une communauté, ce qui se trouve parmi les buts de Multitud, aide à réfléchir à ces thématiques et à dialoguer tout en étant en action.

Il est probablement impossible de contrôler ce qui se passe durant la représentation, mais est-ce qu’on peut parler d’improvisation pour autant ?

Nous tenons des ateliers pendant six jours et, plus que de travailler la pièce, nous activons la capacité de prendre des risques, d’être alerte, d’être responsable de notre propre corps et d’être disponible aux autres. Il ne s’agit pas de contrôle, mais du contraire : habiter ce que l’on ne contrôle pas, là où la vie se passe, dans les relations avec les autres, les tensions entre ce qu’on peut faire et ne pas faire. Plutôt que de parler d’improvisation, je préfère dire qu’il s’agit de coexister avec les autres, sans perdre l’hétérogénéité ni occulter la dissension.

On voit se créer dans Multitud un « chemin » de fourmis où des interprètes marchent sur d’autres étendu∙es au sol l’idée de collectif apparaît alors comme une position politique face à l’individualisme ?

Le projet et la pièce sont totalement politiques puisque nous réfléchissons et nous créons ce qui nous est commun. Cette scène est très importante parce que des personnes mettent leur corps à la disposition des autres afin qu’ils puissent avancer. Cette image de l’humanité qui progresse et qui passe d’un lieu à un autre est pertinente à notre époque de crise migratoire.

Vous vous opposez à une vision simpliste de l’humanité. La « multitude », qu’elle soit en chaque humain ou dans la société, reste une réalité complexe ?

Multitud explore diverses façons d’être ensemble, sans leaders, en faisant apparaître toute la complexité humaine. La pièce favorise l’idée d’une responsabilité propre à chacun, sans déléguer la vie en tant que telle à des structures. Au fil des jours en répétitions, c’est très beau de voir le collectif s’emparer du processus, prendre la pièce et « s’autorganiser » en s’entraidant, en prenant des notes et en se donnant des conseils. Même si ça fait 10 ans que je propose ce spectacle, cela me surprend et m’émeut encore de constater les capacités et la puissance d’un collectif.

Comme artiste, vous avez des projets très différents, plus intimes aussi, comme votre cycle Sea of Silence qui sera présenté à Avignon. Il s’agit également d’un projet à forte connotation sociopolitique ?

Je crois en un art qui me permet d’entrer en relation et de tenter de comprendre la complexité humaine. Chaque projet artistique et sa démarche m’ouvrent à de nouvelles questions desquelles découlent de nouveaux projets. Ce qui sera présenté à Avignon est en lien avec un projet développé depuis quatre ans et qui traite, à travers l’art, de la migration féminine. Mes pièces n’offrent jamais de réponses et activent plutôt des remises en question. En général, mes créations portent sur les relations interpersonnelles, la politique, le pouvoir, les institutions et l’autonomie. Ce sont des thèmes récurrents dans mon travail, ce qui me touche plus particulièrement.

Multitud est présenté du 23 au 25 mai sur la Place des Festivals.