Le Festival TransAmériques s’ouvre cette année en grand fracas : dans un cadre météorologique déchaîné, performance sensationnelle et commentaire sociopolitique aiguisé sont au menu. Le public n’est pas plus à l’abri des éclaboussures — matérielles ou émotives — en salle qu’à l’extérieur. C’est aussi le règne du spectacle hybride et de la performance : danse, chant, théâtre, cirque et arts médiatiques s’entrelacent pour composer une toile brillante aux motifs engagés.
Du temps où ma mère racontait — كما روتها أمي : De la berceuse à l’éloge funèbre
Sous un éclairage feutré où l’ombre a la part belle, la création d’Ali Chahrour aborde la mort, le chagrin, l’amour maternel et l’espoir. Du temps où ma mère racontait évolue le long d’un fil narratif constitué de scènes tour à tour bouleversantes, tendres ou incongrues. Des membres de la famille du chorégraphe, interprètes non professionnel·les, se mêlent aux autres interprètes en incarnant leur propre personnage dans ce récit de deuil et de délivrance.
Dans ce spectacle présenté entièrement en arabe et, le plus souvent, sous-titré en français et en anglais, la narratrice, Hala Omran, prête sa voix extraordinaire à une variété de chants qui porte la performance. De la supplique au récitatif et de l’oraison funèbre jusqu’à la berceuse la plus tendre, elle guide et accompagne le déroulement d’un rituel visant à conjurer un sort funeste, celui d’un jeune homme disparu et de la quête opiniâtre de sa mère, par la mise en scène d’un récit différent.
Ce spectacle au rythme lent et lourd se déploie sur la musique de Two or the Dragon, basée surtout sur la mandole et sur des percussions qui, par moment, se font assourdissantes au point de faire vibrer le plexus solaire, comme un deuxième cœur qui bat. On peut reprocher des temps parfois trop longs qui, associés à certaines répétitions, égarent l’attention du public, d’autant que le fil de l’intrigue s’avère quelque peu difficile à rattraper par moments. Mais sa force est la densité dramatique, accentuée par le défi lancé au public par les regards des interprètes, ainsi que la pertinence de son propos social.
Les chorégraphies puissantes frappent par leur singularité. On les sent chargées d’une myriade d’histoires entremêlées; elles jouent avec les codes sociaux, ceux du genre, ceux de la scène. Et ce conte qui commence comme un éloge funèbre se termine en apothéose, sur un tableau de fureur et de libération.
Mise en scène et chorégraphie : Ali Chahrour. Musique : Two or The Dragon (Ali Hout et Abed Kobeissy). Assistance à la mise en scène et à la chorégraphie : Chadi Aoun. Direction de production : Chadi Aoun et Christel Salem. Scénographie : Ali Chahrour et Guillaume Tesson. Lumières et direction technique : Guillaume Tesson. Conception sonore : Benoit Rave. Rédaction : Fabienne Cabado. Traduction : David Dalgleish. Avec Abbas Al Mawla, Ali Chahrour, Leila Chahrour, Ali Hout, Abed Kobeissy et Hala Omran. Une production d’Ali Chahrour, en coproduction avec le Théâtre Zoukak, l’Arab Fund for Arts and Culture et l’Arab Arts Focus (Beyrouth), présentée dans le cadre du Festival TransAmériques jusqu’au 24 mai 2024.
Carte noire nommée désir : Tâches et entaches d’une réappropriation
Théâtre et cabaret, jeu de variété, sketchs, danse, performance alimentaire — difficile de circonscrire la dernière création de Rébecca Chaillon. Cette actrice, autrice et metteuse en scène française signe les textes et la mise en scène de ce spectacle satirique et politique, en plus d’y tenir un des rôles principaux aux côtés de sept autres performeuses afrodescendantes.
On y aborde de nombreuses questions liées à la colonisation, à l’immigration et à la domination occidentale et masculine. Pas de tabou dans cette écriture d’une liberté provocatrice, dans cette mise en scène exubérante et ingénieuse où fusent les fluides sous toutes leurs formes. Le public est mis à contribution, secoué, kidnappé, par des comédiennes qui ne reculent ni devant le dévoilement du corps et des blessures, ni devant les tâches physiques et salissantes.
D’une longueur apparemment imprévisible — de quelque trois heures pour ce qui est de la première — Carte noire nommée désir prend l’allure d’un véritable décathlon qui ne laisse aucun linge sec et aucun esprit indifférent. On en sort épuisé, perplexe, chaviré, le sourire aux lèvres et la tête fourmillante de possibilités.
Ce spectacle d’une vigueur phénoménale se définit par la juxtaposition de rythmes hétérogènes : des scènes d’action effrénées et des monologues langoureux succèdent à des longueurs d’un insupportable ennui, et sont entrecoupées de moments de beauté aiguë. Les textes, qui vont du pamphlet révolutionnaire aux déclamations portant des accents d’Aimé Césaire, reprennent et déconstruisent des idées reçues et des réalités laissées dans le sillage du grand imaginaire colonial. Il s’agit pour la plupart de propositions transférables d’un continent à l’autre, mais quelques références très françaises ont de la difficulté à trouver de l’écho dans la salle.
Les artistes sur scène font feu de tout bois, incorporant des performances musicales et circassiennes, mais aussi des pratiques artisanales et esthétiques à cette prestation polymorphe. À travers la démarche militante, les postures irrévérencieuses et l’humour noir, c’est un véritable don de soi que font au public ces fauteuses de trouble.
Texte et mise en scène : Rébecca Chaillon. Dramaturgie : Céline Champinot. Assistance à la mise en scène : Jojo Armaing et Olivia Mabounga. Scénographie : Shehrazad Dermé et Camille Riquier. Création et régie sonore : Issa Gouchène et Elisa Monteil. Création et régie lumières : Myriam Adjalle. Régie générale et plateau : Suzanne Péchenart. Construction décor : Samuel Chenier et Baptiste Odet. Collaborations artistiques : Aurore Déon et Suzanne Péchenart. Avec Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby et Davide-Christelle Sanvee. Une production de Dans le ventre présentée dans le cadre du Festival TransAmériques jusqu’au 26 mai 2024.
Le Festival TransAmériques s’ouvre cette année en grand fracas : dans un cadre météorologique déchaîné, performance sensationnelle et commentaire sociopolitique aiguisé sont au menu. Le public n’est pas plus à l’abri des éclaboussures — matérielles ou émotives — en salle qu’à l’extérieur. C’est aussi le règne du spectacle hybride et de la performance : danse, chant, théâtre, cirque et arts médiatiques s’entrelacent pour composer une toile brillante aux motifs engagés.
Du temps où ma mère racontait — كما روتها أمي : De la berceuse à l’éloge funèbre
Sous un éclairage feutré où l’ombre a la part belle, la création d’Ali Chahrour aborde la mort, le chagrin, l’amour maternel et l’espoir. Du temps où ma mère racontait évolue le long d’un fil narratif constitué de scènes tour à tour bouleversantes, tendres ou incongrues. Des membres de la famille du chorégraphe, interprètes non professionnel·les, se mêlent aux autres interprètes en incarnant leur propre personnage dans ce récit de deuil et de délivrance.
Dans ce spectacle présenté entièrement en arabe et, le plus souvent, sous-titré en français et en anglais, la narratrice, Hala Omran, prête sa voix extraordinaire à une variété de chants qui porte la performance. De la supplique au récitatif et de l’oraison funèbre jusqu’à la berceuse la plus tendre, elle guide et accompagne le déroulement d’un rituel visant à conjurer un sort funeste, celui d’un jeune homme disparu et de la quête opiniâtre de sa mère, par la mise en scène d’un récit différent.
Ce spectacle au rythme lent et lourd se déploie sur la musique de Two or the Dragon, basée surtout sur la mandole et sur des percussions qui, par moment, se font assourdissantes au point de faire vibrer le plexus solaire, comme un deuxième cœur qui bat. On peut reprocher des temps parfois trop longs qui, associés à certaines répétitions, égarent l’attention du public, d’autant que le fil de l’intrigue s’avère quelque peu difficile à rattraper par moments. Mais sa force est la densité dramatique, accentuée par le défi lancé au public par les regards des interprètes, ainsi que la pertinence de son propos social.
Les chorégraphies puissantes frappent par leur singularité. On les sent chargées d’une myriade d’histoires entremêlées; elles jouent avec les codes sociaux, ceux du genre, ceux de la scène. Et ce conte qui commence comme un éloge funèbre se termine en apothéose, sur un tableau de fureur et de libération.
Du temps où ma mère racontait
Mise en scène et chorégraphie : Ali Chahrour. Musique : Two or The Dragon (Ali Hout et Abed Kobeissy). Assistance à la mise en scène et à la chorégraphie : Chadi Aoun. Direction de production : Chadi Aoun et Christel Salem. Scénographie : Ali Chahrour et Guillaume Tesson. Lumières et direction technique : Guillaume Tesson. Conception sonore : Benoit Rave. Rédaction : Fabienne Cabado. Traduction : David Dalgleish. Avec Abbas Al Mawla, Ali Chahrour, Leila Chahrour, Ali Hout, Abed Kobeissy et Hala Omran. Une production d’Ali Chahrour, en coproduction avec le Théâtre Zoukak, l’Arab Fund for Arts and Culture et l’Arab Arts Focus (Beyrouth), présentée dans le cadre du Festival TransAmériques jusqu’au 24 mai 2024.
Carte noire nommée désir : Tâches et entaches d’une réappropriation
Théâtre et cabaret, jeu de variété, sketchs, danse, performance alimentaire — difficile de circonscrire la dernière création de Rébecca Chaillon. Cette actrice, autrice et metteuse en scène française signe les textes et la mise en scène de ce spectacle satirique et politique, en plus d’y tenir un des rôles principaux aux côtés de sept autres performeuses afrodescendantes.
On y aborde de nombreuses questions liées à la colonisation, à l’immigration et à la domination occidentale et masculine. Pas de tabou dans cette écriture d’une liberté provocatrice, dans cette mise en scène exubérante et ingénieuse où fusent les fluides sous toutes leurs formes. Le public est mis à contribution, secoué, kidnappé, par des comédiennes qui ne reculent ni devant le dévoilement du corps et des blessures, ni devant les tâches physiques et salissantes.
D’une longueur apparemment imprévisible — de quelque trois heures pour ce qui est de la première — Carte noire nommée désir prend l’allure d’un véritable décathlon qui ne laisse aucun linge sec et aucun esprit indifférent. On en sort épuisé, perplexe, chaviré, le sourire aux lèvres et la tête fourmillante de possibilités.
Ce spectacle d’une vigueur phénoménale se définit par la juxtaposition de rythmes hétérogènes : des scènes d’action effrénées et des monologues langoureux succèdent à des longueurs d’un insupportable ennui, et sont entrecoupées de moments de beauté aiguë. Les textes, qui vont du pamphlet révolutionnaire aux déclamations portant des accents d’Aimé Césaire, reprennent et déconstruisent des idées reçues et des réalités laissées dans le sillage du grand imaginaire colonial. Il s’agit pour la plupart de propositions transférables d’un continent à l’autre, mais quelques références très françaises ont de la difficulté à trouver de l’écho dans la salle.
Les artistes sur scène font feu de tout bois, incorporant des performances musicales et circassiennes, mais aussi des pratiques artisanales et esthétiques à cette prestation polymorphe. À travers la démarche militante, les postures irrévérencieuses et l’humour noir, c’est un véritable don de soi que font au public ces fauteuses de trouble.
Carte noire nommée désir
Texte et mise en scène : Rébecca Chaillon. Dramaturgie : Céline Champinot. Assistance à la mise en scène : Jojo Armaing et Olivia Mabounga. Scénographie : Shehrazad Dermé et Camille Riquier. Création et régie sonore : Issa Gouchène et Elisa Monteil. Création et régie lumières : Myriam Adjalle. Régie générale et plateau : Suzanne Péchenart. Construction décor : Samuel Chenier et Baptiste Odet. Collaborations artistiques : Aurore Déon et Suzanne Péchenart. Avec Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby et Davide-Christelle Sanvee. Une production de Dans le ventre présentée dans le cadre du Festival TransAmériques jusqu’au 26 mai 2024.