JEU des 5 questions

Cinq questions à Claire Pearl et Léonie Bélanger, chorégraphes et danseuses

© David Wong

Space Western, worldbuilding et science-fiction. Bienvenue dans l’ALTERMUNDI, le projet des performeuses Claire Pearl et Léonie Bélanger. Leur spectacle de quatre heures est présenté en plein air dans le cadre du OFFTA.

Quatre heures de représentation c’est beaucoup, est-ce pourquoi vous parlez du projet le plus risqué de votre vie ?

Oui, entre autres, mais c’est aussi une formulation qui rejoint notre humour! En fait, la succession et l’amalgame de nos choix artistiques créent un contexte de performance assez atypique et périlleux à opérer. D’abord, le travail de l’imaginaire est déjà très complexe en lui-même. Il le devient encore plus lorsqu’on parle d’immersion au sein de mondes imaginaires et qu’on partage cet univers à plusieurs (avec nos concepteurs et conceptrices) et avec un public. Il y a donc effectivement un risque à plonger durant quatre heures, mais c’est surtout d’accepter collectivement la part d’inconnu que nous réserve perpétuellement l’ALTERMUNDI.

Jusqu’à quel point votre performance est improvisée ou préparée à l’avance ?

Ça fait maintenant deux ans qu’on construit une démarche basée sur la visualisation de trois mappes imaginaires qui nous situent dans un univers fictif commun. On a également développé un lexique de figures et d’archétypes qui (nous) habitent dans cet imaginaire. On s’est donc en quelque sorte entraînées à aiguiser notre écoute collective et notre adaptabilité lors de chaque plongée dans l’ALTERMUNDI, tout en continuant de découvrir de nouveaux codes. En invitant des collaborateurs et collaboratrices, qu’on nomme dans ce cas-ci des Worldbuilders, on s’ouvre à de nouvelles sensibilités et par le fait même, à l’émergence de nouvelles possibilités. Puisque le worldbuilding s’opère en direct, malgré cet entraînement, nous devons tout de même toujours être prêtes à tout.

Seriez-vous à la recherche de nouvelles histoires, mythes et styles propres à votre génération ?

On ne cherche pas consciemment à raconter. On s’intéresse plutôt à ce que l’ALTERMUNDI peut évoquer pour les gens qui l’observent et à la pluralité des sens qui en émergent pour chacun∙e. Pour nous, il faut toujours de nouvelles histoires, et ce n’est pas un besoin strictement propre à notre génération. REcontextualiser et RÉécrire des récits fait partie du monde dans lequel on vit actuellement, mais, ce n’est pas un désir qui guide de front notre démarche. Par l’incarnation intuitive d’archétypes et le détournement de certaines références culturelles, on pourrait effectivement dire qu’on tend à REcréer, RÉorganiser, RÉinterpréter le sens qui leur sont associés. L’ALTERMUNDI déploie donc un vortex de références populaires et de genres éclectiques, sans pour autant offrir de récit singulier auquel se rattacher.

Le genre de la science-fiction vous semble aussi très cher ?

La SF est pour nous un territoire de libertés créatives qu’on a intuitivement eu envie d’aller explorer, et ce, très tôt dans notre processus. On s’en inspire d’abord d’un point de vue esthétique pour bâtir nos imaginaires (ex. : le genre Space Western, les films futuristes) en lui empruntant certains codes. Par ailleurs, conceptuellement, la méthode du worldbuilding qui guide notre démarche est un outil propre à la SF. Elle nous a appris à construire notre univers de l’extérieur vers l’intérieur – en décidant consciemment de ses concepts centraux et de ses règles…- et de l’intérieur vers l’extérieur – en laissant émerger d’eux-mêmes les paysages, archétypes, effets et limites de ce monde en perpétuelle construction. C’est d’ailleurs ce qui nous a mené vers la création des trois mappes imaginaires formant l’ALTERMUNDI dans lesquelles on se perçoit comme des avatars, une autre figure récurrente du genre.

On parle beaucoup présentement de l’épuisement des artistes face au sous-financement, cela vous préoccupe ?

Oui. Énormément. Le manque de financement fragilise l’ensemble du milieu artistique. Pour nous, en tant qu’artistes de la relève, ça affecte notre capacité à s’imaginer perdurer dans le milieu de la danse. Y rester, mais à quel prix? L’épuisement n’est pas un état fertile pour nos créativités et déjà, à peine entrées dans le bain, nous ressentons comment tout le système est déréglé. Le OFFTA, qui présente notre travail cette année, fonctionne actuellement avec moins de 60 % du financement qu’il avait en 2022… Cette statistique parle d’elle-même. C’est très inquiétant de s’imaginer un futur en arts vivants en ce moment, d’où l’importance de continuer de se mobiliser.

ALTERMUNDI est présenté le 30 mai et le 1er juin à la Place de la paix dans le Quartier des spectacles.