JEU des 5 questions

Cinq questions à Catherine Gaudet, chorégraphe

© Julie Artacho

Pour Catherine Gaudet, ODE est un acte de vie et un appel d’air. Se déployant avec 10 interprètes, le spectacle se situe à la frontière du rock, du rituel païen et d’un groupe de croissance personnelle.

Les jolies choses a connu un succès critique et populaire. Est-ce que cela affecte d’une façon ou d’une autre la chorégraphe et le processus créatif qui suit ?

L’ego est une bête étrange et, dans mon cas, il rue dans les brancards, que la pièce précédente ait du succès ou non. Bien que je n’aime pas l’admettre, la façon dont la prochaine pièce sera reçue est une inquiétude qui surgit régulièrement pendant le processus. Ce peut être un piège stérile. Je dois alors rester à l’affût des conventions que je m’impose à moi-même, de façon plus ou moins consciente, par insécurité ou désir d’être aimée. Je trouve intéressant cette posture inconfortable qui soulève un questionnement constant, à savoir si j’aime sincèrement ce que je suis en train de créer, ou si je cherche seulement un lieu rassurant où me réfugier. C’est un duel qui s’engage à l’intérieur de ma propre conscience et qui génère du doute. Ce doute devient moteur; une mise au défi qui stimule. En ce qui concerne ODE et le fait que la pièce suive Les Jolies choses, je peux seulement dire que le doute a été régulièrement présent.

© Julie Artacho

L’exaltation de la sortie de pandémie semble passée quoique l’on parle d’une ribambelle au début de ODE, est-ce un clin d’œil à l’enfance ?

Je ne vois, dans ODE, ni de clin d’œil à l’enfance ni de lien particulier avec la sortie de pandémie. Il n’y a d’ailleurs plus de ribambelle dans le spectacle, bien que je me sois basée sur cette image pour créer. Toutefois, il y a bien une recherche d’exaltation qui a fortement nourri le travail. Le désir de départ était celui de créer une forme de rituel extatique par le chant et une suite de mouvements simples, voire naïfs, premiers, essentiels, et une recherche d’étourdissement et de vertige.

Après une pièce mathématique, ludique et très athlétique, votre questionnement porte donc sur ce qui se cache derrière le joli, le beau, l’innocence ?

Lorsque je travaille, je suis la piste d’instincts et d’intuitions, plutôt que d’une thématique clairement et préalablement définie ou d’un message à livrer. Au départ du processus, je souhaitais produire la tension entre images légères et un sous-texte extrêmement sombre. J’étais habitée par l’idée que l’harmonie, ou l’apparence d’harmonie, nécessitent un sacrifice; un prix à payer parfois élevé. Ainsi, cette idée nous a servi à produire les matériaux de la pièce, mais elle s’est peu à peu décollée du processus et n’est plus au cœur de mes préoccupations actuelles. Par contre, le besoin de générer de l’ambiguïté dans l’œuvre continue d’être au centre de ma démarche. Des images parfois dichotomiques s’entrechoquent et produisent cet effet.

Il semble que ODE s’attaque ainsi aux faux-semblants de notre société. Et si on dansait justement pour oublier ou camoufler tout ce qui va ou paraît aller mal ?

Les interprètes de la pièce oscillent entre sincérité et action mécanique, mais ceci est l’effet de procédés chorégraphiques plutôt que d’une tentative de faire le procès de quoi que ce soit. La danse, quant à elle, est pour moi un acte de vie, un appel d’air. Du point de vue du réel, je la pratique pour me retrouver moi-même, trouver ou générer du sens, plutôt que pour oublier ou camoufler. Du point de vue de la fiction, cela dépend de l’intention ou de l’écriture. Elle peut autant servir à révéler qu’à camoufler.

Difficile de ne pas parler alors du financement des arts, la danse manque notamment de fonds pour les tournées. Comme artiste, êtes-vous inquiète pour la suite des choses ?

J’ai toujours été inquiète pour la suite des choses. Je ne me souviens pas d’avoir connu un milieu qui ne soit pas précaire. Pratiquer son art dans des conditions décentes était déjà une lutte de tous les instants. Dans l’état actuel du financement des arts, l’insécurité, voire l’anxiété, déjà fortement présentes dans le milieu, s’exacerbent et les conditions de vie et de pratique se dégradent. Oui, je suis encore plus inquiète qu’avant. On recule.