Critiques

Fanny : Faire rencontre ou vivre ensemble

© Benoit Ouellet

Fanny, c’est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes, deux générations, deux langages. C’est aussi une rencontre de soi à soi, tout au moins pour Fanny. Volontairement sans enfant, féministe des premières heures, elle flotte dans sa vie confortable avec Dorian, son amoureux de toujours. Le couple décide d’agiter un peu l’eau dans laquelle il baigne en hébergeant Alice, une jeune étudiante en philosophie. Cela fera des vagues. Alice s’immerge dans l’univers de Fanny avec sa vitalité confiante, son langage moderne, ses codes, son intransigeance. Si Fanny est déstabilisée et choquée, tant par les nouveaux mots d’Alice que par la pensée qui les a créés, la curiosité mutuelle des deux femmes permettra la rencontre, au-delà du mur de leurs convictions et des clichés.

La pièce met alors le doigt sur un malaise latent : comment fait-on, à l’aube de la soixantaine, pour replonger dans le monde, s’en imprégner, remettre en action son désir de le transformer ? « Vieillir, c’est être à l’extérieur de la pensée qui se transforme… », dira-t-elle. Et elle le refusera.

Le remarquable texte de Rébecca Déraspe joue avec ce choc des vocabulaires entre les deux générations présentes sur scène avec un tel humour, une telle dérision, et une telle cruauté parfois, qu’il transporte le public au cœur de la rencontre. Il se questionne, doute, rit ou pleure, refuse ou accepte. Il est l’auditeur des convictions portées par les deux générations à travers des dialogues magnifiquement rythmés, mais aussi des discours engagés, des monologues inspirés, des citations.

© Benoit Ouellet

Marie-Thérèse Fortin incarne avec nuance et justesse cette Fanny qui cherche à comprendre plutôt qu’à juger. Avec une grande sensibilité, un bel humour et de l’audace, elle dévoile la vigueur et les faiblesses de cette femme vieillissante qui se retrouve en retrouvant le monde. Alice et Dorian sont aussi magnifiquement servis par Doriane Lens-Pitt et Jacques Laroche. L’une nous offre la fougue et l’intransigeance de la jeunesse, mais aussi sa fragilité et son mal de vivre par son jeu enlevé et nuancé. L’autre a su trouver toute la sensibilité et la drôlerie nécessaires pour faire vivre cet amoureux ouvert et empathique. De leur côté, Alexandra Gagné-Lavoie (une voix superbe) et François Louis Laurin nous réjouissent, particulièrement dans l’interprétation des poissons (musique et danse) de l’aquarium.

L’aquarium est d’ailleurs l’aspect le plus frappant de la scénographie. Il occupe un espace plus grand que nature et prend, comme ses habitants, différents sens à mesure que le spectacle avance. C’est de là que jaillit la musique évocatrice de différentes atmosphères au gré des scènes. Autour de cet aquarium, la scénographie évoque un lieu d’habitation confortable : un beau plateau transformable au service du jeu. En bref, la mise en scène a bien orchestré tous les éléments du spectacle pour permettre au public de comprendre ce récit tant dans les scènes plus réalistes que dans les moments figurés ou poétiques.

Des spectacles comme ceux-là donnent tout leur sens aux arts vivants, à l’importance de ces rencontres entre la communauté et les artistes. Car, oui, Madame Déraspe, comme vous le suggérez dans le programme, « c’est doux être ensemble » et d’ainsi « oser la prouesse de la nuance pour essayer de se comprendre, juste un tout petit peu mieux ».

Notons que Fanny a été créée en France à la Comédie de Reims en 2022 et est présentée en première québécoise au Bic dans une version revue par l’autrice afin de l’adapter aux langages et aux réalités québécoises.

© Benoit Ouellet

Fanny

Texte : Rébecca Déraspe. Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau et Hubert Lemire. Assistance à la mise en scène : Catherine Mathieu. Décor : Coralie Dansereau. Costumes : Guylaine Carrier. Musique : Gaël Lane-Lépine. Lumière : Martin Sirois. Direction de production : Marilou Castonguay. Direction technique : Julien St-Pierre. Régie : Gabriel Dufour-Jean. Interprétation : Marie-Thérèse Fortin, Jacques Laroche, Doriane Lens-Pitt, Alexandra Gagné-Lavoie, François Louis Laurin. Une coproduction du Théâtre du Bic et du Théâtre du Double signe présentée au Théâtre du Bic du 16 juillet au 17 août, et au Théâtre Léonard-St-Laurent, à Sherbrooke, du 9 au 26 octobre 2024.