JEU des 5 questions

Cinq questions à Philippe Lambert, directeur artistique et metteur en scène

© Kelly Jacob

Malgré la crise du sous-financement des arts vivants, le directeur du Théâtre La Licorne, Philippe Lambert, a concocté une programmation des plus diversifiées cette année, pavant la voie, entre autres, à une foule d’artistes émergent∙es.

Trois pièces espagnoles, une mexicaine, en plus de celles en provenance d’autres pays, c’est La Licorne mondialisée en 2024-2025. Ce n’est sûrement pas le fruit du hasard ?

De tout temps, La Licorne a ancré son action et ses choix de programmation dans une grande ouverture à la dramaturgie étrangère contemporaine. Historiquement un lien privilégié s’est développé avec les dramaturges de l’Europe anglophone. Par contre, dans les dernières années, beaucoup de créateurs hispanophones ayant une fine connaissance de cette dramaturgie me proposent des textes pertinents en phase avec notre mission. Je trouve ça très stimulant et enrichissant. Ça vient agrandir considérablement le terrain de jeu. En plus de la dramaturgie anglo-saxonne, à laquelle je reste toujours sensible, j’ai maintenant des interlocuteurs qui me tiennent au courant des auteurs et autrices qui font sensation à Barcelone, par exemple. Aussi, de plus en plus de jeunes compagnies s’intéressent aux dramaturgies étrangères et elles me proposent des textes de partout dans le monde.

Diversité ethnique et de genre aussi dans les sujets et les artistes. Certes, ce n’est pas nouveau à La Licorne, mais est-ce devenu incontournable chez vous, comme ailleurs ?

Fondamentalement quand je décide de programmer un texte c’est parce que j’ai le sentiment que cette parole doit être entendue et partagée. Parce que je considère que l’auteur ou l’autrice, à sa façon, parvient à transmettre une vision personnelle et surprenante de notre monde et des enjeux qui le ou la préoccupent. Ce qui est incontournable donc c’est la force d’impact du texte, qu’il arrive à nous bousculer et à nous questionner. Je constate, à travers les textes reçus, que les préoccupations des dramaturges évoluent en même temps que la société. Ce qui est une bonne nouvelle. Il y a une prise de parole de plus en plus libre et décomplexée à plonger dans toutes les nuances des diversités, ce qui me réjouit grandement. À moi maintenant, comme directeur artistique, de rester ouvert et à l’écoute pour capter et transmettre toutes ces nuances.

Il y a beaucoup de comédies en saison, mais elles semblent destinées à toucher des sujets sérieux, voire politiques, non ?

L’humour a toujours tenu une place importante à La Licorne dans le choix des textes programmés, particulièrement à travers les « comédies noires » à l’anglaise, mais aussi à travers nos créations québécoises que ce soit les pièces de Jean Marc Dalpé, Pierre-Michel Tremblay, François Archambault, Catherine Léger et bien d’autres. En effet, ce n’est jamais « rire pour rire », mais toujours une manière d’aborder des enjeux délicats et sensibles. Ça permet même, grâce à la soupape de l’humour, de plonger encore plus loin dans ces enjeux. Les spectacles Les filles et les garçons ou Tu te souviendras de moi en sont de bons exemples. Cet équilibre entre drame et comédie fait partie prenante de la signature « Licorne ». Tout comme ce désir constant de programmer des textes qui, de façon parfois frontale, viennent bousculer nos idées et/ou préjugés sur des sujets sérieux. Quand ces deux éléments arrivent à coexister, c’est habituellement un mélange qui risque de faire des flammèches.

Les artistes émergent·es ont toujours eu leur place à La Licorne. Cet accueil représente une démarche qui compte beaucoup ?

C’est fondamental et ça fait aussi partie de la signature « Licorne », cette ouverture à l’émergence. Combien de jeunes créateurs et créatrices ont eu leur première chance de se faire connaître à travers l’une de nos productions. Moi le premier, il y a 25 ans ! Je dis souvent que le plus grand bonheur de mon métier, c’est de faire découvrir de nouvelles voix. Quand je lis le premier texte d’un∙e jeune dramaturge, que je décide de le programmer et d’accompagner son développement, et que le public est au rendez-vous, je suis un directeur artistique comblé ! Dans notre écosystème un lieu comme le nôtre est essentiel et inestimable au développement de la pratique. Mais j’ai l’impression, parfois, qu’on sous-estime le travail de passeur que les plus petits théâtres font pour justement permettre aux artistes émergent∙es de déployer leur imaginaire. Donnons les moyens à la relève de se réaliser, mais n’oublions pas que c’est à travers nos lieux, et le public qui s’y attache, qu’ultimement la rencontre se fait.

Impossible de ne pas parler de financement en ce moment. On assiste aussi au désengagement de l’État en France et au Royaume-Uni face à la culture. Comment entrevoyez-vous l’avenir ?

Mon impression est que les gouvernements ne reconnaissent pas à sa juste valeur ce que la culture apporte à la société, humainement, mais aussi comme moteur économique, pour parler leur langage. Partant de là il ne faut pas s’étonner qu’il y ait un manque d’investissement chronique. On dirait qu’ils ne considèrent pas la culture comme un secteur d’activité économique important au même titre que d’autres secteurs, même si plusieurs études ont montré sa vitalité et sa force d’impact. Est-ce qu’ils tiendraient le travail des artistes pour acquis ? Il y a un mélange de préjugés et de méconnaissance et une petite dose de suspicion qu’un dollar investi en culture ne « rapporte pas ». Alors que c’est totalement le contraire. Une fois dit cela, je suis optimiste de nature. J’ai confiance que le milieu va se mobiliser pour bien faire entendre ses besoins à un ou une ministre de la Culture qui saura porter une véritable vision. En attendant, la forte présence du public dans les salles et la qualité des projets que je reçois me donne confiance en l’avenir.

Le premier spectacle de la saison 2024-2025, Le garçon de la dernière rangée, est présenté à la Grande Licorne jusqu’au 14 septembre.

Programmation complète