Le concept de L’Assemblée Québec est né lors de la campagne électorale états-unienne de 2016. Les débats entre Hilary Clinton et Donald Trump ont marqué une polarisation spectaculaire sur tous les plans de la vie publique. Non seulement les idées divergeaient, mais la parole elle-même, libérée dans la bouche de Trump, s’inscrivait désormais dans le discours officiel : invectives, insultes, vulgarité, mensonges et contre-vérités s’infiltraient dans la presse. Populisme contre élitisme.
Porte Parole (J’aime Hydro) a alors créé ce dispositif : le temps d’un repas, asseoir autour d’une table des individus d’origines et d’opinions diverses pour tâter le pouls d’une ville écartelée par ses controverses. Après Montréal, Munich, São Paulo… ce théâtre du réel s’installe à Québec sous la gouverne d’Alexandre Fecteau qui reprend en la modulant la mise en scène originale de Chris Abraham. Trois hommes et une femme sont ici invité·es à une rencontre pour rapailler le monde.
Travail impeccable des auteurs Alex Ivanovici et Brett Watson, qui parviennent à concentrer les cinq heures de discussion d’un souper qu’on imagine parfois explosif en une trame dramatique puissante (une heure et quart) qui nous tient en haleine. C’est que le public se reconnaît d’emblée dans le débat, tous arguments confondus.
Dès le départ, la table est mise alors que les quatre invité·es doivent se présenter. Rebecca, la militante de gauche écologiste et féministe associée à Québec solidaire. Simon, l’homme d’affaires libertarien aux idées bien tranchées. Dan, le travailleur social, traditionaliste, mais libéral sur le plan économique, qui a voté Maxime Bernier. Dominic, wendat impliqué en politique provinciale, qui se démarque par son origine autochtone sur presque tous les plans. Les langues déliées culminent dans des tensions extrêmes, de la colère et des attaques personnelles que les modérateurs tentent de calmer.
En jeune woke (la définition sera précisée), Rebecca, à fleur de peau, s’insurge, se révolte, interrompt sans cesse Simon qui la pique au vif avec ses positions sur les radios-poubelles, le tramway… Idem contre Dan, qui ne prend pas prétexte de sa peau noire pour discuter rationnellement sur l’immigration et la dénatalité au Québec. Alors que Dominic se tient souvent en retrait, comme si les problèmes débattus étaient filtrés par son autochtonie. Tous les personnages deviennent attachants, peu importe leur position, parce qu’ils représentent exactement nos expériences. La confrontation se calmant par de petites ouvertures, des adhésions partielles les rapprochant pour quelques moments. Les auteurs ont si bien ciselé les propos que leur part d’humanité à travers doute et certitude, utopie et réalisme, impétuosité et rationalité transcende leurs assurances et leurs errances.
Une stratégie terriblement efficace
L’espace de jeu bifrontal, surmonté par une projection des protagonistes en action, devient une agora de démocratie directe. Sous l’animation d’un modérateur et d’une modératrice, eux-mêmes souvent en désaccord, les quatre citoyen·nes ont pour mandat de résoudre le « mystère Québec » sur fond de conflits : tramway, troisième lien, banlieue/centre-ville, Haute-Ville/Basse-ville, racisme systémique, immigration…
Matériau de première main pour Alexandre Fecteau dont le théâtre documentaire (Le NoShow, Entre autres) constitue l’ADN. Celui-ci parvient à créer un espace fluide qui se déroule calmement… dans une forte turbulence. Comédiens et comédiennes incarnent leur personnage respectif en parfaite osmose. Les invité·es au repas existent comme prototypes. Brillante idée d’ajouter des entrevues individuelles où les convives expriment leurs sentiments au moment des affrontements. Et que dire de ces flash-back cinématographiques alors que le réel se camoufle dans la tête de l’intervenant·e ? Jouissif. Au-delà de la controverse, la pièce ouvre timidement sur un potentiel consensus… qui nous laisse à son tour sur bien des discussions.
Il est très rare que le public se sente collectivement aussi impliqué dans une pièce de théâtre. On y perçoit une adhésion spontanée, pas tant aux propos qu’au dispositif même. On ressent profondément que la parole citoyenne s’offre ici un moment de grâce. Avec ses joies et ses déceptions, elle est le reflet de nos rêves et de nos impuissances. Mais certains mécanismes que nous ne voulons pas divulgâcher ouvrent une porte sur le futur, comme une tentative de combattre la démission et le cynisme. Bravo.
Auteurs : Alex Ivanovici, Brett Watson. Mise en scène originale : Chris Abraham. Mise en scène : Alexandre Fecteau. Assistance à la mise en scène : Élisabeth Cordeau Rancourt. Décor : Simon Guilbault. Éclairage : Luc Prairie. Musique : Antoine Bédard. Vidéo : Amélia Scott. Régie : Émilie Potvin. Régie son : Daniel Aubé. Une série documentaire de Porte Parole. Avec Pierre-Yves Charbonneau, Jean-Philippe Côté, Rosalie Cournoyer, Andawa Laveau, Marie-Ève Lussier Gariépy, Christian Paul. Coproduction de La Bordée, Porte Parole et Nous sommes ici, présentée à la Bordée jusqu’au 12 octobre 2024.
Le concept de L’Assemblée Québec est né lors de la campagne électorale états-unienne de 2016. Les débats entre Hilary Clinton et Donald Trump ont marqué une polarisation spectaculaire sur tous les plans de la vie publique. Non seulement les idées divergeaient, mais la parole elle-même, libérée dans la bouche de Trump, s’inscrivait désormais dans le discours officiel : invectives, insultes, vulgarité, mensonges et contre-vérités s’infiltraient dans la presse. Populisme contre élitisme.
Porte Parole (J’aime Hydro) a alors créé ce dispositif : le temps d’un repas, asseoir autour d’une table des individus d’origines et d’opinions diverses pour tâter le pouls d’une ville écartelée par ses controverses. Après Montréal, Munich, São Paulo… ce théâtre du réel s’installe à Québec sous la gouverne d’Alexandre Fecteau qui reprend en la modulant la mise en scène originale de Chris Abraham. Trois hommes et une femme sont ici invité·es à une rencontre pour rapailler le monde.
Travail impeccable des auteurs Alex Ivanovici et Brett Watson, qui parviennent à concentrer les cinq heures de discussion d’un souper qu’on imagine parfois explosif en une trame dramatique puissante (une heure et quart) qui nous tient en haleine. C’est que le public se reconnaît d’emblée dans le débat, tous arguments confondus.
Dès le départ, la table est mise alors que les quatre invité·es doivent se présenter. Rebecca, la militante de gauche écologiste et féministe associée à Québec solidaire. Simon, l’homme d’affaires libertarien aux idées bien tranchées. Dan, le travailleur social, traditionaliste, mais libéral sur le plan économique, qui a voté Maxime Bernier. Dominic, wendat impliqué en politique provinciale, qui se démarque par son origine autochtone sur presque tous les plans. Les langues déliées culminent dans des tensions extrêmes, de la colère et des attaques personnelles que les modérateurs tentent de calmer.
En jeune woke (la définition sera précisée), Rebecca, à fleur de peau, s’insurge, se révolte, interrompt sans cesse Simon qui la pique au vif avec ses positions sur les radios-poubelles, le tramway… Idem contre Dan, qui ne prend pas prétexte de sa peau noire pour discuter rationnellement sur l’immigration et la dénatalité au Québec. Alors que Dominic se tient souvent en retrait, comme si les problèmes débattus étaient filtrés par son autochtonie. Tous les personnages deviennent attachants, peu importe leur position, parce qu’ils représentent exactement nos expériences. La confrontation se calmant par de petites ouvertures, des adhésions partielles les rapprochant pour quelques moments. Les auteurs ont si bien ciselé les propos que leur part d’humanité à travers doute et certitude, utopie et réalisme, impétuosité et rationalité transcende leurs assurances et leurs errances.
Une stratégie terriblement efficace
L’espace de jeu bifrontal, surmonté par une projection des protagonistes en action, devient une agora de démocratie directe. Sous l’animation d’un modérateur et d’une modératrice, eux-mêmes souvent en désaccord, les quatre citoyen·nes ont pour mandat de résoudre le « mystère Québec » sur fond de conflits : tramway, troisième lien, banlieue/centre-ville, Haute-Ville/Basse-ville, racisme systémique, immigration…
Matériau de première main pour Alexandre Fecteau dont le théâtre documentaire (Le NoShow, Entre autres) constitue l’ADN. Celui-ci parvient à créer un espace fluide qui se déroule calmement… dans une forte turbulence. Comédiens et comédiennes incarnent leur personnage respectif en parfaite osmose. Les invité·es au repas existent comme prototypes. Brillante idée d’ajouter des entrevues individuelles où les convives expriment leurs sentiments au moment des affrontements. Et que dire de ces flash-back cinématographiques alors que le réel se camoufle dans la tête de l’intervenant·e ? Jouissif. Au-delà de la controverse, la pièce ouvre timidement sur un potentiel consensus… qui nous laisse à son tour sur bien des discussions.
Il est très rare que le public se sente collectivement aussi impliqué dans une pièce de théâtre. On y perçoit une adhésion spontanée, pas tant aux propos qu’au dispositif même. On ressent profondément que la parole citoyenne s’offre ici un moment de grâce. Avec ses joies et ses déceptions, elle est le reflet de nos rêves et de nos impuissances. Mais certains mécanismes que nous ne voulons pas divulgâcher ouvrent une porte sur le futur, comme une tentative de combattre la démission et le cynisme. Bravo.
L’Assemblée Québec
Auteurs : Alex Ivanovici, Brett Watson. Mise en scène originale : Chris Abraham. Mise en scène : Alexandre Fecteau. Assistance à la mise en scène : Élisabeth Cordeau Rancourt. Décor : Simon Guilbault. Éclairage : Luc Prairie. Musique : Antoine Bédard. Vidéo : Amélia Scott. Régie : Émilie Potvin. Régie son : Daniel Aubé. Une série documentaire de Porte Parole. Avec Pierre-Yves Charbonneau, Jean-Philippe Côté, Rosalie Cournoyer, Andawa Laveau, Marie-Ève Lussier Gariépy, Christian Paul. Coproduction de La Bordée, Porte Parole et Nous sommes ici, présentée à la Bordée jusqu’au 12 octobre 2024.