C’est sous le signe d’une ouverture exaltante, d’une liberté jubilatoire qu’est inaugurée la toute première saison d’Édith Patenaude à la direction artistique du Théâtre Espace Go. Les portes de l’institution s’ouvrent toutes grandes à la relève, à la différence et à une hardiesse vivifiante. Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle, âme bicéphale de la compagnie Pleurer Dans’ Douche (qui nous a offert Explosion, Ciseaux et Rock Bière : le documentaire), drag kings à leurs heures, mettent en scène l’adaptation signée Sarah Berthiaume du récent succès britannique (entouré d’une aura de scandale) I, Joan.
Si l’on peut considérer que l’histoire de Jeanne d’Arc est celle de l’instrumentalisation puis de l’annihilation et de l’effacement d’une femme dont la puissance, la détermination et le leadership, d’abord utiles, se sont avérés gênants pour l’establishment, la version qu’en propose Charlie Josephine y superpose une quête de liberté identitaire. Or celle-ci ne passe pas que par le texte, qui affiche par moments — surtout à la fin — des airs de manifeste, mais aussi par des costumes biscornus et par la distribution en elle-même. Se déploie sur scène une symphonie de corps dissemblables, chacun irradiant de sa propre vérité.
Dans cet allègre arc-en-ciel d’identités de genre, l’on retrouve bien sûr le dauphin (insupportable de stupidité, de vacuité et suintant de privilèges) qui deviendra, grâce aux conquêtes de celle que l’on nomme la Pucelle — la réduisant ainsi éhontément à sa sexualité —, le roi Charles VII. En plus de ses conseillers obséquieux (et misogynes, il va sans dire), il y a aussi l’armée royale, dirigée par un capitaine empoisonnant Jeanne de sa masculinité toxique avant de ployer d’admiration devant ses qualités martiales, la reine Marie d’Anjou et sa richissime mère, Yolande d’Aragon, qui finance les assauts.
L’un des mérites de la partition élaborée par Josephine réside en l’absence de toute lourdeur en ce qui concerne les références historiques. Les repères se limitent à l’essentiel et sont présentés avec autant de brièveté que de limpidité. Que les forces en présence soient clairement exposées ne fait pas nécessairement en sorte que les enjeux soient simples. Car si les victoires de Jeanne sont appréciées, sa gloire l’est moins et ses velléités à ne pas se conformer aux normes associées au genre qui lui est assigné sont exécrées. Même de la part de la reine et de sa mère, dont la puissance repose plutôt sur un mélange d’adhésion aux règles établies et d’infiltration du boy’s club.
Bien que la trame narrative de la recherche identitaire ne s’arrime pas toujours de manière fluide à celle de la lutte féministe, l’idée de transformer la voix de Dieu qu’entend Jeanne en celle, intérieure, qui guide chacun·e vers ce qu’il ou elle doit faire de son existence actualise efficacement le récit. Celui-ci est d’ailleurs admirablement servi par Geneviève Labelle, qui interprète le rôle-titre en plus de partager la mise en scène avec sa complice. Sa présence scénique ainsi que sa communion avec le public s’avèrent électrisantes. Son énergie pugnace l’habilite fort bien à mener le bal… presque au sens propre du terme, puisque les batailles de cette guerre de Cent Ans sont remplacées par des danses frénétiques portées par des airs musicaux endiablés.
Tout cela confère une ambiance survoltée, tantôt comique, tantôt épique, au spectacle, dont le plateau est meublé d’un fauteuil inclinable en guise de trône, d’échelles tridimensionnelles et d’une arche au vitrail éclaté. Les tenues déjantées imaginées par Wendy Kim Pires, faites de lycras colorés, de cache-sexes, d’oripeaux disparates, de paillettes et de motifs bigarrés, participent amplement à cette célébration orchestrée avec juste ce qu’il faut de chaos (mêlant notamment les niveaux de jeu) par Labelle et Noël Rousseau. La verve contemporaine et décomplexée concoctée par Berthiaume concourt aussi à la vivacité de l’ensemble.
« Issu du Théâtre Expérimental des Femmes (TEF), fondé en 1979 à Montréal, Espace Go est né du désir de femmes artistes de dire et de montrer le monde autrement. », peut-on lire sur le site de l’institution. Moi, Jeanne s’inscrit résolument dans cet esprit, le renouvelant même en incluant la multiplicité des identités de genre. Comment pourrait-on ne pas s’en réjouir ?
Texte : Charlie Josephine. Traduction : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau. Assistance à la mise en scène : Josianne Dulong-Savignac. Scénographie et accessoires : Anne-Sara Gendron. Éclairages : Marie-Aube St-Amant Duplessis. Costumes : Wendy Kim Pires, assistée de Cédric Quenneville. Conception sonore : Barbara Bonfiglio. Consultation coiffures et maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Chorégraphies : Alexandre Morin. Avec Lé Aubin, Alexandre Bergeron, Maryline Cherry, Nathalie Claude, Laura Côté-Bilodeau, Lyraël Dauphin, Gabrielle Favreau, Geneviève Labelle, Anna Moulounda, Tova Roy, Gabriel Szabo, Phara Thibault. Une coproduction d’Espace Go et de Pleurer Dans’ Douche, présentée à Espace Go jusqu’au 20 octobre 2024.
C’est sous le signe d’une ouverture exaltante, d’une liberté jubilatoire qu’est inaugurée la toute première saison d’Édith Patenaude à la direction artistique du Théâtre Espace Go. Les portes de l’institution s’ouvrent toutes grandes à la relève, à la différence et à une hardiesse vivifiante. Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle, âme bicéphale de la compagnie Pleurer Dans’ Douche (qui nous a offert Explosion, Ciseaux et Rock Bière : le documentaire), drag kings à leurs heures, mettent en scène l’adaptation signée Sarah Berthiaume du récent succès britannique (entouré d’une aura de scandale) I, Joan.
Si l’on peut considérer que l’histoire de Jeanne d’Arc est celle de l’instrumentalisation puis de l’annihilation et de l’effacement d’une femme dont la puissance, la détermination et le leadership, d’abord utiles, se sont avérés gênants pour l’establishment, la version qu’en propose Charlie Josephine y superpose une quête de liberté identitaire. Or celle-ci ne passe pas que par le texte, qui affiche par moments — surtout à la fin — des airs de manifeste, mais aussi par des costumes biscornus et par la distribution en elle-même. Se déploie sur scène une symphonie de corps dissemblables, chacun irradiant de sa propre vérité.
Dans cet allègre arc-en-ciel d’identités de genre, l’on retrouve bien sûr le dauphin (insupportable de stupidité, de vacuité et suintant de privilèges) qui deviendra, grâce aux conquêtes de celle que l’on nomme la Pucelle — la réduisant ainsi éhontément à sa sexualité —, le roi Charles VII. En plus de ses conseillers obséquieux (et misogynes, il va sans dire), il y a aussi l’armée royale, dirigée par un capitaine empoisonnant Jeanne de sa masculinité toxique avant de ployer d’admiration devant ses qualités martiales, la reine Marie d’Anjou et sa richissime mère, Yolande d’Aragon, qui finance les assauts.
L’un des mérites de la partition élaborée par Josephine réside en l’absence de toute lourdeur en ce qui concerne les références historiques. Les repères se limitent à l’essentiel et sont présentés avec autant de brièveté que de limpidité. Que les forces en présence soient clairement exposées ne fait pas nécessairement en sorte que les enjeux soient simples. Car si les victoires de Jeanne sont appréciées, sa gloire l’est moins et ses velléités à ne pas se conformer aux normes associées au genre qui lui est assigné sont exécrées. Même de la part de la reine et de sa mère, dont la puissance repose plutôt sur un mélange d’adhésion aux règles établies et d’infiltration du boy’s club.
Bien que la trame narrative de la recherche identitaire ne s’arrime pas toujours de manière fluide à celle de la lutte féministe, l’idée de transformer la voix de Dieu qu’entend Jeanne en celle, intérieure, qui guide chacun·e vers ce qu’il ou elle doit faire de son existence actualise efficacement le récit. Celui-ci est d’ailleurs admirablement servi par Geneviève Labelle, qui interprète le rôle-titre en plus de partager la mise en scène avec sa complice. Sa présence scénique ainsi que sa communion avec le public s’avèrent électrisantes. Son énergie pugnace l’habilite fort bien à mener le bal… presque au sens propre du terme, puisque les batailles de cette guerre de Cent Ans sont remplacées par des danses frénétiques portées par des airs musicaux endiablés.
Tout cela confère une ambiance survoltée, tantôt comique, tantôt épique, au spectacle, dont le plateau est meublé d’un fauteuil inclinable en guise de trône, d’échelles tridimensionnelles et d’une arche au vitrail éclaté. Les tenues déjantées imaginées par Wendy Kim Pires, faites de lycras colorés, de cache-sexes, d’oripeaux disparates, de paillettes et de motifs bigarrés, participent amplement à cette célébration orchestrée avec juste ce qu’il faut de chaos (mêlant notamment les niveaux de jeu) par Labelle et Noël Rousseau. La verve contemporaine et décomplexée concoctée par Berthiaume concourt aussi à la vivacité de l’ensemble.
« Issu du Théâtre Expérimental des Femmes (TEF), fondé en 1979 à Montréal, Espace Go est né du désir de femmes artistes de dire et de montrer le monde autrement. », peut-on lire sur le site de l’institution. Moi, Jeanne s’inscrit résolument dans cet esprit, le renouvelant même en incluant la multiplicité des identités de genre. Comment pourrait-on ne pas s’en réjouir ?
Moi, Jeanne
Texte : Charlie Josephine. Traduction : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau. Assistance à la mise en scène : Josianne Dulong-Savignac. Scénographie et accessoires : Anne-Sara Gendron. Éclairages : Marie-Aube St-Amant Duplessis. Costumes : Wendy Kim Pires, assistée de Cédric Quenneville. Conception sonore : Barbara Bonfiglio. Consultation coiffures et maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Chorégraphies : Alexandre Morin. Avec Lé Aubin, Alexandre Bergeron, Maryline Cherry, Nathalie Claude, Laura Côté-Bilodeau, Lyraël Dauphin, Gabrielle Favreau, Geneviève Labelle, Anna Moulounda, Tova Roy, Gabriel Szabo, Phara Thibault. Une coproduction d’Espace Go et de Pleurer Dans’ Douche, présentée à Espace Go jusqu’au 20 octobre 2024.