Critiques

Paul à la maison : De petits riens avant la fin

© Stéphane Bourgeois

Si certaines propositions artistiques nous transportent par leur caractère dépaysant, confrontant ou exaltant, les albums de Michel Rabagliati et l’adaptation de Paul à la maison au Trident fonctionnent tout autrement. C’est par une série de détails, de presque petits riens qui se déposent en nous, que le charme opère.

La mécanique de la série de BD est déjà bien huilée : phrases soigneusement choisies dans des conversations très courtes, monologue intérieur de Paul qui se transpose dans une liste d’observations sur ce qui l’entoure, séries d’images qui montrent le temps qui passe et les lieux publics. S’ajoutent quelques digressions fantasmagoriques et des éléments métonymiques, comme l’arbre à moitié mort, émouvant, qui reflète la vie du protagoniste qui, dans Paul à la maison, vit une série de deuils et subit les contrecoups de la cinquantaine.

Le principal défi de transposer cette mécanique sur scène était de s’y accoler, en élaguant un peu et en y brodant de nouveaux éléments théâtraux sans la dénaturer. Une affaire de rythme, de sensibilité, de dosage et d’inventivité bien placée, dont s’acquittent plutôt bien la plume d’Anne-Marie Olivier, la mise en scène de Lorraine Côté et la scénographie de Christian Fontaine.

Hugues Frenette défend le personnage de Paul avec un efficace amalgame d’humour et de vulnérabilité. Il en fait un sympathique clown triste, capable d’ironie, de tendresse et d’éclats rageurs salvateurs. Le florilège de personnages qui l’entourent est interprété de manière harmonieuse et fidèle à l’album. On retiendra particulièrement Odile Gagné-Roy, qui joue avec justesse sa fille Rose, et Marie-Ginette Guay, qui interprète sa mère avec une élégance touchante et une franchise imparable.

© Stéphane Bourgeois

Faire défiler les images

L’impression la plus nette qui nous reste au sortir de la salle est celle d’un mouvement horizontal, celui du défilement des images sur trois surfaces de projection et des déplacements des interprètes d’une coulisse à l’autre. Rabagliati a redessiné certaines cases pour l’adaptation en enlevant les personnages et ce sont, de loin, les segments qui fonctionnent le mieux. Le trait dansant et minimaliste du bédéiste, agrandi pour la scène, est à la fois vibrant et enveloppant.

C’est particulièrement réussi à la toute fin de la pièce, une traversée de l’hiver jusqu’à un éclatant renouveau. L’effet des coups de crayon, exacerbé par les éclairages de Mathieu C. Bernard et amplifié par la musique de Mathieu Turcotte, est alors à son meilleur. On aurait pris davantage de scènes aussi complètes et dansantes.

Des photographies des édifices ayant inspiré les dessins et quelques vidéos (pour les moments en voiture, notamment) complètent l’éventail des images qui composent le décor. S’y ajoutent des scènes d’ombres, un contrepoint qui transpose un procédé que Rabagliati utilise déjà dans ses BD en noir en blanc. Tirant aussi sa source de l’album lui-même, où sont mentionnées entre autres des chansons de Mario-Jo Thério et de Léo Ferré, la trame sonore tissée de notes jazzées ajoute toutefois plus de corps et de liant à la pièce que ces choix visuels.

Les scènes plus domestiques, dans l’appartement de la mère de Paul ou chez Paul, auraient aussi bénéficié d’un cadrage plus serré, et l’utilisation de caméras en direct, d’un peu plus de précision. Dispersés sur la grande scène du Trident, les quelques meubles semblaient flotter dans un espace trop vaste. Les digressions de l’imagination de Paul ont été un peu élaguées dans l’adaptation, mais celles qui demeurent (comme le plongeon de Paul sur un site de rencontre remplie de femmes félines) sont livrées avec flegme. Le chien marionnette, auquel Étienne D’Anjou donne mouvement et voix, récolte plusieurs rires et réactions de la foule, surtout pour un segment karaoké.

Bref, si l’ensemble des procédés scéniques a nourri notre esprit d’analyse pendant la représentation, force est de constater qu’on est resté un peu à distance du récit. Les moments d’émotion ont été comme des ponctuations lors de la lecture d’un ouvrage familier, qui génère doucement des réflexions sur la vie, alors que flotte un parfum d’automne.

© Stéphane Bourgeois

Paul à la maison

Texte : Michel Rabagliati. Adaptation pour la scène : Anne-Marie Olivier. Mise en scène de Lorraine Côté assistée de Thomas Royer. Scénographie : Christian Fontaine. Costumes : Julie Morel. Éclairages : Mathieu C. Bernard. Vidéo : Étienne d’Anjou. Musique : Mathieu Turcotte. Accessoires : Marianne Lebel. Conception de marionnettes : Annabelle Roy. Coiffure : Myriam Richer. Maquillage : Vanessa Cadrin. Avec Hugues Frenette, Odile Gagné-Roy, Marie-Ginette Guay, Étienne D’Anjou, Paul Fruteau de Laclos, Nadia Girard Eddahia, Valérie Boutin. Une production du Théâtre du Trident, en coprésentation avec le Grand Théâtre de Québec, présentée jusqu’au 19 octobre 2024.