Critiques

Cygnus : Voyage au cœur de l’impro

© Arach’Pictures – Najim Chaoui

Jusqu’au 16 novembre, le Théâtre de la LNI présente Cygnus, au Théâtre Rouge du Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Spectacle de 90 minutes totalement improvisé, ce tout nouveau concept amène chaque soir le public dans un nouvel univers, à travers des personnages inédits qui construisent une histoire qui vivra seulement le temps d’une soirée. Une belle façon de constater toute la maîtrise de ces génies de l’improvisation.

Une scène circulaire surélevée, entourée d’un bandeau lumineux, domine la salle. Tout autour, dans la pénombre, on décèle les huit comédiennes et comédiens, assi·es, vêtu·es de costumes élaborés sur les mêmes tons de couleurs, dans une même thématique. Ce choix scénique rappelle évidemment les ligues d’improvisation, représentant ainsi une seule et même équipe unie, mais pas seulement. En effet, le titre de ce concept théâtral fait référence à Cygnus X-1, premier objet astrophysique identifié comme pouvant être la manifestation d’un trou noir stellaire. Et le cercle de lumière rappelle clairement le phénomène des trous noirs. Les artistes présent·es sur scène peuvent ainsi s’apparenter à des astronautes, prêt·es à relier des mondes, et à nous faire voyager avec elles et eux.

De plus, les trous noirs permettent de se connecter à différents espaces-temps, à la fois au passé, au présent et au futur. Et c’est ce que propose Cygnus avec une création spontanée, éphémère, mais qui va se reproduire chaque soir. La proposition du Théâtre de la LNI va aussi plus loin puisqu’elle s’inspire directement de l’histoire même de l’improvisation. En effet, la très grande popularité qu’a connu le match d’impro, créé en 1977 par Robert Gravel et Yvon Leduc, également cofondateurs du Théâtre de la LNI, a fait beaucoup d’ombre à d’autres formes de spectacles d’improvisation théâtrale. Or, les deux créateurs d’une des compagnies d’improvisation les plus influentes du monde souhaitent déjà à l’époque amener cette discipline dans les plus hautes instances de l’art. C’est en réponse à ce désir perdu au fil des années que Cygnus répond. Et il le fait à merveille. Le bonheur simple d’une soirée d’impro dans un bar est gardé. Les artistes sont excellent·es, créatif·ves, rapides dans leurs réflexions. Les dynamiques entre elles et eux sont fluides, intéressantes, intrigantes. Et d’un autre côté, le décorum d’un spectacle classique de théâtre est aussi présent. Pas de présentation, pas d’arbitre, pas d’intermède, pas de discussions informelles entre deux courtes impros. On plonge dès la première seconde dans une création théâtrale, « une vraie ». On saute dans le vide avec les interprètes dans une histoire qui tient son originalité au fait qu’elle se crée en direct. Un bel hommage à la tradition tout en ayant le regard tourné vers l’avenir pour cette compagnie de renom.

© Arach’Pictures – Najim Chaoui

Contraintes et créativité

Bien qu’il soit un spectacle 100 % improvisé, Cygnus repose sur une structure très claire et organisée. Au départ, le cercle évoque de façon aléatoire des duos, éteignant sa lumière en face d’eux. Les personnages commencent alors à s’inventer, les relations entre eux aussi, dans de courtes improvisations de quelques minutes seulement. Le cœur du spectacle se développe ensuite et ouvre alors la voie à tous les possibles. Le cercle de jeu est ouvert : les personnages évoluent alors dans l’espace, comme bon leur semble, développent le narratif, vivent et partagent des émotions et participent à la construction de l’intrigue commune, en gardant évidemment les personnages, les lieux et les situations établis au départ. C’est alors la lumière du cercle, qui joue un peu un rôle d’arbitre, qui permet aux artistes d’avoir une idée du temps qui passe, et du temps qui leur reste.

L’intensité monte ensuite peu à peu jusqu’à atteindre un climax, un chaos où toutes les sensibilités et les éléments s’emmêlent pour finalement terminer sur un épilogue où un personnage, choisi au hasard par la lumière, doit conclure l’aventure. Parallèlement aux péripéties narratives, la musique en direct de Jean-Sébastien Nicol se modèle à l’histoire à travers des sons, des vibrations, des transitions qui servent le récit, dynamisant ainsi le rythme et enjolivant les sensations.

Puisque chaque soirée sera unique, on ne peut s’attarder à ce que l’on a vu puisque tous ces personnages et cette intrigue font déjà partie du passé. On préfère donc plutôt focaliser sur les dessous de cette création, évocateurs et très pertinents pour comprendre toute la magie de ce spectacle. En plus de pouvoir observer la technique incroyable de ces comédiennes et comédiens d’exception, Cygnus est un parfait exemple du fait que les contraintes permettent aux artistes d’avoir un espace immense de créativité et de liberté.

© Arach’Pictures – Najim Chaoui

Cygnus

Idéation et mise en scène : Simon Rousseau. Assistance à la mise en scène : Dominique Cuerrier. Scénographie : Jonas Veroff Bouchard. Conception des éclairages : Cédric Delorme-Bouchard. Conception sonore : Jean-Sébastien Nicol. Costumes : Catherine Gauthier. Coordination de production : Andréanne Simard. Direction technique : Romane Bocquet. Manipulation des éclairages : Joëlle Leblanc. Production : Théâtre de la LNI. Au Théâtre Rouge du Conservatoire d’art dramatique de Montréal jusqu’au 16 novembre 2024.