Critiques

Yahndawa’ : ce que nous sommes : Le cycle de l’empouvoirement

© Stéphane Bourgeois

En wendat, Yahndawa’ c’est la rivière, le flot, le courant d’eau. Dans la géographie locale, cette rivière relie Wendake (le Village-Huron) au fleuve, mais elle est aussi ce qui sépare Château-d’Eau de la réserve huronne-wendat. Les liens se tissent et s’entrecroisent dans le sens du courant et entre les rives. Marie-Josée Bastien, comédienne, metteure en scène et auteure bien connue du milieu théâtral, nous raconte ici l’épopée de sa famille traversant cent ans d’invisibilité. À partir de l’aïeul au début du XXsiècle, elle déroule une saga familière construite en filigrane de l’histoire du Québec et du Canada. Le projet évoque la Traversée du siècle de Michel Tremblay, mais sur fond de lutte séculaire pour retrouver la dignité.

Les lignes de force concernent la spoliation du territoire, dont les Autochtones ont été évincés par la Loi sur les Indiens (1876), devenant pupilles de l’État, confinés dans des réserves qui contraignent leur autonomie. Nous connaissons les effets délétères de cette loi. Yahndawa’ parle de la violence du colonialisme à partir de la microhistoire de la famille Bastien. L’arrière-grand-père Ludger mène une bataille juridique qu’il gagne. Armand, son fils terrassé par le décès de sa femme, s’engage pour aller combattre en Europe en 1943. Sa fille Adèle épouse un Blanc de Château-d’Eau, perdant ainsi ses droits de femme autochtone. Elisabeth, exilée au Yukon, retrouvera enfin ses racines. Et finalement Yandicha, la jeunesse éternelle qui reprend le flambeau…

© Stéphane Bourgeois

Autopsie identitaire à l’intérieur du cercle

Si quelques séquences agacent par leur didactisme, Yahndawa’ : ce que nous sommes parle surtout de guérison, du retour à la communauté, du lien affectif qui réunit les familles, de la voix des femmes qui surplombe les misères de la nation. Cette « autopsie identitaire », cf. Olivier Arteau, permet d’appréhender leur perception du monde. Le ce que nous sommes devenant la nouvelle toile tissée de nos histoires entremêlées, auto- et allochtones, chasseurs et universitaires, bâtisseurs de barrages et gardiens du territoire.

La scénographie dépouillée s’articule à partir d’un mur écran hémisphérique en fond de scène où s’animent des images de la nature, de forêts, de ciels incandescents sertis d’aurores boréales, mais surtout de l’incontournable Kabir Kouba, tumultueuse chute comme point d’ancrage de la nation wendat. L’éclairage circonscrit un cercle, cette configuration obligée pour la prise de parole. Les projections sur cet écran fait de bandes tissées s’estompent dans un effet sfumato, aux contours flottants, où s’imbriquent les histoires de la communauté. Il s’en dégage un sentiment d’apprivoisement, d’attraction que nourrissent l’envoûtante musique de Joseph Sarenhes et la pure sonorité de la voix d’Andrée Levesque Sioui.

En optant pour le dépouillement scénique, Yahndawa’ : ce que nous sommes laisse toute la place au déploiement de la saga. Nous y retrouvons des personnages typiques marqués par leur époque respective. Et ce passage de l’anomie à l’identité revendiquée se veut une invitation à définir collectivement une nouvelle mixité.

© Stéphane Bourgeois

Yahndawa’ : ce que nous sommes

Texte : Marie-Josée Bastien. Mise en scène : Véronika Makdissi-Warren. Distribution : Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Océane Kitura Bohémier Tootoo, Andawa Laveau, Andrée Levesque Sioui et Marco Poulin. Scénographie : Sébastien Dionne. Costume : Églantine Mailly. Éclairages : Nyco Desmeules. Musique : Joseph Sarenhes. Vidéo : Marylin Laflamme. Régie : Mélissa Bouchard. Assistance aux costumes : Émily Walhman. Mouvement : Aïcha Bastien N’Diaye. Coiffure : Florian Van Wambeke. Construction du décor : Conception Alain Gagné. Confection costumes : Par Apparat Confection Créative. Tissage : Rachel-Anne Bédard. Regard extérieur et suivi en diction : Frédérique Bradet. Répétitrices : Lucie M. Constantineau, Catherine-Oksana Desjardins. Direction de production : Laurence Croteau Langevin. Adjointe à la direction de production : Janie Lavoie. Direction technique : Julie Touchette. Adjoint à la direction technique : Jean-Félix Labrie. Accessoires : Évelyne Tremblay. Consultante en langue wendat : Andrée Levesque Sioui. Une coproduction de Menuentakuan et du Théâtre Niveau Parking, présentée au Théâtre du Trident jusqu’au 30 novembre 2024 et au Théâtre Aux Écuries du 4 au 8 décembre.