© Clowns noirs

Depuis la mi-juillet, les réseaux sociaux ne dérougissent pas, exprimant les doléances sérieuses et documentées de la part des membres du milieu des arts vivants. Les décisions du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) sur les fonds destinés aux organismes soutenus à la mission ont enrichi certain∙es et en ont appauvris encore davantage. En si peu d’espace, il serait vain de dénombrer les victimes des compressions qui errent parmi les décombres. Il y a malheureusement autant d’explications aux diminutions de soutien financier qu’il y a eu de demandes.

En tant qu’ancien correspondant parlementaire au fait de la machine gouvernementale, je dois d’abord dire que le CALQ n’y est pour rien ou si peu dans ce brouillard kafkaïen qui nous laisse perplexes. On pourrait aussi ergoter longuement sur la composition des jurys qui ont eu la tâche de décider qui aura droit à quoi, mais nous risquerions de nous enfoncer plus loin dans le cloaque. Les fonds disséminés à travers le Québec viennent du ministère de la Culture. Malgré une injection supplémentaire de 15 millions $ in extremis, ces budgets ne répondent pas aux besoins énormes, qui se sont accrus en raison de la pandémie et de l’inflation, d’un secteur délaissé depuis trop longtemps.

Renversons plutôt le sablier des heures graves que vit le milieu. D’abord, les budgets alloués aux divers ministères sont décidés par le Conseil du Trésor. À Québec, présidé par la ministre du Conseil du trésor, le groupe inclut aussi les élus suivants : le ministre de l’Agriculture, la ministre de la Famille, la ministre de l’Habitation et le ministre du Travail. Nous ne nous attarderons pas, ici non plus, aux qualités et aux défauts de ces personnes puisque le montant du budget global dont ils et elles disposent provient du ministère des Finances.

Ainsi, malgré toute la bonne volonté ou le poids d’un∙e titulaire du portefeuille de la Culture au sein d’un Conseil des ministres, il ou elle n’y peut pas grand-chose non plus. Admettons toutefois que nous sommes loin, en ce moment, de personnalités fortes ayant déjà occupé ce poste, telles Liza Frulla (PLQ) ou Louise Beaudoin (PQ). On comprendra qu’un ministre des Finances qui lit surtout des bilans financiers et des rapports annuels ou qui ne va jamais au concert ou, disons au cinéma pour plaire au premier ministre, se trouve loin, très loin des préoccupations de notre milieu. À l’inverse, un ministre qui aime assister à des spectacles de cirque ou un∙e autre qui va écouter l’OSM régulièrement développent une oreille autrement… artistique.

Vous me pardonnerez encore quelques noms ? Raymond Bachand (PLQ) tenait les goussets de la province lorsqu’il a dit « oui » à un festival de cirque à Montréal. Aux Finances toujours, Bernard Landry (PQ) soutenait l’idée d’une Maison symphonique, dossier qui sera ensuite concrétisé par Monique Jérôme-Forget (PLQ). D’autres projets, comme la Grande bibliothèque et le Quartier des spectacles seraient encore sous terre n’eurent été de gouvernements à l’écoute de la culture.

Avec les élus de la CAQ, nous nous situons à des siècles lumière de cette pas si lointaine époque. La montée de populistes et de conservateurs peu intéressés par la culture, ici comme ailleurs, en politique et parmi l’élite, fait croire que la partie est loin d’être gagnée dans les prochaines années. La pleine reconnaissance des arts et de la culture à leur juste valeur, celle du mieux-être collectif, tardera encore malheureusement.

Comme vous le lirez dans notre dossier « Centres de gravité », qui se promène un peu partout au Québec et au Canada, les artistes continuent, malgré tout cela, de créer avec passion et résilience de Baie-Comeau à Gatineau et de Rouyn à Rimouski, et ce, en gagnant des salaires se situant bien souvent juste au-dessus du seuil de la pauvreté. Le Devoir nous rappelait récemment que les dépenses gouvernementales en culture ne s’élèvent qu’à 84,84 $ par habitant en dehors de Montréal et de Québec, alors que dans la métropole ce montant atteint 406 $. Régions, régions… là où les arts vivants ne cessent pourtant de nourrir un public grandissant. Certes, les plus cyniques diront que nous avons les élu∙es que nous méritons. VRAIMENT ! ?