Dans la moiteur suffocante d’une canicule en ville, une disparition met en émoi une petite communauté de voisinage. Une crevasse s’ouvre devant l’immeuble et grossit de jour en jour. Les deux événements seraient-ils liés ? C’est à partir de ces prémisses que Sinkhole aborde les thèmes de la marginalisation et des inégalités sociales, des rapports intergénérationnels et de la géodynamique des trous.
Dans le cadre du programme Plus bilingue que jamais dont s’est doté La Chapelle Scènes Contemporaines, la compagnie montréalaise Infinithéâtre présente en anglais avec surtitres en français cette pièce d’Adjani Poirier, mise en scène par Keith Fernandez et livrée par une distribution entièrement afrodescendante. Le récit tisse des liens entre des protagonistes qui n’ont guère en commun, outre leur lieu de résidence, que leur consternation devant la disparition de leur amie, figure centrale de leur communauté. Cette absence, qui survient au même moment que l’inquiétante crevasse, a pour double effet de faire ressortir les insécurités de chaque personnage et de mettre en lumière les interactions entre voisins et voisines, notamment entre les différentes générations.
Deux adolescent·es – une écolière curieuse et lucide (piquante Alyssa Angelucci-Wall) et un artiste en herbe au point de bascule du désenchantement (attachant Olaoluwa Fayokun) – apportent le point de vue d’une jeunesse pleine de débrouillardise, mais aux prises avec un avenir incertain, et forcée de composer avec les angoisses non résolues des générations qui les précèdent.
Chaque protagoniste fait face à différentes formes de manque, de fêlure ou de faille : l’invisibilisation, l’oubli, la négation de soi ou de l’autre, et surtout ce malaise dessiné en creux et qui finit par prendre toute la place dans la vie quotidienne – « cracks, cracks everywhere ! ». À tour de rôle, les personnages se penchent sur le trou et lui adressent des réquisitoires. Et l’abîme, nietzschéen, les toise en retour. Il soupire, grince d’une voix démoniaque, éclate de mille rires sinistres. Il se reflète en eux et en elles.
De la brèche à la déchirure
Le spectacle fait la part belle aux interprètes, à leur jeu énergique et presque uniformément juste ainsi qu’aux relations qu’ils et elles tissent ensemble sur scène. Le ton général, réussi, est celui d’une douce truculence tentant tant bien que mal de cacher les diverses vulnérabilités. Soulignons la performance nuancée de Matthew Kabwe en syndicaliste préretraité à la fois angoissé et attentionné.
Par son texte comme par les interprètes qui le livrent, Sinkhole donne une place prépondérante à la parole des personnes racisées, queer et issues de la classe ouvrière. Or, le propos positif et pertinent finit malheureusement par se perdre dans un fleuve de bons sentiments et de poncifs dilués. Le problème provient sans doute du déséquilibre de l’intrigue qui, ayant trouvé un bon rythme de croisière, vogue allègrement vers une résolution d’enquête avant l’entracte, pour se déliter rapidement après cette dernière. Dans la deuxième partie du spectacle, les personnages basculent dans une interminable course souterraine où l’action devient floue et les dialogues unidimensionnels.
Malgré ces difficultés, on retient de Sinkhole le sentiment de solidarité et la bienveillance envers les personnes en situations minoritaires qui infusent son propos. Les dialogues du premier acte contribuent à l’élaboration d’une complicité palpable entre tous les personnages, que l’on se plaira à garder en tête comme une inspiration pour l’époque actuelle.
Texte : Adjani Poirier. Mise en scène : Keith Fernandez. Décors : Bruno-Pierre Houle. Son : Julian Smith. Éclairage : Aurora Torok. Costumes : Pen Tsin. Dramaturgie : Gillian Clark. Régie : Elyse Quesnel. Sous-titres : Elaine Normandeau. Direction de production : Riley Wilson. Avec Alyssa Angelucci-Wall, Olaoluwa Fayokun, Matthew Kabwe, Alexandra Laferrière, Sophie-Thérèse Stone-Richards et Warona Setshwaelo. Une production d’Infinithéâtre en partenariat avec La Chapelle Scènes Contemporaines, présentée à La Chapelle jusqu’au 1er février 2025.
Dans la moiteur suffocante d’une canicule en ville, une disparition met en émoi une petite communauté de voisinage. Une crevasse s’ouvre devant l’immeuble et grossit de jour en jour. Les deux événements seraient-ils liés ? C’est à partir de ces prémisses que Sinkhole aborde les thèmes de la marginalisation et des inégalités sociales, des rapports intergénérationnels et de la géodynamique des trous.
Dans le cadre du programme Plus bilingue que jamais dont s’est doté La Chapelle Scènes Contemporaines, la compagnie montréalaise Infinithéâtre présente en anglais avec surtitres en français cette pièce d’Adjani Poirier, mise en scène par Keith Fernandez et livrée par une distribution entièrement afrodescendante. Le récit tisse des liens entre des protagonistes qui n’ont guère en commun, outre leur lieu de résidence, que leur consternation devant la disparition de leur amie, figure centrale de leur communauté. Cette absence, qui survient au même moment que l’inquiétante crevasse, a pour double effet de faire ressortir les insécurités de chaque personnage et de mettre en lumière les interactions entre voisins et voisines, notamment entre les différentes générations.
Deux adolescent·es – une écolière curieuse et lucide (piquante Alyssa Angelucci-Wall) et un artiste en herbe au point de bascule du désenchantement (attachant Olaoluwa Fayokun) – apportent le point de vue d’une jeunesse pleine de débrouillardise, mais aux prises avec un avenir incertain, et forcée de composer avec les angoisses non résolues des générations qui les précèdent.
Chaque protagoniste fait face à différentes formes de manque, de fêlure ou de faille : l’invisibilisation, l’oubli, la négation de soi ou de l’autre, et surtout ce malaise dessiné en creux et qui finit par prendre toute la place dans la vie quotidienne – « cracks, cracks everywhere ! ». À tour de rôle, les personnages se penchent sur le trou et lui adressent des réquisitoires. Et l’abîme, nietzschéen, les toise en retour. Il soupire, grince d’une voix démoniaque, éclate de mille rires sinistres. Il se reflète en eux et en elles.
De la brèche à la déchirure
Le spectacle fait la part belle aux interprètes, à leur jeu énergique et presque uniformément juste ainsi qu’aux relations qu’ils et elles tissent ensemble sur scène. Le ton général, réussi, est celui d’une douce truculence tentant tant bien que mal de cacher les diverses vulnérabilités. Soulignons la performance nuancée de Matthew Kabwe en syndicaliste préretraité à la fois angoissé et attentionné.
Par son texte comme par les interprètes qui le livrent, Sinkhole donne une place prépondérante à la parole des personnes racisées, queer et issues de la classe ouvrière. Or, le propos positif et pertinent finit malheureusement par se perdre dans un fleuve de bons sentiments et de poncifs dilués. Le problème provient sans doute du déséquilibre de l’intrigue qui, ayant trouvé un bon rythme de croisière, vogue allègrement vers une résolution d’enquête avant l’entracte, pour se déliter rapidement après cette dernière. Dans la deuxième partie du spectacle, les personnages basculent dans une interminable course souterraine où l’action devient floue et les dialogues unidimensionnels.
Malgré ces difficultés, on retient de Sinkhole le sentiment de solidarité et la bienveillance envers les personnes en situations minoritaires qui infusent son propos. Les dialogues du premier acte contribuent à l’élaboration d’une complicité palpable entre tous les personnages, que l’on se plaira à garder en tête comme une inspiration pour l’époque actuelle.
Sinkhole (or six ways to disappear)
Texte : Adjani Poirier. Mise en scène : Keith Fernandez. Décors : Bruno-Pierre Houle. Son : Julian Smith. Éclairage : Aurora Torok. Costumes : Pen Tsin. Dramaturgie : Gillian Clark. Régie : Elyse Quesnel. Sous-titres : Elaine Normandeau. Direction de production : Riley Wilson. Avec Alyssa Angelucci-Wall, Olaoluwa Fayokun, Matthew Kabwe, Alexandra Laferrière, Sophie-Thérèse Stone-Richards et Warona Setshwaelo. Une production d’Infinithéâtre en partenariat avec La Chapelle Scènes Contemporaines, présentée à La Chapelle jusqu’au 1er février 2025.