On rit beaucoup dans Le Prince, ce spectacle étrange, réjouissant et glaçant tout à la fois. Cette création collaborative du Théâtre du Double signe et du Théâtre Denise-Pelletier a pour ambition de conjuguer la pensée de Machiavel et la science-fiction dans un space opera à l’esthétique rétro-futuriste. Le texte de Guillaume Tremblay et d’Olivier Morin, mis en scène par ce dernier, propose d’entrer dans un objet volant non identifié qui relève autant de la comédie désopilante que de l’implacable manifeste politique.
Dans un avenir éloigné, l’humanité vit dans des Globotrons, d’immenses vaisseaux dont chacun est la propriété et l’expression d’une marque, de Couche-Tard à Canadian Tire. Plus personne n’est contribuable, citoyen, ni même consommatrice; on ne parle plus dorénavant que d’employé·es ou d’associé·es. Or une lutte sans merci se joue au cœur du vaisseau Médicis lorsque Nikole, la présidente de Dollarama, tente une prise de contrôle hostile dans le but avoué de devenir actionnaire majoritaire de la galaxie. S’ensuivra une série de luttes de pouvoir, tout en machinations et en jeux de coulisses, comme on se les imagine dans les palais italiens de la Renaissance, mais aussi dans les couloirs des parlements modernes.
Tout le propos du spectacle tourne autour du pouvoir et de la violence inhérente à celui-ci. Les créateurs s’astreignent à empaqueter ce sujet accablant dans un emballage loufoque en exploitant au maximum les codes de la comédie, de la farce à la satire. Astucieux et irrévérencieux, grossier et physique, pétri de références culturelles et de jeux de mots abscons, l’humour se montre sous ses multiples facettes en révélant par petites touches le gouffre de cynisme qui se cache sous la brillante surface. On s’amuse des bouffonneries qui voilent la sinistre réalité, et on se rend compte, par moments, qu’on rit jaune.
Jeu de codes
L’un des outils du pouvoir est la capacité à formuler des idées en les faisant passer pour d’autres – en somme, la dissimulation et la désinformation, incarnées à la perfection par la novlangue corporative. On la voit retourner comme un gant les principes de solidarité, de sororité, de compassion et d’humanité. Ajoutons à cela la perte de légitimité que subit l’Histoire, comme lorsqu’on fait passer les principes machiavéliens pour des aphorismes nouvel-âge, ou la démocratie pour un cocktail à la mode. Le mécanisme si bien illustré par George Orwell il y a quelque 75 ans est ici utilisé dans sa plus pure expression d’absurdité, et a pour effet de souligner à quel point le phénomène est devenu répandu, voire banal, à notre époque. Car enfin, la fin justifie les moyens.
Dans cette production fracassante, le décor, simple et ingénieux, permet d’évoquer aussi bien un vaisseau spatial qu’un palazzo de marbre. Rehaussé par des projections et des éclairages inventifs, il se transforme selon les besoins en cuisine, en tank ou en dépotoir terrien post-apocalyptique. Les cinq interprètes y incarnent avec assurance divers personnages outrageusement caricaturaux. On s’esclaffe devant les pitreries des comédiens et les bouffonneries des comédiennes, on glousse de voir l’extravagance des costumes, colorés et lustrés, dont le style fait référence à des productions culturelles des années 1970 et 1980, ainsi que les numéros de danse et les jingles, qui renvoient eux aussi à des émissions cultes du siècle dernier.
L’incongruité est justement l’une des caractéristiques principales de ce spectacle qui fait le pari de désarçonner son public pour mieux le conquérir, imitant en cela les tactiques choc de certains politiciens visant à laisser le peuple désemparé et fragilisé. Mais au moins, on rit.
Texte : Olivier Morin et Guillaume Tremblay d’après l’œuvre de Machiavel. Mise en scène : Olivier Morin. Assistance à la mise en scène et régie : Ariane Brière. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Estelle Charron. Lumières : Marie-Aube Saint-Amant Duplessis. Avec Ann-Catherine Choquette, Stéphane Crête, Marie-Claude Guérin, Olivier Morin et Guillaume Tremblay. Une coproduction du Théâtre Denise-Pelletier et du Théâtre du double signe, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 22 février 2025.
On rit beaucoup dans Le Prince, ce spectacle étrange, réjouissant et glaçant tout à la fois. Cette création collaborative du Théâtre du Double signe et du Théâtre Denise-Pelletier a pour ambition de conjuguer la pensée de Machiavel et la science-fiction dans un space opera à l’esthétique rétro-futuriste. Le texte de Guillaume Tremblay et d’Olivier Morin, mis en scène par ce dernier, propose d’entrer dans un objet volant non identifié qui relève autant de la comédie désopilante que de l’implacable manifeste politique.
Dans un avenir éloigné, l’humanité vit dans des Globotrons, d’immenses vaisseaux dont chacun est la propriété et l’expression d’une marque, de Couche-Tard à Canadian Tire. Plus personne n’est contribuable, citoyen, ni même consommatrice; on ne parle plus dorénavant que d’employé·es ou d’associé·es. Or une lutte sans merci se joue au cœur du vaisseau Médicis lorsque Nikole, la présidente de Dollarama, tente une prise de contrôle hostile dans le but avoué de devenir actionnaire majoritaire de la galaxie. S’ensuivra une série de luttes de pouvoir, tout en machinations et en jeux de coulisses, comme on se les imagine dans les palais italiens de la Renaissance, mais aussi dans les couloirs des parlements modernes.
Tout le propos du spectacle tourne autour du pouvoir et de la violence inhérente à celui-ci. Les créateurs s’astreignent à empaqueter ce sujet accablant dans un emballage loufoque en exploitant au maximum les codes de la comédie, de la farce à la satire. Astucieux et irrévérencieux, grossier et physique, pétri de références culturelles et de jeux de mots abscons, l’humour se montre sous ses multiples facettes en révélant par petites touches le gouffre de cynisme qui se cache sous la brillante surface. On s’amuse des bouffonneries qui voilent la sinistre réalité, et on se rend compte, par moments, qu’on rit jaune.
Jeu de codes
L’un des outils du pouvoir est la capacité à formuler des idées en les faisant passer pour d’autres – en somme, la dissimulation et la désinformation, incarnées à la perfection par la novlangue corporative. On la voit retourner comme un gant les principes de solidarité, de sororité, de compassion et d’humanité. Ajoutons à cela la perte de légitimité que subit l’Histoire, comme lorsqu’on fait passer les principes machiavéliens pour des aphorismes nouvel-âge, ou la démocratie pour un cocktail à la mode. Le mécanisme si bien illustré par George Orwell il y a quelque 75 ans est ici utilisé dans sa plus pure expression d’absurdité, et a pour effet de souligner à quel point le phénomène est devenu répandu, voire banal, à notre époque. Car enfin, la fin justifie les moyens.
Dans cette production fracassante, le décor, simple et ingénieux, permet d’évoquer aussi bien un vaisseau spatial qu’un palazzo de marbre. Rehaussé par des projections et des éclairages inventifs, il se transforme selon les besoins en cuisine, en tank ou en dépotoir terrien post-apocalyptique. Les cinq interprètes y incarnent avec assurance divers personnages outrageusement caricaturaux. On s’esclaffe devant les pitreries des comédiens et les bouffonneries des comédiennes, on glousse de voir l’extravagance des costumes, colorés et lustrés, dont le style fait référence à des productions culturelles des années 1970 et 1980, ainsi que les numéros de danse et les jingles, qui renvoient eux aussi à des émissions cultes du siècle dernier.
L’incongruité est justement l’une des caractéristiques principales de ce spectacle qui fait le pari de désarçonner son public pour mieux le conquérir, imitant en cela les tactiques choc de certains politiciens visant à laisser le peuple désemparé et fragilisé. Mais au moins, on rit.
Le Prince
Texte : Olivier Morin et Guillaume Tremblay d’après l’œuvre de Machiavel. Mise en scène : Olivier Morin. Assistance à la mise en scène et régie : Ariane Brière. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Estelle Charron. Lumières : Marie-Aube Saint-Amant Duplessis. Avec Ann-Catherine Choquette, Stéphane Crête, Marie-Claude Guérin, Olivier Morin et Guillaume Tremblay. Une coproduction du Théâtre Denise-Pelletier et du Théâtre du double signe, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 22 février 2025.