Un groupe d’humains blotti autour d’un feu de camp ronge des restes de nourriture et gémit dans la pénombre. Entre cette première scène et l’apothéose finale, une petite communauté survivra et reconstruira quelque chose comme de la culture dans un monde en ruines. L’ombre du nucléaire plane sur ce spectacle qui s’inscrit dans la thématique de la Fin, comme un nombre toujours croissant d’œuvres par les temps qui courent.
Roland Barthes disait, dans le cadre d’une conférence en 1974, que « c’est trop peu de vouloir changer des contenus, il faut surtout viser à fissurer le système même du sens ». Et c’est à cette action à la fois destructrice et créatrice que s’emploie le Collectif Tôle dans Mr. Burns, une pièce post-électrique. La pièce de la dramaturge états-unienne primée Anne Washburn, inaugurée en 2012 et présentée depuis un peu partout dans le monde anglo-saxon, accole les modes de représentation de la culture populaire actuelle, de la série télévisée à la comédie musicale en passant par l’annonce publicitaire.
Pas la moindre trace d’intelligence artificielle dans ce récit futuriste qui semble avoir fait l’impasse sur les deux dernières décennies pour sauter de la fin des années 1990 à un futur sans doute proche. On rit, on pleure et on sursaute dans cette mise en scène délirante de Marie-Ève Groulx, spécialiste du spectacle multidisciplinaire avec un penchant particulier pour les prestations musicales inclassables.
Pour se distraire, pour évacuer leurs deuils multiples et leur profonde angoisse face à l’avenir, les survivant·es se remémorent un épisode de la série Les Simpson, rivalisant d’acuité mnémonique et de talent de conteur et de conteuse. Plus tard, cette relique du passé devient la force vive d’une nouvelle culture basée sur le spectacle itinérant. On revoit à la hausse la valeur intrinsèque d’icônes de la culture populaire : là où le Coke Diète devient monnaie d’échange et le Chablis symbole de prestige, la série Les Simpson se mue au fil des ans en un véritable mythe fondateur de cette nouvelle humanité construite sur les cendres d’une civilisation délétère. On voit dans plusieurs aspects du spectacle la série Station Eleven de Patrick Somerville, tirée du roman éponyme d’Emily St. John Mandel, qui montrait les périples d’une troupe de théâtre dans un inquiétant monde post-apocalyptique.
Le prix, et le coût, de la culture
La mise en abyme se pose en évidence dans cet univers post-apocalyptique, mais surtout postmoderne, qui nous présente un miroir – déformant, mais tout juste – de notre état d’« après ». L’épisode des Simpson privilégié par la troupe est celui qui se présente en hommage au film Cape Fear de 1991, lui-même repris du film de 1962, et faisant usage de références tirées d’autres sources encore. On déconstruit, on produit de la nostalgie et du sacré à partir des ruines du sens d’antan, comme le signale l’esthétique de la conception, reposant sur une utilisation originale d’objets visuels et sonores recyclés, notamment par le circuit bending.
L’ampleur du travail déployée dans l’ambitieuse et baroque scénographie d’Odile Gamache force l’admiration. Depuis l’originalité des éclairages jusqu’à l’exploitation de l’espace scénique, la minutie s’étend au moindre détail des accessoires, des costumes, de la conception sonore. Les interprètes ne sont pas en reste, et leurs performances nuancées – quoique débridées – donnent ce ton unique au spectacle : à la fois hilarant, grave et d’une extravagance mémorable.
La traduction de Maxime Brillon adapte et intègre avec fluidité les références culturelles, notamment la version québécoise des Simpson, dont l’apogée est sans doute l’incarnation de Bart Simpson par une Joanie Martel inspirée. Soulignons par ailleurs l’harmonieuse contribution de la soprano Cécile Muhire, point d’ancrage des numéros chantés.
Il arrive que certaines répliques soient difficiles à comprendre, et si ce problème semble émaner d’une certaine faiblesse au niveau du son, notons quand même que les virus qui nous affligent en ce moment causent bien des toux intempestives dans les gradins.
Somme toute, comme dans Les Simpson, aucune atteinte ne porte à conséquence et, à chaque nouvel « épisode » (chacun des trois actes), on perd la trace des conflits interpersonnels et des blessures physiques ou morales des personnages. On repart à zéro à chaque fois, gommant toute continuité des trajectoires individuelles et toute évolution des protagonistes au profit des références culturelles. Le cœur du propos, c’est le spectacle, le symbole et le récit. Mr. Burns propose ainsi une réflexion ludique et néanmoins impérieuse sur le prix et le coût de la culture, du divertissement, sur l’importance de la mémoire à une époque où le système du sens brûle en même temps que la terre sous nos pieds.
Texte : Anne Washburn. Mise en scène : Marie-Ève Groulx. Traduction : Maxime Brillon. Conception sonore et musicien : Carl Matthieu Neher. Scénographie : Odile Gamache. Lumière : Jacinthe Racine. Accessoires et costumes : Marianne Lonergan Pilotto et Sophie El-Assaad. Chorégraphie : Sophie Levasseur. Maquillages et coiffures : Audrey Toulouse. Assistance à la mise en scène : Kristelle Delorme. Avec : Maxime Brillon, Maryline Chery, Guillaume Laurin, Joanie Martel, Cécile Muhire, Ève Pressault, Dominique Quesnel. Une création du Prospero et du Collectif Tôle, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 3 avril 2025.
Un groupe d’humains blotti autour d’un feu de camp ronge des restes de nourriture et gémit dans la pénombre. Entre cette première scène et l’apothéose finale, une petite communauté survivra et reconstruira quelque chose comme de la culture dans un monde en ruines. L’ombre du nucléaire plane sur ce spectacle qui s’inscrit dans la thématique de la Fin, comme un nombre toujours croissant d’œuvres par les temps qui courent.
Roland Barthes disait, dans le cadre d’une conférence en 1974, que « c’est trop peu de vouloir changer des contenus, il faut surtout viser à fissurer le système même du sens ». Et c’est à cette action à la fois destructrice et créatrice que s’emploie le Collectif Tôle dans Mr. Burns, une pièce post-électrique. La pièce de la dramaturge états-unienne primée Anne Washburn, inaugurée en 2012 et présentée depuis un peu partout dans le monde anglo-saxon, accole les modes de représentation de la culture populaire actuelle, de la série télévisée à la comédie musicale en passant par l’annonce publicitaire.
Pas la moindre trace d’intelligence artificielle dans ce récit futuriste qui semble avoir fait l’impasse sur les deux dernières décennies pour sauter de la fin des années 1990 à un futur sans doute proche. On rit, on pleure et on sursaute dans cette mise en scène délirante de Marie-Ève Groulx, spécialiste du spectacle multidisciplinaire avec un penchant particulier pour les prestations musicales inclassables.
Pour se distraire, pour évacuer leurs deuils multiples et leur profonde angoisse face à l’avenir, les survivant·es se remémorent un épisode de la série Les Simpson, rivalisant d’acuité mnémonique et de talent de conteur et de conteuse. Plus tard, cette relique du passé devient la force vive d’une nouvelle culture basée sur le spectacle itinérant. On revoit à la hausse la valeur intrinsèque d’icônes de la culture populaire : là où le Coke Diète devient monnaie d’échange et le Chablis symbole de prestige, la série Les Simpson se mue au fil des ans en un véritable mythe fondateur de cette nouvelle humanité construite sur les cendres d’une civilisation délétère. On voit dans plusieurs aspects du spectacle la série Station Eleven de Patrick Somerville, tirée du roman éponyme d’Emily St. John Mandel, qui montrait les périples d’une troupe de théâtre dans un inquiétant monde post-apocalyptique.
Le prix, et le coût, de la culture
La mise en abyme se pose en évidence dans cet univers post-apocalyptique, mais surtout postmoderne, qui nous présente un miroir – déformant, mais tout juste – de notre état d’« après ». L’épisode des Simpson privilégié par la troupe est celui qui se présente en hommage au film Cape Fear de 1991, lui-même repris du film de 1962, et faisant usage de références tirées d’autres sources encore. On déconstruit, on produit de la nostalgie et du sacré à partir des ruines du sens d’antan, comme le signale l’esthétique de la conception, reposant sur une utilisation originale d’objets visuels et sonores recyclés, notamment par le circuit bending.
L’ampleur du travail déployée dans l’ambitieuse et baroque scénographie d’Odile Gamache force l’admiration. Depuis l’originalité des éclairages jusqu’à l’exploitation de l’espace scénique, la minutie s’étend au moindre détail des accessoires, des costumes, de la conception sonore. Les interprètes ne sont pas en reste, et leurs performances nuancées – quoique débridées – donnent ce ton unique au spectacle : à la fois hilarant, grave et d’une extravagance mémorable.
La traduction de Maxime Brillon adapte et intègre avec fluidité les références culturelles, notamment la version québécoise des Simpson, dont l’apogée est sans doute l’incarnation de Bart Simpson par une Joanie Martel inspirée. Soulignons par ailleurs l’harmonieuse contribution de la soprano Cécile Muhire, point d’ancrage des numéros chantés.
Il arrive que certaines répliques soient difficiles à comprendre, et si ce problème semble émaner d’une certaine faiblesse au niveau du son, notons quand même que les virus qui nous affligent en ce moment causent bien des toux intempestives dans les gradins.
Somme toute, comme dans Les Simpson, aucune atteinte ne porte à conséquence et, à chaque nouvel « épisode » (chacun des trois actes), on perd la trace des conflits interpersonnels et des blessures physiques ou morales des personnages. On repart à zéro à chaque fois, gommant toute continuité des trajectoires individuelles et toute évolution des protagonistes au profit des références culturelles. Le cœur du propos, c’est le spectacle, le symbole et le récit. Mr. Burns propose ainsi une réflexion ludique et néanmoins impérieuse sur le prix et le coût de la culture, du divertissement, sur l’importance de la mémoire à une époque où le système du sens brûle en même temps que la terre sous nos pieds.
Mr. Burns, une pièce post-électrique
Texte : Anne Washburn. Mise en scène : Marie-Ève Groulx. Traduction : Maxime Brillon. Conception sonore et musicien : Carl Matthieu Neher. Scénographie : Odile Gamache. Lumière : Jacinthe Racine. Accessoires et costumes : Marianne Lonergan Pilotto et Sophie El-Assaad. Chorégraphie : Sophie Levasseur. Maquillages et coiffures : Audrey Toulouse. Assistance à la mise en scène : Kristelle Delorme. Avec : Maxime Brillon, Maryline Chery, Guillaume Laurin, Joanie Martel, Cécile Muhire, Ève Pressault, Dominique Quesnel. Une création du Prospero et du Collectif Tôle, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 3 avril 2025.