La metteuse en scène, marionnettiste et cofondatrice de la compagnie Aluma, Lucile Prosper, présente Hudu (qui signifie « calme » en arabe littéraire) dans le cadre du Festival Petits Bonheurs. Ce spectacle immersif conçu pour les personnes neuroatypiques nous plonge dans un monde onirique, situé à vingt mille lieues sous les mers. Musicien·nes, danseur·euses et marionnettes tissent une trame narrative où tout le monde trouve sa place.
Raconte-nous la genèse de Hudu. Quel est l’élément déclencheur qui t’a poussée à créer ce spectacle ?
J’ai décidé de travailler sur une forme destinée aux personnes dites neuroatypiques avec des artistes québécois, tunisiens et français à la suite d’une réflexion sur l’inclusivité, particulièrement dans le contexte actuel.
Durant la pandémie, j’ai offert 12 ateliers de fabrication de marionnettes et de création de courtes formes auprès d’adultes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble neurologique. Certes, je faisais un atelier de 3 h par semaine, mais leur présence et leurs réflexions m’habitaient tout le reste du temps.
À la suite de ces ateliers, je me suis dit que l’on adaptait toujours les spectacles pour les personnes neuroatypiques au lieu de les penser directement pour elles. Et rapidement, j’ai voulu inverser notre façon de faire pour voir ce que cela changerait.
Je me suis renseignée sur la neurodiversité et sur l’autisme. J’ai eu une certaine fascination pour ces êtres humains que j’aime appeler extra-ordinaires. J’ai donc interrogé des experts, rencontré des chercheurs, offert des ateliers à des jeunes dans les écoles spécialisées, fait du bénévolat en danse-thérapie aux Grands Ballets pour découvrir, comprendre. J’ai postulé un peu partout avec mon ébauche de projet et tout le monde a embarqué. Alors mes ailes ont poussé.

© Kadhem Bouebdellah
Tu travailles avec des artistes provenant de trois continents. Est-ce un hasard ?
Pas vraiment. La cocréation internationale fait partie de mon processus artistique. Il est difficile pour moi d’imaginer que les arts puissent rester dans des frontières. Selon moi, l’échange artistique et culturel est essentiel pour la justesse d’un projet. Et avec Hudu, cela se confirmait.
Durant ma réflexion, j’ai mis les pieds en Tunisie et découvert le guitariste exceptionnel Aymen Ben Attia. À Montréal, j’avais déjà identifié des musiciens avec qui je voulais travailler (Juliette Malgrange et Khalil Bouaziz) et je savais que le trio allait faire un malheur. J’allais donc créer avec eux.
D’une part, l’échange Québec–Tunisie allait être extrêmement riche; d’autre part, je mêlais différentes façons d’appréhender l’autisme. C’est pour avoir un autre point de vue sur ce trouble que j’ai décidé d’inclure la France où j’ai grandi. Je voulais m’imprégner des trois visions pour parler aux trois pays et approfondir le dialogue et la réflexion. Je pense que c’est un peu tout ça qui a engendré ce travail sur trois continents durant plusieurs années.
Comment penser une pièce destinée aux personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) ?
Hudu est une création qui a été pensée POUR les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme. Aujourd’hui, je peux dire qu’elle s’adresse aussi à des personnes ayant d’autres troubles neurologiques (psychotique, déficience intellectuelle…). Je suis partie des besoins de ce public pour créer une œuvre.
On a créé au sein de l’école primaire L’Étincelle qui accueille des enfants qui ont un TSA sévère, située dans le Mile End, à Montréal. Nous y avons été reçus deux semaines. La première semaine nous a permis d’imaginer une petite forme de 15 minutes et de vivre six heures par jour avec plein de spectateurs cibles. L’enseignante Julie Gauvin nous a beaucoup accompagnés durant le processus. La deuxième semaine a été réservée à la présentation de notre création devant chacune des classes de l’établissement.
Au niveau de la scénographie, j’ai pensé à un espace immersif, où l’apesanteur n’est plus, avec une lumière intégrée très pâle qui évolue beaucoup. Il y a énormément de paillettes parce que les paillettes, c’est la vie ! Les marionnettes sont aussi lumineuses et très métaphoriques (mais aussi rapides à refaire en cas de brisure).
Musicalement, nous avons choisi des instruments à cordes avec des effets de pédales (guitare et violoncelle). Nous changeons souvent d’atmosphère parce que la dynamique des spectateurs change énormément avec la musique. Leur énergie évolue avec les ambiances sonores et nous jouons beaucoup là-dessus.
Au niveau de l’interprétation, nous sommes restés dans le non verbal (avec quelques mots au début) entre la danse et la marionnette, pour jouer sur la corporalité, mais aussi pour que ce soient bien les marionnettes qui entrent en contact avec les spectateurs et non pas les humains.
Que veux-tu susciter chez le public ?
Le plaisir ! Offrir un espace sécuritaire pour tout le monde, pour que chacun se sente libre d’agir comme iel le souhaite à l’intérieur de cette pièce immersive.
Pour les personnes ayant un TSA, l’objectif est de leur faire vivre une expérience plaisante. Pour les personnes qui les accompagnent, au plaisir s’ajoute la volonté qu’iels comprennent que les spectateurs invités peuvent être ce qu’iels sont et qu’iels n’ont pas besoin de faire de gestion. Nous avons beaucoup entendu cela de la part d’intervenant.es à la fin des résidences : « J’étais tellement détendue, ça m’a fait énormément de bien » ou « J’étais serein.e et pouvait profiter autant du spectacle que lui ou elle. »
Enfin, pour les publics dits neurotypiques, nous voulons à la fois susciter du plaisir et les libérer de codes qu’iels s’imposent parfois; leur faire vivre une expérience avec des spectateurs avec lesquels iels n’ont peut-être pas encore eu beaucoup d’interactions. Et grâce au plaisir, l’inclusivité est toute naturelle : il n’y a plus de frontières.
Tu es marionnettiste de profession, quelle place occupe la marionnette dans Hudu ?
La marionnette n’est pas mon seul instrument. Il fait partie d’une vision plus large. D’un point de vue esthétique, j’ai envie de mêler corps et marionnette, réel et imaginaire; de tromper le spectateur et de l’emmener dans des univers complètement métaphoriques. Mais la marionnette est aussi un outil politique pour moi : elle permet de tout faire, de tout dire. On peut aller tellement loin avec elle.
La marionnette dans Hudu a une place multiple. Elle est d’abord un outil d’approche extraordinaire. Pour certaines personnes vivant avec un TSA, un robot est plus abordable qu’un humain parce qu’il n’a pas d’expression faciale. La marionnette non plus n’a pas d’expression. D’autre part, elle peut être douce, rugueuse et manipulée de toutes les façons possibles.
Dans le cadre de ma recherche artistique, j’ai travaillé à partir de l’objet détourné. La marionnette est un outil tout aussi important que la danse, la musique et la lumière dans ce spectacle. Elle a une petite place par rapport à ce que j’aurais aimé, mais Hudu n’est que le début d’un cycle bien plus long. Ce spectacle a permis à mon partenaire de compagnie et moi-même de comprendre la force du théâtre immersif et le souhait d’aller plus loin dans nos prochaines créations.
La metteuse en scène, marionnettiste et cofondatrice de la compagnie Aluma, Lucile Prosper, présente Hudu (qui signifie « calme » en arabe littéraire) dans le cadre du Festival Petits Bonheurs. Ce spectacle immersif conçu pour les personnes neuroatypiques nous plonge dans un monde onirique, situé à vingt mille lieues sous les mers. Musicien·nes, danseur·euses et marionnettes tissent une trame narrative où tout le monde trouve sa place.
Raconte-nous la genèse de Hudu. Quel est l’élément déclencheur qui t’a poussée à créer ce spectacle ?
J’ai décidé de travailler sur une forme destinée aux personnes dites neuroatypiques avec des artistes québécois, tunisiens et français à la suite d’une réflexion sur l’inclusivité, particulièrement dans le contexte actuel.
Durant la pandémie, j’ai offert 12 ateliers de fabrication de marionnettes et de création de courtes formes auprès d’adultes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble neurologique. Certes, je faisais un atelier de 3 h par semaine, mais leur présence et leurs réflexions m’habitaient tout le reste du temps.
À la suite de ces ateliers, je me suis dit que l’on adaptait toujours les spectacles pour les personnes neuroatypiques au lieu de les penser directement pour elles. Et rapidement, j’ai voulu inverser notre façon de faire pour voir ce que cela changerait.
Je me suis renseignée sur la neurodiversité et sur l’autisme. J’ai eu une certaine fascination pour ces êtres humains que j’aime appeler extra-ordinaires. J’ai donc interrogé des experts, rencontré des chercheurs, offert des ateliers à des jeunes dans les écoles spécialisées, fait du bénévolat en danse-thérapie aux Grands Ballets pour découvrir, comprendre. J’ai postulé un peu partout avec mon ébauche de projet et tout le monde a embarqué. Alors mes ailes ont poussé.
© Kadhem Bouebdellah
Tu travailles avec des artistes provenant de trois continents. Est-ce un hasard ?
Pas vraiment. La cocréation internationale fait partie de mon processus artistique. Il est difficile pour moi d’imaginer que les arts puissent rester dans des frontières. Selon moi, l’échange artistique et culturel est essentiel pour la justesse d’un projet. Et avec Hudu, cela se confirmait.
Durant ma réflexion, j’ai mis les pieds en Tunisie et découvert le guitariste exceptionnel Aymen Ben Attia. À Montréal, j’avais déjà identifié des musiciens avec qui je voulais travailler (Juliette Malgrange et Khalil Bouaziz) et je savais que le trio allait faire un malheur. J’allais donc créer avec eux.
D’une part, l’échange Québec–Tunisie allait être extrêmement riche; d’autre part, je mêlais différentes façons d’appréhender l’autisme. C’est pour avoir un autre point de vue sur ce trouble que j’ai décidé d’inclure la France où j’ai grandi. Je voulais m’imprégner des trois visions pour parler aux trois pays et approfondir le dialogue et la réflexion. Je pense que c’est un peu tout ça qui a engendré ce travail sur trois continents durant plusieurs années.
Comment penser une pièce destinée aux personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) ?
Hudu est une création qui a été pensée POUR les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme. Aujourd’hui, je peux dire qu’elle s’adresse aussi à des personnes ayant d’autres troubles neurologiques (psychotique, déficience intellectuelle…). Je suis partie des besoins de ce public pour créer une œuvre.
On a créé au sein de l’école primaire L’Étincelle qui accueille des enfants qui ont un TSA sévère, située dans le Mile End, à Montréal. Nous y avons été reçus deux semaines. La première semaine nous a permis d’imaginer une petite forme de 15 minutes et de vivre six heures par jour avec plein de spectateurs cibles. L’enseignante Julie Gauvin nous a beaucoup accompagnés durant le processus. La deuxième semaine a été réservée à la présentation de notre création devant chacune des classes de l’établissement.
Au niveau de la scénographie, j’ai pensé à un espace immersif, où l’apesanteur n’est plus, avec une lumière intégrée très pâle qui évolue beaucoup. Il y a énormément de paillettes parce que les paillettes, c’est la vie ! Les marionnettes sont aussi lumineuses et très métaphoriques (mais aussi rapides à refaire en cas de brisure).
Musicalement, nous avons choisi des instruments à cordes avec des effets de pédales (guitare et violoncelle). Nous changeons souvent d’atmosphère parce que la dynamique des spectateurs change énormément avec la musique. Leur énergie évolue avec les ambiances sonores et nous jouons beaucoup là-dessus.
Au niveau de l’interprétation, nous sommes restés dans le non verbal (avec quelques mots au début) entre la danse et la marionnette, pour jouer sur la corporalité, mais aussi pour que ce soient bien les marionnettes qui entrent en contact avec les spectateurs et non pas les humains.
Que veux-tu susciter chez le public ?
Le plaisir ! Offrir un espace sécuritaire pour tout le monde, pour que chacun se sente libre d’agir comme iel le souhaite à l’intérieur de cette pièce immersive.
Pour les personnes ayant un TSA, l’objectif est de leur faire vivre une expérience plaisante. Pour les personnes qui les accompagnent, au plaisir s’ajoute la volonté qu’iels comprennent que les spectateurs invités peuvent être ce qu’iels sont et qu’iels n’ont pas besoin de faire de gestion. Nous avons beaucoup entendu cela de la part d’intervenant.es à la fin des résidences : « J’étais tellement détendue, ça m’a fait énormément de bien » ou « J’étais serein.e et pouvait profiter autant du spectacle que lui ou elle. »
Enfin, pour les publics dits neurotypiques, nous voulons à la fois susciter du plaisir et les libérer de codes qu’iels s’imposent parfois; leur faire vivre une expérience avec des spectateurs avec lesquels iels n’ont peut-être pas encore eu beaucoup d’interactions. Et grâce au plaisir, l’inclusivité est toute naturelle : il n’y a plus de frontières.
Tu es marionnettiste de profession, quelle place occupe la marionnette dans Hudu ?
La marionnette n’est pas mon seul instrument. Il fait partie d’une vision plus large. D’un point de vue esthétique, j’ai envie de mêler corps et marionnette, réel et imaginaire; de tromper le spectateur et de l’emmener dans des univers complètement métaphoriques. Mais la marionnette est aussi un outil politique pour moi : elle permet de tout faire, de tout dire. On peut aller tellement loin avec elle.
La marionnette dans Hudu a une place multiple. Elle est d’abord un outil d’approche extraordinaire. Pour certaines personnes vivant avec un TSA, un robot est plus abordable qu’un humain parce qu’il n’a pas d’expression faciale. La marionnette non plus n’a pas d’expression. D’autre part, elle peut être douce, rugueuse et manipulée de toutes les façons possibles.
Dans le cadre de ma recherche artistique, j’ai travaillé à partir de l’objet détourné. La marionnette est un outil tout aussi important que la danse, la musique et la lumière dans ce spectacle. Elle a une petite place par rapport à ce que j’aurais aimé, mais Hudu n’est que le début d’un cycle bien plus long. Ce spectacle a permis à mon partenaire de compagnie et moi-même de comprendre la force du théâtre immersif et le souhait d’aller plus loin dans nos prochaines créations.