Critiques

The Rise of the BlingBling – le diptyque : La dernière scène

© Ludovic Photographie

The Rise of the BlingBling s’insère avec un remarquable à-propos dans l’actualité. D’une part, il arrive dans une année tendue où il devient de plus en plus courant de s’interroger sur la composition exacte d’une dictature, sujet central au propos de cette comédie tragique dont l’action se déroule sous la mainmise d’un tyran capricieux et de ses armées, hydre à mille têtes impossible à terrasser.

D’autre part, le deuxième volet du projet de Philippe Boutin, débuté en 2022 par La Genèse, éclot au point d’émergence d’un tout nouveau pontificat. La coïncidence avec ce dernier n’est pas banale pour ce spectacle qui repose en grande partie sur la vie de Jésus, en particulier telle qu’elle a été mise en scène au cours des dernières décennies. Dans sa première allocution à titre de pape, Léon XIV – qui a peut-être assisté, incognito, à la sortie de résidence de la production d’Empire Panique – dénonce la suprématie croissante de « l’argent, le succès, le pouvoir » et déplore l’exploitation de la figure de Jésus en « leader charismatique ».

Or, le « blingbling » du titre, c’est bien l’ensemble des beaux discours, des fausses idoles, des objets brillants qui détournent l’attention des humains. On suit l’histoire de Woody, né dans un blizzard comme dans Les filles de Caleb, et qui grandit imprégné de films cultes mettant en scène des figures christiques. Devenu policier comme sa mère, il découvrira l’amour de son prochain, et le sens du vieil adage selon lequel, pour que le Mal gagne, il suffit aux hommes de bonne volonté de ne rien dire.

À travers le personnage de Woody, Christophe Payeur convoque Charlot et Buster Keaton pour prêter de multiples dimensions à sa pantomime ludique. On souhaiterait presque qu’il passe le spectacle sans ouvrir la bouche tant son jeu corporel est réjouissant. Or c’est justement le nœud du problème : foudroyé par une épiphanie, Woody n’a de cesse de disséminer son message mais, comme dans un mauvais rêve, ne parvient pas à se faire entendre.

Poétique du kung fu

Dans la plupart des scènes, plusieurs personnages portent un masque. L’expressivité corporelle de ces formidables interprètes est exploitée au maximum, et s’adjoint l’assistance de nombreux changement de costumes des plus évocateurs (et parfois des plus restreints). On joue beaucoup avec le langage, ses fonctions, ses possibles : une scène peut contenir trois mots, ou de simples intonations. On explore, aussi, le pouvoir de la parole : l’avoir ou pas, la prendre de force, la bâillonner… ou ne rien dire.

Dans cette épique production, sans longueurs malgré ses quelque trois heures trente (avec entracte), se succèdent des numéros de danse, de chant, de mime, de comédie musicale ainsi qu’une séquence finale indescriptible conjuguant à peu près tous les arts de la scène, le tout dans le feu roulant narratif d’un Étienne Lou fringant qui assume avec brio le rôle de commentateur, de maître de cérémonie et de deus ex machina.

Le spectacle présente une esthétique méticuleusement travaillée. Les personnages, souvent liés aux récits bibliques, forment des poses et des tableaux d’ensemble qui, à l’aide des magnifiques éclairages de Leticia Hamaoui et de Martin Sirois, recréent une iconographie religieuse très présente dans l’imaginaire collectif. Les références cinématographiques abondent aussi. Les chorégraphies de danse et de combat, comportant ralentis et « effets spéciaux », allient la grâce de la capoeira et du ballet classique à la puissance sinistre de l’exercice militaire.

Alors que le premier acte repose sur la danse, le deuxième est davantage consacré à la musique et rajoute sur scène plusieurs instrumentistes et vocalistes. La conception sonore, impeccable, alterne grands classiques de la musique de chambre et tubes des années 1990 avec des pièces originales et des arias chantés sur scène.

Malgré ce fourmillement de comédiens et de comédiennes, de formes d’art, de costumes et de décors, malgré l’hyperactivité qui se dégage de certaines scènes, on évolue dans une certaine lenteur d’action qui explique en partie la durée du spectacle. C’est qu’on ne tourne aucun coin rond. L’exposition des personnages et des dynamiques essentielles du récit est approfondie et les chorégraphies magnifiques déploient leur poésie sans hâte. Peut-être est-ce cette maîtrise des contrastes – lenteur et rapidité, comédie et tragédie, Histoire antique et actualité brûlante – qui donne au Rise of the BlingBling son indéniable magie.

The Rise of the Bling Bling – Le diptyque

Création : Philippe Boutin, en étroite collaboration avec les interprètes. Direction de production : Antoine Rivard-Nolin. Direction technique : Juliette Papineau-Holdrinet. Dramaturgie : Joséphine Rivard. Conception costumes : Leïlah Dufour-Forget. Conception lumières : Leticia Hamaoui et Martin Sirois. Scénographie : Clémentine Verhaegen et Maude Janvier. Chorégraphie : Elon Höglund et Jean-Benoit Labrecque. Musique : Antoine Berthiaume et Pierre Labbé. Sonorisation : Frédéric Auger. Conception sonore de la pantomime : Ilyaa Ghafouri. Avec Rosie-Anne Bérubé-Bernier, Jaleesa Coligny, Larissa Corriveau, Maxime Genois, Léo Hamel, Valmont Harnois, Émilou Johnson, Vincent Kim, Pierre Labbé, Simon Landry-Désy, Étienne Lou, Emmanuelle Lussier-Martinez, Maxime Mompérousse, Cécile Muhire, Christophe Payeur, Clara Prévost, Nikolas Pulka, Raphaëlle Renucci, Frédérique Rodier et un enfant. Une production d’Empire Panique et une coproduction de l’Usine C et du Théâtre français du Centre national des Arts, présentée à l’Usine C jusqu’au 17 mai 2025.