Il y a d’abord une forêt. Une forêt de néons, blanche et rigide, qui découpe l’espace comme autant d’archives froides dressées dans le noir. Et puis, un néon mauve. Seul. Intrus ou survivant ? On ne le sait pas encore. Il faudra parcourir tout le spectacle pour peut-être en saisir complètement l’éclat.
Sur scène, Dorothée Munyaneza ne performe pas : elle invoque, elle convoque. La danseuse-musicienne rwandaise traverse le plateau comme on traverse l’Histoire; à tâtons, à rebours, portée par les fragments d’un passé occulté — esclavage, colonisation. Sa voix module, chante, gémit, rugit parfois. Chaque geste est abri, chaque souffle, souvenir. Elle danse peu, mais tout danse autour d’elle — les sons, les silences, la lumière, les fantômes.
Dorothée Munyaneza donne ainsi corps à Tituba, mais aussi à tant d’autres femmes noires rendues invisibles par les récits officiels. Le texte de la philosophe Elsa Dorlin et l’ombre du roman de Maryse Condé, Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, infusent dans la Cinquième Salle de la Place des Arts un feu lent, politique, intime. Le solo devient chœur, le chœur devient rituel. La cérémonie a lieu dans l’obscurité, comme dans un ventre prêt à redonner la vie.
Quant à la musique de Khyam Allami, tout en tensions électroniques, pulsations noise et nappes expérimentales vibrantes, elle ne l’accompagne pas, mais plutôt fusionne avec la proposition de Dorothée Munyaneza. Ensemble, ils composent une sorte de sorcellerie contemporaine dont nous sommes les captifs consentants.
De Toi, moi, Tituba…, on ressort troublé. Une agitation féconde où l’art déplace les lignes, où la mémoire devient une réappropriation palpable. Peut-être que ce néon mauve était un repère. Peut-être un signe de survivance. Ou simplement une question laissée en suspens : que fait-on de celles qu’on a voulu effacer ?
Direction artistique et interprétation : Dorothée Munyaneza. Texte : Elsa Dorlin. Musique : Khyam Allami + Dorothée Munyaneza. Costumes : Stéphanie Coudert. Lumières : Marine Le Vey. Régie son : Aude Besnard. Direction de production : Virginie Dupray assisté par Nouria Tirou. Une coproduction de Compagnie Kadidi. Présenté dans le cadre du FTA à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 29 mai 2025.
AUTOGYNEGAMY : Au nom du père, du fils et du sain d’esprit : La grande fête d’Elle Barbara
À l’arrivée dans l’Église catholique Très-Saint-Rédempteur, comme à l’entrée d’un club mythique, la file s’allonge dans l’allée centrale, sous le regard des saintes représentations christiques. Déjà, le recueillement flirte avec la curiosité : on chuchote, des sourires s’esquissent çà et là. Sans prévenir, le spectacle a en réalité commencé. AUTOGYNEGAMY : Au nom du père, du fils et du sain d’esprit déploie sa cérémonie baroque, vivante, irrévérencieuse — un enterrement, celui du passé, qui se transforme en apothéose. Le futur est scintillant.
Elle Barbara ne se contente pas d’être au centre du spectacle : elle est le spectacle. La voix, le corps, le mythe. Figure tutélaire de l’underground montréalais, elle orchestre ici sa propre résurrection dans une liturgie queer où chaque acte détourne les codes catholiques pour mieux réécrire le sacré. Des funérailles à la communion jusqu’au grand mariage, chaque moment est à la fois solennel et délirant, charnel et théâtral.
On rit beaucoup. Pas par moquerie, bien sûr, mais par débordement. De joie, de tendresse. Le public, loin d’être un témoin passif, devient partie prenante : ses rires, ses silences, son souffle collectif donnent chair à ce rituel mené par Daniel Parent, à qui la chasuble sied à merveille. Le spectacle vit de notre émotion, et c’est peut-être là sa plus grande force.
Sur scène, un cortège de corps s’abandonne, se tord, exulte. La danse, la musique, le texte et la lumière convoquent à parts égales le cabaret, l’opéra et le gospel. C’est pop, c’est punk, c’est mystique. Elle Barbara renaît sous nos yeux en souveraine de sa propre narration. Sa transition, son affranchissement, son amour d’elle-même deviennent son sacerdoce.
AUTOGYNEGAMY est un moment précieux, un rituel d’émancipation aussi joyeux que bouleversant. Elle Barbara ne prêche pas, elle partage son amour avec nous. Et dans cette église où tout explose, on croit. Et on y croit dur comme fer. À l’art. À l’icône qu’Elle Barbara a toujours été, est et sera !
Interprétation : Elle Barbara, Angélique Delorme, Amandine Garrido, Ben Harvey, Lou-Anne Rousseau, Motrya Kozbur, Nyda Kwasowsky, Jontae McCrory, Sarah Lefebvre, Gabriel Olivella, Daniel Parent, H. Nigel Thomas. Chorégraphie : Interprètes et Sasha Kleinplatz. Coautrice : Enora Rivière. Dramaturgie de production : Raja Feather Kelly. Conception sonore : Markus Lake. Scénographie : Marilène Bastien. Costumes : Elen Ewing. Lumières : Jon Cleveland. Assistance à la mise en scène : Alexie Pommier. Assistance aux costumes Pascale Bassani. Direction de production et direction technique Samuel Thériault. Participation à la création : Peggy Hogan, Ericka Julie Jean Louis, Albert Lalonde, Matthew Ryan. Présenté dans le cadre du FTA au Théâtre Adam jusqu’au 31 mai 2025.
Il y a d’abord une forêt. Une forêt de néons, blanche et rigide, qui découpe l’espace comme autant d’archives froides dressées dans le noir. Et puis, un néon mauve. Seul. Intrus ou survivant ? On ne le sait pas encore. Il faudra parcourir tout le spectacle pour peut-être en saisir complètement l’éclat.
Sur scène, Dorothée Munyaneza ne performe pas : elle invoque, elle convoque. La danseuse-musicienne rwandaise traverse le plateau comme on traverse l’Histoire; à tâtons, à rebours, portée par les fragments d’un passé occulté — esclavage, colonisation. Sa voix module, chante, gémit, rugit parfois. Chaque geste est abri, chaque souffle, souvenir. Elle danse peu, mais tout danse autour d’elle — les sons, les silences, la lumière, les fantômes.
Dorothée Munyaneza donne ainsi corps à Tituba, mais aussi à tant d’autres femmes noires rendues invisibles par les récits officiels. Le texte de la philosophe Elsa Dorlin et l’ombre du roman de Maryse Condé, Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, infusent dans la Cinquième Salle de la Place des Arts un feu lent, politique, intime. Le solo devient chœur, le chœur devient rituel. La cérémonie a lieu dans l’obscurité, comme dans un ventre prêt à redonner la vie.
Quant à la musique de Khyam Allami, tout en tensions électroniques, pulsations noise et nappes expérimentales vibrantes, elle ne l’accompagne pas, mais plutôt fusionne avec la proposition de Dorothée Munyaneza. Ensemble, ils composent une sorte de sorcellerie contemporaine dont nous sommes les captifs consentants.
De Toi, moi, Tituba…, on ressort troublé. Une agitation féconde où l’art déplace les lignes, où la mémoire devient une réappropriation palpable. Peut-être que ce néon mauve était un repère. Peut-être un signe de survivance. Ou simplement une question laissée en suspens : que fait-on de celles qu’on a voulu effacer ?
Toi, moi, Tituba…
Direction artistique et interprétation : Dorothée Munyaneza. Texte : Elsa Dorlin. Musique : Khyam Allami + Dorothée Munyaneza. Costumes : Stéphanie Coudert. Lumières : Marine Le Vey. Régie son : Aude Besnard. Direction de production : Virginie Dupray assisté par Nouria Tirou. Une coproduction de Compagnie Kadidi. Présenté dans le cadre du FTA à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 29 mai 2025.
AUTOGYNEGAMY : Au nom du père, du fils et du sain d’esprit : La grande fête d’Elle Barbara
À l’arrivée dans l’Église catholique Très-Saint-Rédempteur, comme à l’entrée d’un club mythique, la file s’allonge dans l’allée centrale, sous le regard des saintes représentations christiques. Déjà, le recueillement flirte avec la curiosité : on chuchote, des sourires s’esquissent çà et là. Sans prévenir, le spectacle a en réalité commencé. AUTOGYNEGAMY : Au nom du père, du fils et du sain d’esprit déploie sa cérémonie baroque, vivante, irrévérencieuse — un enterrement, celui du passé, qui se transforme en apothéose. Le futur est scintillant.
Elle Barbara ne se contente pas d’être au centre du spectacle : elle est le spectacle. La voix, le corps, le mythe. Figure tutélaire de l’underground montréalais, elle orchestre ici sa propre résurrection dans une liturgie queer où chaque acte détourne les codes catholiques pour mieux réécrire le sacré. Des funérailles à la communion jusqu’au grand mariage, chaque moment est à la fois solennel et délirant, charnel et théâtral.
On rit beaucoup. Pas par moquerie, bien sûr, mais par débordement. De joie, de tendresse. Le public, loin d’être un témoin passif, devient partie prenante : ses rires, ses silences, son souffle collectif donnent chair à ce rituel mené par Daniel Parent, à qui la chasuble sied à merveille. Le spectacle vit de notre émotion, et c’est peut-être là sa plus grande force.
Sur scène, un cortège de corps s’abandonne, se tord, exulte. La danse, la musique, le texte et la lumière convoquent à parts égales le cabaret, l’opéra et le gospel. C’est pop, c’est punk, c’est mystique. Elle Barbara renaît sous nos yeux en souveraine de sa propre narration. Sa transition, son affranchissement, son amour d’elle-même deviennent son sacerdoce.
AUTOGYNEGAMY est un moment précieux, un rituel d’émancipation aussi joyeux que bouleversant. Elle Barbara ne prêche pas, elle partage son amour avec nous. Et dans cette église où tout explose, on croit. Et on y croit dur comme fer. À l’art. À l’icône qu’Elle Barbara a toujours été, est et sera !
AUTOGYNEGAMY : Au nom du père, du fils et du sain d’esprit
Interprétation : Elle Barbara, Angélique Delorme, Amandine Garrido, Ben Harvey, Lou-Anne Rousseau, Motrya Kozbur, Nyda Kwasowsky, Jontae McCrory, Sarah Lefebvre, Gabriel Olivella, Daniel Parent, H. Nigel Thomas. Chorégraphie : Interprètes et Sasha Kleinplatz. Coautrice : Enora Rivière. Dramaturgie de production : Raja Feather Kelly. Conception sonore : Markus Lake. Scénographie : Marilène Bastien. Costumes : Elen Ewing. Lumières : Jon Cleveland. Assistance à la mise en scène : Alexie Pommier. Assistance aux costumes Pascale Bassani. Direction de production et direction technique Samuel Thériault. Participation à la création : Peggy Hogan, Ericka Julie Jean Louis, Albert Lalonde, Matthew Ryan. Présenté dans le cadre du FTA au Théâtre Adam jusqu’au 31 mai 2025.