Critiques

Hippocampe : Éloge de la fragilité

© Marc-André Charron

Récipiendaire de nombreux prix Éloizes, récompense de l’art acadien, Satellite Théâtre a pour objectif d’offrir « des spectacles qui rassemblent, bousculent, provoquent et bercent ». Et le public se fait effectivement secouer et cajoler par ce spectacle lumineux aux échos prolongés. Comment peut-on aimer quelque chose qui a à peine existé ? C’est l’une des questions, à la fois profondes et presque métaphysiques, que pose Marc-André Charron dans ce quasi-monologue désarmant mis en scène par Caroline Bélisle et Ludger Beaulieu.

Un hippocampe est un petit animal fragile et captivant, dont la particularité bien connue est la gestation par le mâle de l’espèce. Loin d’être exotique, il se retrouve jusque sur les côtes des Maritimes, ce dont Marc-André se rend compte avec stupéfaction au cours d’un voyage qu’il entreprend, seul avec sa fille de six ans, pour la divertir un peu pendant la difficile période du confinement pandémique. Un hippocampe, c’est aussi cette structure du cerveau qui joue un rôle essentiel dans la mémoire et, apprend-on, dans la régulation des comportements liés au choc post-traumatique. Entre ces deux curieux chevaux se tisse un récit à la fois mobile et stationnaire sur l’enfance, la paternité, la mémoire et la (re)découverte de soi.

Mais le propos central du spectacle réside dans la tension d’une infinie complexité entre l’amour et le deuil, présente par exemple dans l’écosystème culturel dans lequel le personnage évolue, mais aussi et surtout sur un plan très personnel qu’il expose sur le ton de la confession. La ligne est toujours mince lorsqu’un monologue s’ouvre grand à la vulnérabilité, entre le touchant et le rébarbatif. Marc-André Charron parvient à éviter l’écueil de la lassitude grâce à l’humour qui imprègne son texte, le comique de son jeu physique et la tendresse un peu bourrue qu’il maîtrise fort bien. Il mime sa fille, sa blonde, sa mère, voire sa grand-mère, s’émeut de se fâcher et se gêne de s’émouvoir. On sent que ses histoires, enrobées dans un réjouissant emballage théâtral, constituent sans doute une lettre d’amour à sa fille, dont il « s’ennuie d’avance », à l’espoir qu’elle a représenté et à la femme qu’elle deviendra.

© Marc-André Charron

Un univers dans un pouf

La simplicité du décor met l’accent sur le protagoniste qui occupe le centre de la scène, juché sur une petite plateforme servant d’estrade, sur laquelle trône un pouf rose bonbon. Celui-ci servira de siège, certes, mais aussi de boîte, de colis et de coffre au trésor grâce, entre autres, aux éclairages éloquents qui transforment l’atmosphère et métamorphosent le personnage. Les rideaux blancs qui habillent la cloison arrière servent à la projection d’images mouvantes, floues et évocatrices. En outre, ils révèlent ou dissimulent la présence des musiciennes qui accompagnent et guident le récit dans la magnifique conception sonore de Maggie Savoie et de Sylvie Boulianne.

Dans l’intimité de ce décor, Hippocampe forme une bulle de ravissement dans laquelle tient un public captif tout au long de l’heure et demie que dure cette prestation au débit un peu trop précipité, oscillant entre le comique et la poésie, la joie et le chagrin. On y interroge sur la place et le rôle de l’artiste, du père, de l’homme dans notre monde en ébullition sociale, et on s’y émerveille de la délicatesse du vivant, qui tient vraiment à si peu.

Présentée seulement quelques soirs, Hippocampe est une étoile filante qui ne pourra être vue que par quelques happy few. Comme un ruban de Möbius qui fait voir d’un seul tenant deux côtés d’une même réalité, c’est un spectacle qui se pose en antidote à la vision polarisée du monde. On souhaiterait une dose plus prolongée de ce remède aux maux de l’actualité.

© Marc-André Charron

Hippocampe

Texte : Marc-André Charron. Mise en scène : Caroline Bélisle et Ludger Beaulieu. Scénographie, costumes et accessoires : Claudie Landry. Conception des éclairages : Nathan Finnamore. Conception sonore : Maggie Savoie et Sylvie Boulianne. Direction technique et régie : Emmanuel Albert. Accompagnement à la direction technique : Xavier Richard. Conception photo et vidéo : Annie France Noël. Assistance à la mise en scène : Jacques-André Lévesque. Direction de production et régie : Gabrielle Gagnon. Accompagnement à la direction de production : Joëlle Tougas. Avec Sylvie Boulianne, Marc-André Charron, Lionel Lehouillier et Maggie Savoie. Une production de Satellite Théâtre, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 18 septembre 2025.