Dernier numéro Dossier JEU 196 ∙ Angela Konrad

Angela Konrad : un esprit faustien

© Marjorie Guindon

C’est par un après-midi caniculaire de juillet que se tient la séance photo du présent numéro de Jeu. Angela Konrad nous accueille, enthousiaste, à l’Usine C, au cœur d’un chantier d’aménagement urbain. Dans son bureau, dans les loges, elle se fait volubile, attentionnée, très vite son humour et sa détermination sont manifestes. Le passage à la coiffure et au maquillage est l’occasion d’échanges spontanés. Elle nous montre une photo d’elle, tout juste sortie de l’adolescence, la tête hirsute, c’est ainsi qu’elle aime ses cheveux… Konrad sait ce qu’elle veut, mais ça ne l’empêche pas de tout essayer pour obtenir, souvent, encore mieux que ce qu’elle envisageait. Son ouverture, sa générosité transparaissent, ce jour-là, devant la caméra, où l’ancienne comédienne se fait mannequin.

Elle a choisi ses vêtements, veston souple, t-shirt blanc qu’elle va retirer, pantalon sport, espadrilles, puis le manteau de renard qu’on voit dans tous ses spectacles, comme un clin d’œil aux nombreuses actrices qui l’ont porté. Elle dénude, un peu, sa poitrine, prend la pose en pro, s’assoit par terre, s’étend au sol, nous fait rire par toutes ses tentatives alors que la caméra capte des centaines d’images. Puis, quand tout est en boîte, elle nous invite au café du théâtre, nous offre un verre, partage des histoires de ses débuts au théâtre, des images d’elle à 5 ans avec sa mère, de son mariage, de la fête à l’obtention de sa citoyenneté canadienne… Qui l’eût cru : Konrad aime s’amuser, rigoler, complice sans mystère ! C’est une autre femme que nous découvrons, loin de l’image qu’elle peut, parfois, renvoyer. Ce n’est un secret pour personne, sa posture et son érudition impressionnent souvent lors de la première rencontre.

Metteure en scène, dramaturg, directrice générale et artistique, comédienne, professeure, Angela Konrad est aussi, et peut-être même avant tout, une chercheuse en scène. S’il est coutume de dire qu’un sujet de thèse demeurera une obsession dans la vie de celui ou celle qui est à l’origine de la recherche, quelle est la quête obsédante de celle qui a consacré ses études doctorales à l’œuvre de Heiner Müller ? Après plusieurs mois passés à échanger avec ses collaborateurs et collaboratrices et à imaginer l’architecture de ce dossier, il nous est possible de soumettre l’hypothèse qu’à l’image du dramaturge allemand, Konrad est obnubilée par la question de l’être humain confronté à l’Histoire. Dans toutes ses créations, la metteure en scène construit, organise et déplace le récit pour donner à voir et à entendre un temps historique qui, comme le rappelle Paul Ricœur, reconstitue une médiation pour rendre le passé intelligible. La narration qu’elle développe donne du sens dans son geste créateur, mais également dans l’écoute et l’observation des spectateurs et spectatrices. La scène, Konrad s’en empare, et il nous faudrait bien plus qu’un dossier pour fouiller les indices de sa présence et de ses convictions qu’elle dissimule à travers les créations.

Tous les collaborateurs et collaboratrices d’Angela Konrad qui ont participé à ce dossier se souviennent de leur première rencontre. Ils et elles témoignent également de ses méthodes et de sa passion. L’image de l’enfant – qu’elle porte des espadrilles ou des lunettes fumées – est une récurrence, dès qu’il s’agit de raconter les journées de répétitions. Le plaisir et le jeu semblent demeurer essentiels, et ce, quelles que soient les circonstances.

En pensant à Angela Konrad, à son travail et à ses esthétiques, les derniers vers d’un poème de Peter Handke nous viennent en tête au moment de clôturer ce dossier avant de vous le livrer :

Als das Kind Kind war,

warf es einen Stock als Lanze gegen den Baum,

und sie zittert da heute noch.

 

Lorsque l’enfant était enfant,

il a lancé un bâton contre un arbre, comme un javelot.

Et il y vibre toujours.