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Les Contes urbains 2013 selon… Sébastien David

La cuvée 2013 des Contes urbains ne risque pas d’être banale! En effet, cette année, six jeunes auteurs ont pris possession de la tribune. Gageons que Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre sauront insuffler une énergie toute nouvelle à cette tradition du temps des Fêtes.

Les auteurs des Contes urbains 2013 ont accepté de répondre à mes questions. Consacré à Sébastien David, ce billet est le deuxième d’une série de 6.

Sébastien David

Diplômé de l’École nationale de théâtre en 2006, auteur et comédien, on lui doit notamment Les morb(y)des, une pièce créée au Théâtre de Quat’Sous par Gaétan Paré en 2013, et T’es où Gaudreault précédé de Ta yeule Kathleen, deux courtes pièces indissociables mises en scène par leur auteur, à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, en 2011. Ses textes sont publiés chez Leméac.

Quel est votre plus beau souvenir du temps des Fêtes?

On est dans l’auto, on revient de la messe de minuit. Ça avait tout pris pour qu’on y aille. Ça ne nous tentait pas d’y aller. Ce n’était pas une place pour trois petits gars qu’on se disait. Mais ma mère y tenait. Mon père, lui, suivait. Cette année-là, on était arrivés flush à la grosse église de Saint-Hubert. Tellement flush qu’il restait même plus de place pour s’asseoir. Alors on nous a finalement emmenés dans une petite salle dans le sous-sol de l’église pour écouter la messe… diffusée sur une télé!? Toute la famille avait une face de «on serait resté chez nous avoir su». Donc, on est dans l’auto en revenant et ma mère se retourne vers nous, les trois petits gars. Après un temps, elle dit: «C’est vrai que c’était plate. On n’ira pus, OK?» On n’y est jamais retournés. Amen.

Quel est votre pire souvenir du temps des Fêtes?

La fois où, à 13 ans, pendant un repas du temps des Fêtes, j’ai fini le vinier en carton sans que personne s’en aperçoive. Huit verres plus tard, mon petit corps frêle a perdu le contrôle et a fait des choses qu’il vaut mieux oublier. 

Que signifient pour vous les mots «contes» et «urbains»?

C’est une tradition mythique qui a donné, dans ses plus belles éditions, des moments d’anthologie de théâtre québécois. 

Est-ce que votre texte respecte ou bafoue la tradition du conte urbain?

Je voulais vraiment adhérer à la tradition de l’exercice des contes urbains: une histoire simple, le temps des Fêtes, un peu de marde. Disons que je n’avais pas le désir de réinventer sa forme, mais plutôt de le faire à ma sauce! 

Est-ce que les gens qui connaissent bien votre écriture seront surpris de la direction que prend votre conte?

Pantoute. Ma mère reconnaîtrait mon conte urbain les yeux fermés et les oreilles à moitié bouchées. Cependant, cette fois-ci, le personnage est beaucoup plus près de moi dans son discours et dans ce qu’il est. Sauf que je ne perdrais jamais le contrôle comme lui! 

Est-ce que votre conte a quelque chose de typiquement québécois?

Premièrement, mon histoire se passe dans un lieu mythique du Québec: la cuisine. Le tout sous le regard d’un crucifix qui veille au grain au-dessus du cadre de porte. J’ai toujours été fasciné par l’histoire de la religion au Québec, de son emprise très forte à sa quasi-disparition. Mais ces années de noirceur ne pouvaient pas s’effacer d’un coup et je remarque depuis longtemps que beaucoup de nos actions sont encore conditionnées par de vieux réflexes judéo-chrétiens. Ça a en quelque sorte dégouliné dans notre inconscient collectif. Une petite tache encore présente. Et c’est cette petite tache que j’ai voulu mettre en lumière ici.

Avez-vous été influencé par une quelconque actualité?

Avec le débat actuel autour de la religion (et l’apparition du mot «ostentatoire» comme un graffiti sur la place publique), mon conte urbain s’inscrit malgré lui dans l’actualité. Je dis «malgré lui» parce que j’ai commencé l’écriture de ce conte il y a un peu plus de deux ans alors que j’étais loin de me douter que ce débat reviendrait en force et qu’une charte verrait le jour… J’ai tout de même dû apporter des modifications dans mes versions ultérieures à cause de l’évolution des opinions et des discours. Je pense que l’actualité influence toujours ce qu’on écrit, et ce, malgré nous et malgré les thèmes qu’on aborde. 

Qui est le personnage qui s’adresse à nous dans votre conte?

Dans mon conte, je mets en opposition deux personnages qui, au premier coup d’œil, n’ont rien à voir ensemble, mais «l’autre nous ressemble toujours un peu plus qu’on pense». D’un côté: lui, Denis, Montréalais, Québécois pure laine, trentenaire, homosexuel. De l’autre: elle, Ruby, une petite fille de six ans habillée tout en monochrome de magenta. Mais ce soir, Denis n’est pas dans son territoire habituel… Et Ruby le sait. Je ne veux rien dire de plus, mais disons que c’est un autre party de Noël qui va se terminer de manière improbable. 

Que six jeunes auteurs dramatiques d’une même génération investissent les Contes urbains, quel sens ça a pour vous?

Je pourrais raconter ça ainsi: les six auteurs, on s’est d’abord réunis et c’est collectivement que nous nous sommes rendus à la porte d’Yvan. Annick a cogné, Yvan nous a ouvert, puis je l’ai assommé, Olivier et Martin ont traîné son corps jusqu’au salon avant que Rebecca le ligote et que Julie-Anne lui mette du tape sur la bouche. Et puis, on lui a dit: «Eille, Yvan Bienvenue, on a écrit des affaires pis on veut se faire entendre pis on a décidé de prendre en otage tes contes urbains pour prendre la parole!» Bon, ça ne s’est pas exactement passé comme ça… Mais on a quand même pris notre courage de jeunes auteurs à douze mains pour frapper à la porte d’Yvan et quand il a décidé de l’ouvrir, il l’a grandement fait.

Et voilà que le mardi 5 novembre, lors du premier enchaînement dans la salle de répétition de La Licorne, il s’est passé quelque chose. Six jeunes auteurs, six jeunes acteurs, deux jeunes musiciens avec ces passeurs que sont Yvan Bienvenue, Stéphane Jacques et Denis Bernard (et son chien!). Il s’est passé quelque chose d’électrique, quelque chose de beaucoup plus grand que nous.

Nous étions tous ensemble à s’écouter, à rire de nous-mêmes, à s’émouvoir, à chercher des réponses dans notre passé, à douter de notre avenir, à se rappeler qu’il ne faut pas oublier, à s’avouer qu’il nous reste encore un peu d’espoir dans une de nos poches, un peu de cynisme dans l’autre, à se montrer vulnérables, mais surtout à être plus unis que jamais. Simplement ensemble. Je regardais tous ces gens dans la lumière magnifique de début novembre qui entrait généreusement par les fenêtres et je les trouvais beaux en ostie. Et c’est d’ailleurs ça que je souhaite au Québec pour 2014, se trouver beau.

 

Lisez ou relisez le premier billet de la série, consacré à Martin Bellemare.

 

Contes urbains 2013

Production Théâtre Urbi et Orbi. Textes: Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre. Mise en contes: Stéphane Jacques. Avec: Mathieu Gosselin, Rachel Graton, Hubert Lemire, Marie-Ève Milot, Hubert Proulx et Catherine Trudeau. Musique: Viviane Audet et Robin-Joël Cool. Scénographie: Elen Ewing. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. À La Licorne du 3 au 21 décembre.

 

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.