Critiques

Le Wild West Show de Gabriel Dumont : L’Ouest canadien à la sauce Buffalo

Jonathan Lorange

Que sait-on vraiment de l’histoire des francophones hors Québec? Que nous est-il parvenu des luttes des Métis du Nord-Ouest pour la reconnaissance de leurs droits? Au terme d’une enquête historique originale, Le Wild West Show de Gabriel Dumont nous fait mieux comprendre: les décisions du gouvernement fédéral pour réprimer les populations métisses entre 1870 et 1885, tacler leur résistance et les conduire, non sans mal, vers un avenir abominable. Et que roule la construction du chemin de fer vers l’Ouest!

Jonathan Lorange

Cette création collective présentée en première au CNA sonde une période du 19e siècle pas comme les autres: arrière-monde du 20e, elle en annonçait aussi les divisions futures, à repenser et panser aujourd’hui en termes de «réconciliation». Le projet a d’ailleurs reçu le soutien financier d’un programme spécial du Conseil des arts du Canada à l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération. Loin de la leçon d’histoire rébarbative, truffée de dates et de grands noms à n’en plus finir, la mise en scène de Mani Soleymanlou opte pour la joie et la bonne humeur d’une grande mascarade inspirée des Wild West Shows, ces spectacles américains où se mélangeaient numéros de prestidigitation, cirque et rodéo. Toute la mise en scène brille comme un artifice pur, chaque tableau s’y présentant à la façon d’un numéro de variété parfois improvisé. Le duo d’animateurs interprété par Jean Marc Dalpé et Alexis Martin décoiffe. En vendeur ambulant de poudre de perlimpinpin, en monsieur loyal à lunettes vissées au bout du nez ou dans le costume de présentateurs sportifs (excellente imitation du duo Don Cherry/Ron Maclean), le duo décape l’histoire sans se prendre au sérieux.

La mise en scène de Mani Soleymanlou mélange allègrement les époques dans ses références au divertissement: dans le pot-pourri du grand spectacle accompagné de musique interprétée en direct, on retrouvera des scènes inspirées du western, de la boxe, de Zorro et des Blues Brothers, ainsi qu’une caricature de jeu télévisé. Une prestation de chant de gorge fait elle aussi l’objet d’un détournement comique bien trouvé. Seul un tableau résiste à ce traitement farcesque, qu’il convient de ne pas dévoiler. Le temps scénique devient ainsi un temps immédiat – celui de la distraction – parfaitement adapté à la réappropriation du grand récit national.

Jonathan Lorange

Louis Riel, cheveux gominés, veste violette et fine moustache, fait penser à un chanteur/évangélisateur tout droit sorti des années 1980. Quand il adresse son premier discours à la communauté métisse, c’est en déployant tout un attirail de farces et attrapes pour épater la galerie. Aux antipodes, donc, du commandant Gabriel Dumont, personnage rugueux à la tête de la rébellion lors de la résistance de 1885, qui s’exila aux États-Unis à la pendaison de Louis Riel et tomba dans les oubliettes de l’histoire. Si ce Wild West Show drôle et triste à la fois est si réussi, c’est que l’équipe de création s’est documentée avec un souci d’écouter les communautés impliquées en réhabilitant la figure de Gabriel Dumont. Et qu’il y fait souffler, dans sa volonté de décaper le récit national, un vrai vent de folie.

Le Wild West Show de Gabriel Dumont

Texte: Jean Marc Dalpé, David Granger, Laura Lussier, Alexis Martin, Andrea Menard, Yvette Nolan, Gilles Poulin-Denis, Paula-Jean Prudat, Mansel Robinson et Kenneth T. Williams. Mise en scène: Mani Soleymanlou. Dramaturgie: Maureen Labonté. Scénographie: David Granger. Éclairages: Erwann Bernard. Musique et son: Olaf Gundel et Benoit Morier. Vidéo: Silent Partners. Costumes: Jeff Chief. Accessoires: Madeleine Saint-Jacques. Mouvement: Chancz Perry. Avec Charles Bender, Jean Marc Dalpé, Katrine Deniset, Gabriel Gosselin, Alexis Martin, Émilie Monnet, Krystle Pederson, Chancz Perry, Dominique Pétin et Andrina Turenne. Une coproduction du Théâtre français du CNA (Ottawa), du Nouveau Théâtre Expérimental, du Théâtre Cercle Molière (Winnipeg) et de la Troupe du Jour (Saskatoon). Au Théâtre Babs Asper du CNA jusqu’au 21 octobre 2017. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui du 31 octobre au 18 novembre 2017. Au Théâtre Cercle Molière du 17 au 21 février 2018. À la Troupe du Jour du 27 février au 4 mars 2018. À la Bordée, à l’occasion du Carrefour international de théâtre, les 7 et 8 juin 2018.

Maud Cucchi

À propos de

Collaboratrice de JEU depuis 2016, elle a été journaliste culturelle au quotidien Le Droit, à Ottawa, pendant 9 ans.